Pourquoi une monnaie de compte est-elle appelée "livre tournois noir" ?
Question d'origine :
Bonjour
J'ai trouvé dans un texte à propos d'une redevance fin XIII ie s en "livre tournois noir" ? pourquoi noir?
Merci.
cordialement
Claire Veaux
Réponse du Guichet

Bonjour,
Les monnaies noires sont des monnaies qui contiennent en principe moins d’argent et plus de cuivre que les monnaies dites blanches.
C’est ce que nous apprend l’article Numismatique médiévale sur Wikipédia:
«On parle de monnaies blanches pour celles qui contiennent une part importante d'argent et de monnaies noires pour celles à majeure partie de cuivre»
D’autres textes en témoignent :
L'article Double Tournois de Wikipédia mentionne :
«Les rois de France émettront des doubles tournois tout au long du Moyen Âge et lors de la période post-médiévale (1492-1580). Il s'agit de monnaies de billon très cuivreux contenant 15 à 20% d'argent pour 80% à 85% de cuivre. Elles font partie de la catégorie des monnaies dites «noires».»
Sur L’Encyclopédie, Jaucourt,1re éd., 1751 (Tome 16, p. 486-489) en ligne, on peut lire :
"Tournois, (Monnoie de France.) ancienne monnoie de France: il y avoit des petits tournois d’argent & des petits tournois de billon; on nommoit autrement les petits tournois d’argent tournois blancs ou mailles blanches, & les tournois de billon, des tournois noirs. Dans une ordonnance de Philippe-le-Long, il est fait mention des turones albi & des turones nigri."
Voir aussi La circulation des monnaies noires en Haute-Normandie de Jens Christian Moesgaard, Revue Numismatique Année 2009 qui nuance un peu l'explication :
"La monnaie noire tient son nom d'alliage d'argent à fort pourcentage de cuivre, lequel donne un aspect noir. Le terme est employé dans les documents de l'époque, ainsi « denier noirs aians cours pour 3 d. t. » en 1423 et « petitz parisis noirs » en 1426 (Saulcy 1879-1892, II, p. 342, 369). Il s'agit de trésins, liards, hardis, doubles, deniers et oboles (valant respectivement 3, 3, 3, 2, 1 et 1/2 deniers). La monnaie noire s'oppose à la monnaie blanche, gros et blancs d'une teneur en argent plus élevée, valant 20, 12, 10, 6 et 5 deniers. Certains gros et blancs dépréciés ont toutefois une plus forte teneur en cuivre que certaines monnaies noires. Ainsi, si le gros à l'étoile des 7e et 8e émissions ne contient que 11,9 % d'argent (Duplessy 308F-G), le double tournois de 1361 contient 21,2 % (D 329). Il est donc impossible de proposer une définition fondée sur le titre des monnaies.
De la fin du VIIe siècle et jusqu'au XIIIe siècle, le denier et l'obole, sa moitié, étaient les seules dénominations émises. Ils devaient donc répondre à la totalité des besoins de la société en métal monnayé : thésaurisation, paiements d'ordre politique, grand commerce, échanges quotidiens, etc. En France, l'introduction du gros tournois, qui valait 12 deniers tournois, au printemps ou à l'été de 1266 (sur cette date, voir Moesgaard 1999b, p. 388), marqua le début de l'ère des multiples du denier. Vers la même date, la frappe d'or, suspendue depuis l'époque carolingienne, fut reprise, mais il s'agissait là d'une émission épisodique – la frappe continue fut seulement entamée sous Philippe le Bel (1285-1314).
Or, il est important de souligner que le gros et la monnaie d'or n'assurèrent pas du jour au lendemain toutes les fonctions de grosse monnaie auparavant tenues par le denier. Le gros tournois était trop grand pour être utilisable dans les transactions moyennes et pour payer les salaires, les redevances et les impôts. C'est seulement l'introduction d'émissions affaiblies au XIVe siècle qui assura la généralisation de la circulation de la monnaie blanche (Spufford 1988, p. 229-230, 323). Il en va de même pour l'utilisation des monnaies blanches et des monnaies d'or comme objet de thésaurisation. Les trésors enfouis en France (frontières médiévales) pendant le siècle 1270- 1370 (tableau 1) montrent que les monnaies noires servaient encore couramment pour la thésaurisation jusqu'à peu avant le milieu du XIVe siècle. Les monnaies blanches ne commencèrent à dominer véritablement que dans les années 1340."
Ou encore dans La critique de la valeur et Jacques Le Goff dans « L'Argent au Moyen Âge » :
«Ce qui a le plus circulé dans le peuple, notamment dans les campagnes, c’est une monnaie dans laquelle il y avait peu de métal précieux et que l’on appelait «monnaie noire» ou communément le «billon» et dans lequel on pouvait trouver du plomb.»
A lire également :
Des monnaies en milieu rural : les découvertes du village de Courtisigny (les Fosses Saint-Ursin, Courseulles-sur-Mer, Calvados), Pierre-Marie Guihard et Claire Hanusse, Revue Archéologique de l’Ouest, 2015,32
Pour une histoire des monnaies noires, Marc Bompaire dans Finances, pouvoirs et mémoire : Mélanges offerts à Jean Favier
Bonnes lectures !
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