Quelle est la signification du terme Qa'ida" employé par Fatima Mernissi dans "rêves de femmes" ?
Question d'origine :
Bonjour,
Fatima Mernissi dans son livre "Rêve de femmes " parle de la "Qa'ida" qu elle décrit comme un ensemble de lois invisibles qui régit tout lieu, mais qui n a aucune forme visible, sauf par les conséquences violentes qui s abattent sur la personne qui l a enfraint.
Lorsque je cherche 'qa'ida' sur internet, on me renvoie à al qaida et à la loi religieuse. Mais il me semble que ce dont parle Mernissi n est pas tout à fait ça.
Pouvez vous m en dire plus ?
Merci, cordialement
Anette C
Réponse du Guichet
Ne pouvant consulter le document en question, il nous est difficile de vous répondre précisément.
Bonjour,
Il aurait fallu pour pouvoir vous répondre au mieux, que nous ayons accès au livre de Fatima Mernissi. Or le document est actuellement en prêt, et ce jusqu’à la fin du mois. Néanmoins, voici quelques pistes de recherche à creuser.
Commençons par rappeler que la qa’ida en arabe veut littéralement dire la loi. Ainsi, Leila Slimani fait référence à Fatima Mernissi et à la qa’ida dans son ouvrage Sexe et mensonges: la vie sexuelle au Maroc en ces termes:
"Avant d’être un individu, la femme est une mère, une sœur, une épouse, une fille. Elle est la garante de l’honneur familial et, pire encore, de l’identité nationale. Sa vertu est un enjeu public. Il reste donc à inventer la femme qui ne serait à personne, qui n’aurait à répondre de ses gestes qu’en tant que citoyen lambda, et pas en fonction de son sexe. La femme qui pourrait s’affranchir de la qa’ida, c’est-à-dire de la norme, de la coutume admise par tous. Beaucoup des activités préférées des gens telles que se promener, découvrir le monde, chanter, danser et exprimer son opinion font partie des interdictions pour les femmes. Le bonheur d’une femme viole la qa’ida, écrivait Fatima Mernissi.»
Ici, nous pouvons effectivement penser que le terme "qa'ida" renvoie bien à la loi religieuse et des coutumes admises par tous.
Mais la «Qa’ida» peut peut être également se rapprocher du concept de «l’al-Ghayb». C’est probablement ce que vous évoquez en parlant d’ensemble de loi invisibles, et cette notion relève alors de la mystique musulmane. Ainsi, en arabe
«Al-Ghaib fait référence à tout ce qui est caché d'une manière ou d'une autre. Le terme est composé de deux mots (un article définitif et un adjectif), "al" et "Ghaib", se traduisant littéralement respectivement par "le" et "invisible". Il possède de multiples significations complexes issues de la traduction figurative "la profondeur du puits". Étant donné que le fond du puits est visuellement dissimulé en raison de sa profondeur, son contenu est généralement indéterminable. Al-Ghaib fait donc référence à ce qui est absent, caché ou dissimulé. Dans le contexte islamique, al-Ghaib fait référence aux secrets transcendantaux ou divins. Il comprend à la fois les djinns (génies), les anges, le diable mais également la prédestination. Il est mentionné à soixante endroits différents dans le Coran.
Il existe deux types de Ghaib :
- Al-Ghaib al-Mutlaq: Le Ghaib absolu fait référence à toutes les connaissances qui sont invisibles ou cachées et qui ne sont connues que d'Allah.
- Al-Ghaib al-Nisbi: Le Ghaib relatif est proportionné à un individu et à sa situation ; par conséquent, il est apparent à certains tandis qu'il est caché à d'autres.»
Source Wikipedia.
Le site Ma langue arabe détaille quelques passages du Coran où il est question du Ghayb.
Notons qu'Eva de Vitray-Meyerovitch dans son ouvrage Universalité de l'islam reprend les paroles de Hakim Tirmidhi, mystique de la première époque du soufisme, en ces termes:
«L’image d’une chose, c’est son exemplarité. Dieu mentionne une chose qui est, dans l’immédiat, occulte et il la décrit au moyen d’une autre qui est manifeste et connue, afin que par elle on soit conduit à la chose occulte. Ainsi, sache que l’on ne propose ces paraboles qu’à celui qui est absent aux choses et pour qui les choses restent cachées. Aussi les fidèles ont-ils besoin qu’on leur propose des paraboles, car les choses restent secrètes pour eux. Dieu leur propose des paraboles tirées d’eux-mêmes et non de lui, afin qu’ils appréhendent ce qui leur reste occulte (ghayb).
En vérité, le Coran est un guide pour ceux qui croient au ghayb. Ce terme difficile à traduire, dénote ce qui élude la perception sensible, l’invisible, ce que l’esprit ne peut embrasser. C’est à l’Absolu que doit être rapporté tout ce qui est relatif: c’est le sens même de la profession de foi musulmane.»
Terminons par mentionner que le terme «ghayba» est utilisé pour décrire un état des chanteurs initiés au soufisme. Lorsqu’ils sont reliés à la Présence, ils en deviennent le pur réceptacle et entrent alors dans un état de ghayba: d’absence au monde sensible.
Pour aller plus loin:
Dans l'Influx: Portraits soufis, dans les pas des Mystiques ...
Sagesse céleste / Ahmad al-Alawi
Un éblouissement sans fin / Eric Geoffroy
L’Accès au Mystère / Abd Al-Qadir al-Jilani
Le soufisme / Annemarie Schimmel