Quel a été le rôle des adolescents / lycéens dans le mouvement mai 68 ?
Question d'origine :
Bonjour à vous toutes et vous tous,
J'aimerais bien savoir plus sur le rôle et la participations des adolescents / lycéens dans le mouvement mai 68. Je trouve beaucoup d'informations sur les étudiants mais difficilement sur la tranche d'âge indiqée.
Ce qui m'intéresse particulièrement, c'est leur attitude par rapport à la famille, l'école et leur rôle dans la société.
Merci beaucoup de votre soutien!
Remoris
Réponse du Guichet
Bonjour,
Si le mouvement lycéen est moins documenté que le mouvement étudiant dans son ensemble (qui inclut souvent les lycéens), quelques travaux abordent néanmoins spécifiquement la question. Ils s’accordent sur l’ampleur du mouvement et les facteurs favorables à sa naissance.
Un élément déclencheur semble être l'exclusion de Romain Goupil du lycée Condorcet, qui motive les premières manifestations. Elles sont facilitées par l'existence des CAL (Comités d'Action Lycéens) :
Le 27 janvier 1968, à la surprise générale, les lycéens sont très nombreux dans la rue (une fourchette de 500 à 1500 selon les estimations) à manifester contre l’exclusion définitive du militant de la JCR Romain Goupil du lycée Condorcet à Paris, accusé d’y mener des activités politiques, notamment celles du Comité d’Action Lycéen (CAL). C’est la première grande manifestation lycéenne.
Lire la suite en ligne : 27 janvier 68: les lycéens font collection de képis de policiers, Jean-Marc B., Blog Mediapart. Cet article résume assez bien l’essentiel et comporte des liens intéressants.
Les comités d’action lycéens.
Les CAL en mai 1968.
Après la première manifestation étudiante du vendredi 3 mai 1968, l’assemblée générale des CAL, réunie le 5 mai, appelle à la mobilisation générale. Durant toute la semaine, la mobilisation lycéenne va crescendo. Lundi 6 mai par exemple, dans le centre de Paris, des cortèges de lycéens se forment à partir d’un lycée et grossissent en passant d’établissement en établissement. Au fil des jours, ces « micro-manifestations » permettent de tester la combativité et de faire l’apprentissage de la rue. Le 10 mai 1968, elles convergent vers Denfert-Rochereau, rejoignant les étudiants, à la veille de la « nuit des barricades ». On compte 10 000 manifestants lycéens.
En mai 1968, dans 400 lycées occupés le sigle CAL est adopté partout, mais peut aussi bien correspondre à une assemblée générale, à un comité de grève, qu’à un groupe plus restreint. Les CAL ont leur propre structure et participent en tant que tels au mouvement de Mai 68. Des commissions se mettent en place dans les établissements, pour, certes organiser l’occupation (information, liaisons avec l’extérieur, service d’ordre, intendance,…), mais aussi la discussion. Le bureau national des CAL a regroupé des cahiers de revendications, des rapports, des journaux émanant de 250 lycées. Il en livre une synthèse avec un livre qui paraît à la rentrée de septembre : Les lycéens gardent la parole. On y compte 6 pages de critique de l’enseignement, 58 pages de propositions pédagogiques (nouvelles structures, organisation des études, disciplines enseignées), 14 pages consacrées à l’enseignement technique, autant sur le contrôle des connaissances, à nouveau 14 pages pour de « nouveaux rapports sociaux au lycée », 20 pages enfin plus « politiques » sur l’ouverture au monde extérieur et la liberté d’expression. Ainsi, alors même que le bureau des CAL se situe à l’extrême-gauche, ce qui prédomine ce n’est pas le discours révolutionnariste, mais les critiques et les propositions de réforme. Comme pour l’université, nous sommes ainsi loin de l’image mythique du lycée « soixante-huitard » ultra politisé et désintéressé des revendications immédiates et quotidiennes.
Robi Morder, amplement cité dans ces textes revient dans le blog Mediapart sur la participation lycéenne dans Lycéens des années 68, les grands inconnus? et donne plusieurs références. Il rappelle aussi dans son ouvrage, écrit avec Didier Leschi, Quand les lycéens prenaient la parole : les années 68, ainsi présenté par l’éditeur :
Le 10 mai 1968, les étudiants ne sont pas seuls. Par milliers, les lycéens les ont rejoints dans la « nuit des barricades ». Ils créent la surprise et l’on découvre les Comités d’action lycéens.
Dans les 300 lycées occupés, ces jeunes qui n’ont pas encore le droit de vote s’organisent en assemblées, commissions, comités, rédigent des cahiers de revendications, élaborent des projets de réforme tout en participant à la révolution de Mai. L’un des leurs, Gilles Tautin, y perdra la vie.
Au cours des « années 68 », le mouvement lycéen est à chaque fois plus massif, dans la rue et dans la grève.
Voir aussi : les échanges autour de ce livre en vidéo, Mai 68 et le mouvement lycéen, Didier Leschi et Matériaux pour l'histoire de notre temps, Année 1988 11-13, pp. 260-264.
Autre référence incontournable : Claude Zaidman, autrice d’une thèse sur Le mouvement lycéen en mai 1968 et dont vous pouvez lire en ligne les articles Engagement et sociologie et Contestation et lycéens dans Les Cahiers du CEDREF, 15/2007. Le second analyse finement le mélange de contestation et de revendication, qui motive les mouvements lycéens :
Ces deux pratiques, «contestation» et «revendication», qui constituent les deux éléments du mouvement lycéen, se manifestent à tous les niveaux : discours, action, mode d’organisation. La revendication reprend l’héritage de la pratique syndicale de l’UNEF, des syndicats enseignants, des organisations politiques ou pédagogiques s’ «occupant» des problèmes de l’enseignement. Qu’elle s’exprime en termes de projets, de réforme ou de stratégie revendicative, à quelque niveau de l’institution qu’elle s’attaque, sa caractéristique est d’être toujours un discours et une action rationnelle, partant d’une analyse déductive, définissant son terrain de lutte, ses adversaires et ses objectifs et pouvant donc donner lieu à des discussions et compromis. La contestation, au contraire, directement issue de l’expérience du 22 mars, est révélation des contradictions et des antagonismes; s’attaquant à un aspect de l’institution, à un mouvement précis, par la violence ou par l’humour, elle dévoile à la fois le caractère répressif et la faiblesse de l’institution. Elle est guérilla, affrontement direct avec l’autorité sous toutes ses formes, soudaineté et imprévisibilité des coups portés sont sa seule règle du jeu.
La revendication repose sur la reconnaissance de fait de la légitimité de l’institution, dans sa fonction de diffusion des connaissances, c’est seulement sur la façon dont elle remplit cette fonction que les clivages se font – la contestation fait éclater l’institution dans la mesure où elle s’attaque aux fondements mêmes de sa légitimité et donc de l’autorité : le modèle culturel transmis, c’est-à-dire à la fois les connaissances, les valeurs transmises et les méthodes de travail et d’organisation des études.
On voit bien qu’on ne parle pas ici en termes de contenu plus ou moins revendicatif ou plus ou moins contestataire mais d’un certain type de rapports avec l’adversaire : d’une part, dialogue et participation, d’autre part, état de guerre, qui à leur tour impliquent des prises de position antagonistes sur tous les problèmes essentiels tels qu’ils se sont posés dans les lycées.
Mais ce n’est que dans le cadre de chaque situation concrète que l’on peut définir les deux voies et les deux camps qui s’opposent: les amis et les ennemis.
Nous vous conseillons de lire tout l’article qui vous permettra de mieux situer ce mouvement dans le contexte social et politique.
A consulter pour aller plus loin :
Les lycéens des années 68, Les utopiques.org.
Les lycéens : contribution à l'étude du milieu scolaire, Gérard Vincent
Le roman vrai de mai 68, Patrick Fillioud
68, une histoire collective, p. 385-390 Grèves et mouvements lycéens, Robi Morder et p. 608-615 Imaginer l’école d’une société libre, Christian Laval
Exposition: Mai-Juin 68 dans les lycées et collèges, présentation sur le site du CODHOS
Une contre-histoire de Mai 68, Entretien avec Julie Pagis, par Nicolas Duvoux & Jules Naudet , La Vie des idées, le 21 mai 2018 sur Mai 68, un pavé dans leur histoire
Mai 68 : l'exclusion de Romain Goupil détonateur du mouvement lycéen, par Sophie Guerrier, Le Figaro 19/01/2018
Sous les pavés, l’embrasement, FranceInfo
Mai 68 dans les collèges et les lycées: "la levée d'une chape de plomb", Le point en ligne, 5/04/2018
Mai 68 par celles et ceux qui l’ont vécu: p. 69: Soulèvements dans le monde étudiant et lycéen, p. 124: A hauteur d’enfant
Ils étaient enfants et se souviennent, Christine Simeone, France Inter, 19 mars 2018
Deux articles de l’Obs (alors Nouvel Observateur) de 2008 :
J’ai vécu mai 68 au lycée et J’ai vécu mai 68 au lycée … suite
Bonnes lectures !