Quelle liberté pour les bibliothécaires de gérer leur fonds sciences ?
Question d'origine :
Bonjour,
Je suis bibliothécaire au secteur adultes de la BM d'Annecy.
J'ai acheté le livre "Le scandale Ivermectine, comment ils ont bloqué d'anti-Covid 19" de Jean-Loup d'Izambert paru en 2021.J'ai vu que vous aviez aussi acheté ce livre et d'autres titres de cet auteur.
Je me permets de vous écrire car un usager nous a interpellé sur ce livre en disant : "que ce livre évoque le complotisme, est peu rigoureux quant à ses sources et ses affirmations,qu'il défend un point de vue scientifiquement erroné. Que ce livre est de nature complotiste et que des lecteurs non avertis ne le comprendraient pas. Que ce livre n'a pas sa place en bibliothèque".
Pour ma part, j'ai acheté ce livre en me renseignant sur l'auteur (que je ne connaissais pas) et l'éditeur. J'ai un peu hésité par rapport au contenu mais finalement je l'ai acheté en me disant qu'il pouvait révéler des éléments importants inconnus du grand public. Je n'ai pas eu le temps de le lire avant l'emprunt (mais nous n'avons pas non plus le temps de lire tous les livres).
Je me rends compte que le sujet traitant du Covid est sensible car il touche à la santé public, au décès, aux libertés, aux politiques mises en place...
J'ai lu un article de l'institut Pasteur sur le sujet : ils ont fait des recherches sur les animaux sur l'Ivermectine et le Covid, ont fait des essais cliniques sur l'humain. J'ignore le résultat final des essais. Ce sujet "ne sort donc pas du chapeau".
Nous allons faire une réponse collective du secteur mais je voulais votre avis sur le retour de cet usager que je trouve très tranché pour ma part. Et ce retour me déconcerte également.
Que pensez-vous d'une telle interpellation d'un lecteur au sujet de ce livre ? Avez-vous lu ce livre ou d'autres du journaliste et qu'en pensez-vous ? Que répondriez-vous ?
C'est la première fois en 25 ans de travail que je vois un tel retour d'usager.
Je vous remercie pour votre réponse,
Vous souhaitant une belle journée,
Cordialement,
Françoise Rouge-Gaillard
Réponse du Guichet

La bibliothèque a une exigence de pluralité et de diversité dans la gestion des collections qui fait qu'elle peut conserver des oeuvres de personnalités controversées.
Bonjour,
Après consultation de nos collègues du fonds Sciences et techniques, qui ont en effet acquis Le scandale Ivermectine [Livre] : comment et pourquoi ils ont bloqué l'anti-Covid-19, nous sommes tombés d'accord sur le rappels de quelques grands principes touchant au champ d'action des acquéreur.ses en bibliothèque.
La personne qui a fait l'acquisition de ce livre chez n'est plus dans le service, et à notre connaissance les collègues ne l'ont pas lu, mais cela ne change pas le fond du problème : notre fonction ne nous autorise à prendre parti dans aucun débat philosophique, scientifique ou politique. En revanche, la diversité de l'offre est au coeur de notre travail. Depuis la promulgation de la loi du 21 décembre 2021 relative aux bibliothèques et au développement de la lecture publique, l'article L. 310-4 du Code du Patrimoine établit :
« Art. L. 310-4.-Les collections des bibliothèques des collectivités territoriales ou de leurs groupements sont pluralistes et diversifiées. Elles représentent, chacune à son niveau ou dans sa spécialité, la multiplicité des connaissances, des courants d'idées et d'opinions et des productions éditoriales. Elles doivent être exemptes de toutes formes de censure idéologique, politique ou religieuse ou de pressions commerciales. Elles sont rendues accessibles à tout public, sur place ou à distance. »
Nous pouvons également nous référer à l'article La politique du livre à la Médiathèque de Francis Agostini paru dans le BBF, déjà ancien, mais qui nous semble toujours d'actualité :
La médiathèque est ouverte aux thèmes qui émergent dans le champ scientifique (chaos, sciences cognitives) ou promus par les médias (les « -tiques »). Elle s'efforce de couvrir le « terrain commun » à la science et à la philosophie, « celui des controverses et des questions ouvertes, du rapport aux autres contenus disciplinaires, au changement et aux technologies du savoir scientifique.
Entre la tendance hégémonique de la « technoscience » et les assauts de l'irrationalisme, entre scientisme et charlatanisme, comment appréhender les « marges » (Tao de la physique, colloque de Cordoue) et les effets mythico-médiatiques (« mémoire de l'eau », « fusion froide ») ?
La médiathèque s'est refusée à censurer des domaines controversés. Elle a cherché à resituer les productions ésotériques dans leur contexte historique et les a placées sous l'éclairage des sciences humaines (médiathèque d'histoire des sciences).
C'est pourquoi nous pouvons conserver toutes les oeuvres d'une personnalité aussi controversée que Didier Raoult publiées depuis 2019. Qu'on soit d'accord ou non avec lui, il fait partie d'un débat contemporain.
Nous ne doutons pas de la bonne foi de votre usager, mais peut-être pourriez-vous lui répondre qu'un débat n'existe pas sans arguments contradictoires, et que pour réfuter une interprétation qu'on juge erronée, encore faut-il la connaître. Par ailleurs, si les bibliothèques devaient ne proposer que des ouvrages diffusant des thèses scientifiquement valides, nos rayons consacrés aux https://catalogue.bm-lyon.fr/permalink/P-fce2c147-7708-4003-9416-31fca894cf6Bibles seraient bien vides...
Voici ce que nous pourrions dire. Nous regrettons de ne pouvoir vous aider plus mais in fine, c'est sans doute vos arguments, les raisons de votre propre choix d'acquisition, qui porteront sans doute le mieux.
Enfin, rappelons que selon notre Charte d'utilisation, "Les questions des professionnels des bibliothèques ne font pas l'objet de ce service qui est réservé au grand public". Pour une plus ample réponse, nous vous suggérons donc de vous adresser au service Questions ? Réonses ! de l'Enssib.
Bonne journée.