Qu'est ce que le structuralisme et le post-structuralisme ?
Question d'origine :
Bonjour
C'est quoi le structuralisme et le post-structuralisme ?
Merci d'avance !
Réponse du Guichet
"Nous pratiquions le structuralisme comme Monsieur Jourdain la prose"
Tzvetan Todorov
Par opposition aux idées humanistes de l’après-guerre, insistant sur la liberté du sujet, représentées par Jean-Paul Sartre, le structuralisme est un ensemble de courants de pensée apparus au milieu du XXe siècle qui s’inspirent des recherches anthropologiques et ethnologiques, mais aussi des travaux dans le domaine de la linguistique. La pensée structuraliste, très active jusqu’aux années ’70, organise la forme de l’objet étudié en tant que système ou structure pour se concentrer d’avantage sur les relations qui le forment plutôt que sur l’analyse de différents éléments étudiés séparément.
Ce courant se développe en France dans les années ’50, tout d’abord sur la vague des travaux de Ferdinand de Saussure dans le domaine de la linguistique, puis à travers les écrits de l’anthropologue Claude Lévi-Strauss, et notamment la publication de sa thèse "Les structures élémentaires de la parenté" en 1949. D’autres personnalités portent la pensée structuraliste, comme Jean-Pierre Vernant en histoire, Roland Barthes en littérature, en psychanalyse – Jacques Lacan et Louis Althusser en philosophie.
En effet, de ce bouquet de disciplines, développées par des intellectuels de renommée mondiale, résulte la difficulté de donner une définition pleine et satisfaisante de ce qu’est le structuralisme.
C’est justement cette complexité à caractériser le structuralisme qu’évoque Jean Piaget dès les premières pages de son ouvrage consacré à ce mouvement aux « formes trop multiples pour présenter un dénominateur commun et que les ‘structures’ invoquées ont acquis des formes de plus en plus différentes ». Il s’empresse ensuite de définir ce qu’est la structure, puisqu’elle constitue le fondement du postulat structuraliste. Malgré les nombreuses et incontestables variétés des structures, elles possèdent, dans leur ensemble, quelques caractères généraux et essentiels: ainsi, la structure est, pour Piaget, un système de transformations régi par des lois, comprenant trois caractéristiques et notamment celle de totalité, de transformations et d’autoréglage. La structure a également le pouvoir de donner lieu à une formalisation. Si la structure elle-même reste indépendante, la formalisation est l’œuvre d’un théoricien.
Après avoir analysé différents types de structures, Piaget arrive à une série de conclusions enthousiastes en soulignant que cette approche structurelle non seulement n’exclut en aucun cas les autres dimensions du travail scientifique, mais au contraire, elle tend à les intégrer à travers la réciprocité et les interactions. On peut dire que de par sa nature même, la recherche de structures appelle la coordination interdisciplinaire. Il en résulte que le structuralisme est bien une méthode et non pas une doctrine. En tant que méthode, il est ouvert et reçoit, au cours d’un processus d’échanges permanent, un nombre important de données qui débouchent sur de nouveaux problèmes à résoudre.
Pour revenir à l’essentiel de la définition, citons la définition qu’Olivier Dekens formule dans son livre sur le structuralisme :
"Il y a structuralisme à partir du moment où trois positions conceptuelles sont posées ensemble: la langue est système; tout en l’homme fonctionne comme une langue; en conséquence: l’ordre linguistique constitue le paradigme d’analyse devant être utilisé, à l’exclusion de tout autre, par les sciences humaines".
Inhérent étroitement au structuralisme, le post-structuralisme s’inspire des travaux des philosophes français tels que Jacques Deridda, Michel Foucalt, Gilles Deleuze, Jean Baudrillard ou Julia Kristeva et se développe au cours des années ‘80 dans le monde anglo-saxon, et notamment en Grande-Bretagne. Il s’est déployé également dans les universités américaines, essentiellement dans les domaines philosophique, littéraire et esthétique, alimentant la réflexion de nombreux cercles féministes, des mouvements de militants pour les droits des homosexuels et des noirs.
Le post-structuralisme ne prétend pas établir de vérité univoque. Il n’a pas l’ambition de définir la nature ou l’essence des choses, mais aspire à décomposer la réalité qui serait un ensemble ou un enchevêtrement de discours ou de réseaux – et non de structure - qu’il s’agit de déconstruire.
Dans son article « Mythes et fantaisies post-structuralistes », publié dans "Gradiva : revue d'histoire et d'archives de l'anthropologie", n°2, 1987, David Parkin souligne l’opposition que le post-structuralisme a toujours adopté vis-à-vis de toute théorie établie et toute idée d’une méthodologie essentielle. Il constate à l’évidence que ni le structuralisme, ni le post-structuralisme ne désignent l’individu comme étant à l’origine de l’action sociale ou du discours.
"Mais là où le structuralisme trouve son explication à travers la référence à une logique sous-jacente dans l’activité humaine, le post-structuralisme rejette cette dépendance à une grande logique universelle et considère les actions humaines à l’inverse, comme promues par un réseau de mouvements non prévisibles résultants d’intérêts de pouvoirs".
Un des aspects les plus importants du débat post-structuraliste sur l’auto-définition humaine consiste à démonter nos propres catégories analytiques. Claude Lévi-Strauss fut le pionnier de ce procédé, lorsqu’il a converti ou traduit le mariage et la parenté en échange. Les concepts déconstructifs qui ont suivi mettent l’accent sur « la variabilité humaine en interprétant les actions, les idées et ce que c’est que d’être humain ». Pour le post-structuraliste qu’est Michel Foucault, c’est justement l’idée d’un réseau du discours qui est en relation avec les changements. Les activités humaines se définissent les unes par rapport aux autres, à la manière des mots qui se décrivent les uns les autres. De la même façon que la signification des vocables évolue, la définition des activités humaines à travers d’autres fluctue elle aussi.
"Si l’on oppose le structuralisme, préoccupé par ce qui est logiquement possible au post-structuralisme, préoccupé par ce qui est autorisé de façon discursive, on trouvera peut-être une différence majeure, à savoir, une distinction entre les règles grammaticales de la langue et les règles stylistiques de la parole; entre ce qui est pensable mais pas toujours dit (…) et ce que l’on peut dire mais qui n’est pas permis en pensée ou en expression".
- conclut-il.
Selon le chercheur Johannes Angermuller, le post-structuralisme qui pour de nombreux intellectuels est un mouvement français, peut être interprété comme une invention issue des échos de la French Theory au niveau international.
Pour conclure, nous invitons à la lecture d’un passionnant article d’Etienne Balibar, intitulé « Le structuralisme: une destitution du sujet ? », afin de mesurer l’impact laissé par la méthode structurelle. L’auteur y analyse le structuralisme d’une perspective qui pourrait être définie comme post-structuraliste, en mettant en abîme la contribution de la pensée structuraliste à la reformulation philosophique de la question du sujet. Il révise ainsi le champ de la philosophie, avançant l’importance du « ‘devenir philosophique‘ des questions théoriques voire pratiques, et non leur position originairement philosophique ou ‘intérieure’ à un champ philosophique donné ».
Pour aller plus loin :
Introduction à l’anthropologie structurale : Lévi-Strauss aujourd’hui de Robert Deliège ;
Histoire du structuralisme T1 et T2 de François Dosse ;
Anthropologie structurale de Claude Lévi-Strauss ;
Au-delà du structuralisme : six méditations sur Claude Lévi-Strauss d’Emmanuel Désevaux ;
La modernité manquée du structuralisme de Maxime Parodi.