Combien gagnait un meunier poitevin vers 1900 ?
Question d'origine :
Combien gagnait un ouvrier meunier dans le Poitou en 1890 ? et en 1900?
Combien coûtait un kilo de pain à ces deux époques ?
Un revenu de 220 francs en 1890 était-il conséquent ?
Merci pour votre réponse .M.S-M
Réponse du Guichet

Si le meunier était un personnage important dans les villages jusqu'au XIXe siècle, et qu'il semble avoir connu une période plutôt faste dans la première partie du XIXe siècle avant de voir ses revenus décliner, nous avons trouvé peu d'informations précises à ce sujet. Il existe surtout de nombreuses études locales et inventaires de moulins à l'échelle d'une commune ou d'un canton, qui peuvent donner quelques éléments de comparaison. Ce déclin des revenus qui provoqua la disparition de très nombreux moulins, semble principalement lié à la concurrence des minoteries industrielles.
Bonjour,
Revenus du meunier et coût du pain
Nous ne savons pas d’où vous avez tiré les chiffres cités, mais de notre côté, nous n’avons pas trouvé d’éléments précis sur le salaire moyen d’un ouvrier meunier en France ou dans le Poitou, en 1890 ou en 1900.
Ce document Moulins et meuniers au Traon en Plouguerneau est une étude détaillée des moulins d’une commune en Bretagne, et présente des tableaux de revenus et quelques exemples:
«En 1841, le propriétaire de ce moulin est François Cabon de Kerferré-Vras. Malgré sa réserve d’eau beaucoup moins importante que celle de l’autre milin an Traon, il dégage un rapport supérieur évalué à 67 francs. Ceci est sans doute dû à un meilleur emplacement, et à un accès plus aisé pour les cultivateurs car il est situé au bord d’un chemin de grande circulation. Ce revenu décroît cependant rapidement car il n’est plus estimé qu’à 40 francs en 1882. La cause de cette décadence peut être la transformation du réseau routier due à la construction du premier pont de Paluden. La voie de grande circulation évoluera plus tard vers la route départementale n° 13.» Ou encore: «Le moulin de Kergonvel dit situé au Traon, est affermé à Marguerite Eliès. Son revenu annuel est estimé à 104 livres. Avec ses dépendances, il figure parmi les achats du négociant brestois qui l’acquiert pour 2095 livres. L’acte de vente indique que le moulin est affermé par bail, que l’on n’a pu se procurer, depuis 1790. Le nom du meunier nous restera donc inconnu, mais il s’agit probablement de Marguerite Eliès, veuve de François Lilès décédé au Traon le 17 janvier 1792, et mère de Guillaume. La meunière figure parmi la liste des assujettis à la patente du canton de Plouguerneau le 15 nivôse an VIII sur une base de revenus de 120 francs annuels, ce qui la place à un rang très honorable parmi les « redevables ». Il est vrai qu’elle cumule son activité de meunière avec celle d’aubergiste au bourg de Plouguerneau !»
Voir aussi Moulins et meuniers d’Indre-et-Loire en pièce jointe
Au vu des exemples cités, un revenu de 220 francs en 1890 peut sembler assez conséquent. Pourtant, par comparaison, avec d’autres salaires journaliers vers 1880-1890, notamment pour les métiers des villes ou de l’industrie, il ne semble pas très élevé. Une ouvrière chemisière vers 1894 gagne «2 francs par jour, sans chômage, 600 francs par an», mais on se situe à Paris. Autres exemples: un aide maçon 4,75 francs par jour; un journalier 3,50 francs.
Vous pouvez aussi consulter ce document : Les salaires au XIXe siècle
En effet, selon les régions et les activités, les revenus pouvaient être très différents voir cet article Les disparités de salaires en France au XIXe siècle
Quant au kilogramme de pain, il est à 0,30 franc vers 1880-1890 (il était à 0,35/0,43 vers 1860-1870). Voir les documents en pièce jointe sur le coût de la vie, tirés de Contexte France, un guide chrono-thématique ou La vie quotidienne de vos ancêtres de l’an mil à nos jours. Vous pouvez aussi vous référer à ce document Relevé de quelques prix et salaires aux 19ème et 20ème siècles, qui nous dit que: «Les salaires moyens agricoles en Ile-de-France et en Bretagne sont respectivement de 1,99 F et 0,84 F en 1852, soit un rapport de 2,4 ; ils sont de 2,69 F et 1,19 F en 1862, soit un rapport de 2,3.». Vous y trouverez un tableau sur le salaires masculins (annexe 1) où il est question de la meunerie.
Explication de la chute de revenu des moulins
Quant aux raisons de cette chute des revenus, les deux explications qui semblent les plus plausibles, sont d’une part la crise agricole qui frappa la France dans les années 1880-1900 et entraîna une chute des prix du blé, et comme vous l’avez dit, le déclin des moulins artisanaux au profit des minoteries industrielles. L’article Moulins et meuniers au Traon en Plouguerneau (cité plus haut) confirme que les années 1890 correspondent au moment où de très nombreux moulins cessent leur activité. La concurrence industrielle est rude, les meuniers ne vivent sûrement plus de leur travail.
D’autres raisons peuvent être évoquées souvent plus locales comme une modification du réseau routier causant d’autres circuits d’approvisionnement, un conflit sur la gestion de l’eau, ou la baisse du débit d’une rivière...
Voici ce que nous dit cet ouvrage Retrouver ses ancêtres meuniers et leurs moulins, qui propose outre de nombreux conseils pour chercher des informations dans les archives à propos des moulins, une petite histoire des meuniers et moulins:
«Au XIXe siècle, on découvre de nouvelles énergies, vapeur et turbine, combinées aux progrès de la roue verticale et de la roue horizontale. Peu à peu, les ingénieurs et les minotiers remplacent les meuniers. Les moulins à farine cèdent définitivement la place aux minoteries industrielles vers 1880-1890.» «Au XIXe siècle, les moulins s’agrandissent, un étage pour le moteur, un pour les meules, un pour le blutage (séparation farine et son). Ils adoptent deux inventions étrangères, les cylindres d’Autriche-Hongrie (qui donnent une farine fine et blanche tout en économisant de la main d’œuvre et de l’énergie) et le plansichter de Hongrie (tamis disposés en caisses parallélépipédiques mobiles, qui secouent la mouture à un rythme endiablé). Les moulins deviennent donc des minoteries équipées de turbine, de cylindres et de plansichters. Les artisans qui tentent la transformation à peu de frais ont du mal à faire face à la concurrence.»
La mort des moulins traditionnels
«Les expositions universelles diffusent les nouvelles techniques, mais les capitaux exigés pour le développement sont trop importants pour les petits meuniers. La turbine est remplacée parle moteur à explosion, puis diesel, puis à gaz pauvre, enfin par l’électricité.
Les moulins à vent sont les premiers à disparaître du paysage. Cette mort des moulins à farine est accélérée par l’essor de la boulangerie, car les gens prennent l’habitude au XXe siècle d’acheter leur pain plutôt que de le faire.»
«Au XIXe siècle, après avoir pris le contrôle de l’approvisionnement en farine, les meuniers essaient de vendre du pain eux-mêmes et d’intégrer meunerie et boulangerie dans de vastes structures usinières, pour rentabiliser les cylindres très coûteux qui ont remplacé les meules. Les boulangers résistent, notamment avec la diversification des fournisseurs, pour échapper à la tutelle d’un seul meunier.»
Les mêmes informations apparaissent dans Moulins, maîtres des eaux, maîtres des vents
Cet article Du moulin au four évoque une autre cause : «Au cours du XIXe siècle, les moulins du canton de Saint-Pierre-sur-Dives vont disparaître les uns après les autres. Cette disparition est due, essentiellement, à deux causes : l'évolution des techniques de meunerie et la modification des traditions agricoles.», tiré de Au fil des moulins dans Les Cahiers des archives départementales du Calvados
Voir aussi dans Le moulin à grain hydraulique dans sa chaîne économique, technique et sociale : l’exemple de l’Alençonnais XVIIe-XXe siècles (en pièce jointe) : «Au fil des décennies, la production céréalière locale de l’Alençonnais s’amoindrit sensiblement, ce qui n’est pas sans incidences sur les professionnels de la meunerie incités à chercher des marchés de plus en plus lointains.»
Concernant la crise agricole des années 1880 (voir avant)-1900, les deux ouvrages La France au XIXe siècle (p 381 et suivantes) et Histoire économique de la France (p 112 et suivantes), nous confirment que le dernier quart du XIXe siècle a vu la France sombrer dans une grave dépression agricole, notamment caractérisée par la chute des prix. Le deuxième ouvrage évoque une baisse de 37 % des prix de 1873 à 1894 et nous dit que "la baisse des revenus nets a sans doute été plus accentuée encore.».
Voici quelques exemples tiré de Contexte France (cité plus haut): «A partir de 1882, la crise agricole se répercute à toute l’économie… La chute du quintal de blé en dessous de 25 F…» «En 1895, le quintal de blé tombe à 18,20 francs et les revenus agricoles sont en baisse.»
Même si nous n’avons pas trouvé de mention directe d’un lien entre cette crise et la baisse de revenus des moulins, on peut imaginer qu’il y a eu un impact. En effet, cet article de présentation de l’exposition « Le cœur des moulins » aux Archives départementales de la Gironde nous dit : «La production des moulins à eau ne pouvant augmenter sans nuire aux autres installations, le revenu des meuniers dépendait exclusivement du prix des blés. L’inflation du cours des blés à partir des années 1750 permit aux meuniers d’améliorer leur condition, et à la meunerie d’entrer dans l’ère pré-industrielle.». On peut imaginer que l’inverse a été possible à la fin du XIXe siècle.
Pour avoir des informations plus précises concernant le Poitou et le Haut-Poitou, nous vous conseillons de contacter les Archives départementales de la Vienne et des Deux-Sèvres.
Pour des informations plus générales sur les moulins et meuniers, vous pouvez contacter la Fédération des moulins de France.
Autres ouvrages consultés :
Le moulin à vent et le meunier dans la société traditionnelle française
Histoire de l'énergie hydraulique [Livre] : moulins, pompes, roues et turbines de l'Antiquité au XXe siècle / Pierre-Louis Viollet
Les moulins à eau en France [Livre] / Michèle Morin, Emile Couraud
La France des moulins / [Livre] / réalisation et photogr., Gérard Simonnet
Bonnes recherches à vous !
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