Sur quel type de bateaux les Polynésiens sont-ils arrivés sur l'île de Pâques ?
Question d'origine :
Bonjour,
Est-il possible de savoir grâce à quel type de bateaux les Polynésiens sont arrivés sur l'île de Pâques? Merci!
Réponse du Guichet
Faute de matériel archéologique, il n'existe aucune certitude sur la forme des navires qui servirent aux Polynésiens à peupler l'Île de Pâques. En comparant les descriptions données au XVIIè siècle par les navigateurs occidentaux avec les vestiges trouvés dans d'autres îles, on peut toutefois penser qu'il s'agissait de pirogues bicoques à voile de type Tipairua.
Bonjour,
Si la maestria des cultures polynésiennes en matière de construction navale et de navigation ne fait aucun doute, comme nous vous le disions dans cette précédente réponse, il est difficile d'affirmer quoi que ce soit sur le peuplement de Rapa Nui dont la date même, selon les sources citées ci-dessous, est incertaine, les spécialistes la faisant varier du VIIè au XIIIè siècle de notre ère.
Dans une page consacrée à La Pirogue, berceau des Polynésiens, le Vice-Rectorat de la Polynésie française nous en apprend beaucoup sur le sujet :
Après une période dite d’isolement et de différenciation culturelle dans l’ensemble Fidji, Samoa et Tonga cette « société polynésienne ancestrale » d’où sont issues les cultures du « Triangle polynésien » succède celle des premières incursions vers les archipels centraux que les archéologues situent autour de 300 av J.C.
[...] les Polynésiens entament entre le XIème et le XIVème siècle le peuplement de la Nouvelle-Zélande depuis les Iles sous le vent achevant quasiment le peuplement des îles que les anthropologues appellent l’Océanie lointaine. On parle désormais de « Triangle polynésien » dont les extrémités sont Hawaï au Nord, l’île de Pâques à l’Est et Aotearoa « pays du long nuage blanc » au Sud-Ouest. L’archipel qui sera rebaptisé par les cartographes néerlandais de l’époque en l’honneur de la province néerlandaise de Zélande est l’un des derniers territoires découverts par l’homme sur la planète… et celui dont l’histoire est la plus courte.
Une histoire courte, mais qui s'appuie sur des siècles d'expérience maritime :
À la fin du premier millénaire, si les embarcations changent en fonction des techniques, des climats et de l’état des eaux, le quotidien des marins reste très similaire.
Le navigateur tient d’une main ferme, la barre franche, la pagaie ou le gouvernail car le moindre changement de cap peut entraîner de violents mouvements de la bôme. Après plusieurs jours de mer les corps se transforment, la peau constamment humide et attaquée par le sel se décolle aux extrémités des mains et des pieds, des escarres se dessinent dans le bas du dos. Les marins aux cheveux filasse et cassants prennent des repas frugaux qui assèchent les corps. On mange peu, surtout des fruits, des tubercules, du poisson, et de la viande séchés. Les aliments peuvent également être conservés par saumurage ou fermentation (popoi).
Le navigateur sent les éléments et jette un oeil furtif sur l’étoffe fixée au mât qui lui indique le sens du vent. Le roulis de son embarcation lui signifie comment manoeuvrer à travers une houle qui peut prendre la forme d’un clapot croisé comme en Méditerranée donnant ainsi l’aspect d’une eau à ébullition ou devenir longue et puissante dans le Pacifique. La température et la couleur de l’eau, le sens du courant, la course du soleil, la forme des amas nuageux sont de précieux repères. Il scrute l’horizon, observe les oiseaux de mer qui selon leur espèce peuvent lui indiquer si la terre est proche. Après plusieurs jours de mer ses sens sont si affutés qu’il pourrait, les yeux fermés, barrer son embarcation vers la bonne destination. Lorsque le temps est clément, on s’impose des moments de répit, c’est le temps des palabres, le temps où l’on chante et où l’on prie car il faut rester soudé. L’équipage et l’embarcation ne font qu’un. Chaque homme est indispensable de par sa fonction dans l’embarcation. Un homme à la mer est un homme mort ; il est souvent impossible de le récupérer, il disparaît rapidement avalé par les flots .
[...] Dès le début du XIX siècle les observateurs européens comme Dumont d’Urville déplorent le déclin de la navigation. Ils constatent la disparition de la flotte de pirogues doubles du roi Pomare dont Cook faisait état dans ses récits de voyage.
Et de fait, selon l'Encyclopaedia universalis, l'île a connu à notre époque moderne une "catastrophe écologique" ayant réduit sa flotte à peu de choses :
Entre le XVIe et le XVIIIe siècle, l'écosytème de l'île subit un bouleversement rapide et profond. Cette crise se situe peut-être vers 1680, au début de la période Huri moai. À cette date, obtenue grâce à la tradition orale par Sebastian Englert, règne une forte instabilité sociale et le rituel de crémation des cadavres est abandonné. Le palmier et les grands arbres disparaissent ; seuls subsistent quelques buissons de Broussonetia, Triumfetta, Cesalpinia, Thespesia et Sophora (le toromiro), dans une savane herbacée telle que Roggeveen l'a décrite en 1722. La disparition des bois d'œuvre ne permet plus le transport des statues et des mégalithes. La compétition entre les groupes doit trouver d'autres moyens d'expression. Par ailleurs, il n'est plus possible de construire de grands bateaux ; la flotte pascuane se réduit à quelques pirogues longues de 3 à 4 mètres. Les Pascuans sont désormais prisonniers de leur île. Des techniques horticoles adaptées à la dessication des sols sont alors développées : épandage d'herbe ou de pierres conservant l'humidité, protection des plantations par des murets.
Ainsi, l'ouvrage L'Île de Pâques édité par Anne Blanquer-Maumont et Céline Ramio sous la direction d'Aurélien Pierre nous apprend que "Si les pirogues continuent à être utilisées après les premières installations sur cette nouvelle terre, à ce jour, aucun artefact écologique ne nous permet d'en déterminer les caractéristiques". Les auteur.es donnent toutefois les caractéristiques des bateaux décrits par "les navigateurs occidentaux à partir de 1722" : une coque faite "de plusieurs bordages de bois [...], assemblés par des liens de fibres végétales et des chevilles de bois", relativement étroite et mesurant "de 3 mètres à 3,50 mètres de long, sans compter la proue et la poupe", lesquelles sont des pièces à part s'élevant en pointe. A cette coque s'ajoute un balancier "constitué de deux traverses et d'un flotteur." Des pagaies sont utilisées, ainsi que probablement des gréements, mais ceux-ci sont un mystère puisque les "nattes de feuilles de pandanus tressées" utilisées dans le reste de la Polynésie sont introuvables sur Rapa Nui. Il existe pourtant "un pétroglyphe sur le site cérémoniel d'Orongo qui figure une pirogue gréée d'une voile triangulaire. Il est possible, sur la foi de la même image, que des pirogues à double coque aient pu être utilisées, "emblématiques des flottes polynésiennes et dédiées aux voyages hauturiers."
Des vestiges archéologiques retrouvés sur l'île de Huahine, très éloignée de Rapa mais datant d'une période proche de son peuplement (vers le XIè siècle), témoignent de l'usage de navires hauturiers pouvant atteindre les 20 mètres et possédant ces caractéristiques. Les fragments retrouvés s'apparenteraient à une Tipairua, comme l'illustre cette gravure du XVIIIè siècle trouvée sur Wikimedia :
Pour aller plus loin :
LE PEUPLE DE L'OCÉAN : L'art de la navigation en Océanie / Emmanuel Descleves
Les Polynésiens et la navigation astronomique / Boulinier Georges, Boulinier Geneviève. In: Journal de la Société des océanistes, n°36, tome 28, 1972. pp. 275-284.
La culture polynésienne et la navigation / Adam Paul. In: Journal de la Société des océanistes, n°74-75, tome 38, 1982. Hommage au R. P. Patrick O'Reilly. pp. 139-142.
Ciel d’îles / Marie-Françoise Peteuil. in :
Hélène Guiot, « La construction navale polynésienne traditionnelle. Dimension culturelle d'un processus technique », Techniques & Culture [En ligne], 35-36 | 2001, mis en ligne le 10 septembre 2012, consulté le 19 septembre 2022.
Anne Di Piazza, Erik Pearthree, « L’art d’être pirogues de voyage en Océanie insulaire », Journal de la Société des Océanistes, 112 | 2001, 61-72
Bonne journée.