Où trouver l'Epître à Ambroise de La Porte de Ronsard ?
Question d'origine :
Bonjour,
Je recherche le texte d'un poème de Ronsard intitulé Epître à Ambroise de La Porte.
J'ai trouvé une référence à celui-ci dans le livre" Remonter la Marne" de J-C Kauffman.
Je ne le trouve même pas dans les Oeuvres complètes de La Pléïade.
Merci de votre aide!
Cordialement,
Anoukk
Réponse du Guichet

Extrait du recueil Gayetez, et de sa section "Les plaisirs rustiques", ce texte peu connu de Ronsard est disponible au moins dans une édition des oeuvres du poète par Prosper Blanchemain datant de 1866. Il célèbre les joies de la vie campagnarde et l'amitié. Ronsard étant dans le domaine public depuis quelques siècles, nous vous en donnons l'intégralité.
Bonjour,
Le poème "Epître à Ambroise de la porte parisien" est également connu sous le titre "A Maurice de la Porte". C'est ce que nous apprend une note du volume VI de l'édition des Oeuvres complètes du poète par Prosper Blanchemain, paru en 1866 et disponible sur Google livres. Cet ouvrage range le poème dans la section "Les plaisirs rustiques", une division du recueil Gayetez, dédié à "Jean Anthoine de Baïf".
Voici le texte, qu'on peut lire pp.345 à 347 :
En ce-pendant que le pesteux autonne
Tes citoyens l'un sur l'autre moissonne,
Et que Charon a les bras tout lassez
D'avoir déjà tant de mânes passez ;
Icy fuyant ta ville périlleuse,
Je suis venu prés de Marne l'Isleuse,
Non guère loin d'où le cours de ses eaux
D'un bras fourchu baigne les pieds de Meaux ;
Meaux, dont Bacchus soigneux a pris la garde,
Et d'un bon œil ses colines regarde,
Riches de vin, qui n'est point surmonté
Du vin d'Aï en friande bonté.
Non seulement Bacchus les favorise.
Mais sa compagne et le pasteur d'Amphryse,L'une y faisant les espics blondoyer,
L'autre à foyson les herbes verdoyer.Dés le matin que l'aube safranee
A du beau jour la clairté ramenée,
Et dés midy jusqu'aux rayons couchans,
Tout esgaré je m'enfuy par les champs,
A humer l'air, à voir les belles prées,
A contempler les colines pamprées,
A voir de loin la charge des pommiers
Presque rompus de leurs fruits autonniers,
A repousser sur l'herbe verdelette
A tour de bras l'esteuf d'une palette,
A voir couler sur Marne les bateaux,
A me cacher dans le jonc des isleaux.
Ores je suy quelque lievre à la trace.
Or' la perdris je couvre à la tirace,
Or' d'une ligne apastant l'hameçon.
Loin haut de l'eau j'enlève le poisson ;
Or' dans les trous d'une isle tortueuse
Je vay cherchant l'escrevice cancreuse.
Or' je me baigne, ou couché sur les bors,
Sans y penser à l'envers je m'endors.Puis reveillé, ma guitterre je touche.
Et m'adossant contre une vieille souche,
Je dy les vers que Tityre chantoit
Quand prés d'Auguste encores il n'estoit,
Et qu'il pleuroit au Mantoüan rivage,
Déjà barbu, son désert héritage.
Ainsi jadis Alexandre le blond,
Le beau Pâris, appuyé sur un tronc,
Harpoit, alors qu'il vit parmy les nues
Venir à luy les trois Déesses nues.
Devant les trois, Mercure le premier
Partissoit l'air de son pied talonnier,
Ayant es mains la pomme d'or saisie,
Le commun mal d'Europe et de l'Asie.Mais d'autant plus que, poète, j'aime mieux
Le bon Bacchus que tous les autres Dieux ;
Sur tous plaisirs la vendange m'agrée,
A voir tomber ceste manne pourprée
Qu'à pieds deschaux un gascheur fait couler
Dedans la cuve à force de fouler.Sur les coutaux marche d'ordre une troupe ;
L'un les raisins d'une serpette coupe,
L'autre les porte en sa hotte au pressouer,
L'un tout autour du pivot fait rouër
La viz qui geint, l'autre le marc asserre
En un monceau, et d'aiz pressez le serre ;
L'un met à l'anche un panier attaché,
L'autre reçoit le pépin escaché ;
L'un tient le muy, l'autre le vin entonne,
Un bruit se fait, le pressouer en résonne.Voilà, La Porte, en quel plaisir je suis
Or' que ta ville espouvanté je fuis ;
Or' que l'autonne espanche son usure.
Et que la Livre à juste poids mesure
La nuict égale avec les jours égaux.
Et que les jours ne sont ne froids ne chauds.Quelque plaisir toutefois qui me tienne.
Faire ne puis, qu'il ne me ressouvienne
De ton Paris, et que tousjours escrit
Ce grand Paris ne soit en mon esprit.
Je te promets qu'aussi tost que la bise
Hors des forests aura la fueille mise,
Faisant des prez la verte robe choir,Que d'un pied prompt je courray pour revoir
Mes compagnons et mes livres, que j'aime
Plus mille fois que toy ny que moy-mesme.
Selon l'article de Florence Bonifay Figures d’imprimeurs libraires dans quelques productions poétiques de la Brigade, paru en 2013 dans la revue "Réforme, Humanisme, Renaissance", cette belle épître est une témoignage des liens d'amitié qui unissaient souvent, au XVIè siècle, les poètes avec leur libraire-éditeur. Ronsard ne fut pas le seul à exprimer un tel attachement :
Tous ces traits que l’imprimeur-libraire a en commun avec le poète – amoureux malheureux ou amoureux jouisseur, savant, esthète, travailleur et destiné, pour toutes ces raisons, à une postérité glorieuse – permettent un rapprochement des intelligences et des coeurs entre certains poètes de la Brigade et quelques figures élues du monde de l’édition. C’est ainsi que certains poètes n’hésitent pas à qualifier leur imprimeur ou leur libraire d’ami. La Peruse parle de «[s]on ami G. Bouchet » et lorsqu’il s’apprête à quitter Poitiers c’est Guillaume Bouchet qu’il salue d’abord, avant Baïf, Tahureau, Borderie, Martin et d’autres membres du cercle littéraire poitevin :
Avant partir de ce lieu
A toi je veus dire Adieu,
Et maints personnages.
Je te dis doncques à Dieu,
Mon cher BOUCHET, qu’en ce lieu,
Contraint j’abandonne.
Ronsard, de même, considère Ambroise de La Porte comme un confident et ami, et déplore la distance qui les sépare. Dans son «Épître à Ambroise de la Porte Parisien » il raconte qu’il a fui Paris, où vit Ambroise et où sévit la peste, pour se réfugier à Mareuil-lès-Meaux où il mène une vie champêtre heureuse. Cependant Paris, ses amis et son imprimeur-libraire lui manquent :
Quelque plaisir toutesfois qui me tienne,
Faire ne puis qu’il ne me resouvienne
De ton Paris, & que tousjours ecrit
Ce grand Paris ne soit en mon esprit.
Et te promets que si tôt que la bise
Hors de son bois aura la feuille mise,
Faisant des prés la verte robe choir,
Que d’un pié pront je courrai pour revoir
Mes compagnons, & mes livres, que j’aime
Beaucoup plus qu’eus, que toi, ne que moimême.
Paris incarne ici un foyer de vie littéraire où se trouvent les «compagnons » , les «livres » et l’imprimeur-libraire. Et si dans cette triade ce sont les livres que Ronsard aime plus que tout, il affirme toutefois qu’il aime aussi ses compagnons et l’éditeur qu’est Ambroise de la Porte. Quoique de manière détournée, l’attachement à Ambroise est donc affiché.
Bonne journée.