Comment a évolué l'industrie campanaire dans les villes au 19e et au début du 20e siècle ?
Question d'origine :
Bonjour,
Je m'intéresse à l'évolution de l'industrie campanaire en milieu urbain durant le 19ᵉ et le début du 20ᵉ siècle, période marquée par une urbanisation rapide et une industrialisation croissante. Plus précisément, comment les fondeurs de cloches et l'industrie campanaire dans des régions telles que le Nord et l'Est de la France, la Belgique ou encore l'Italie ont-ils réussi à s'adapter à ces transformations économiques et technologiques ? Quelles innovations ont été mises en place pour maintenir ou transformer cette activité artisanale dans un contexte urbain et industriel ? Quels ont été les principaux défis, tant sur le plan social qu'économique, que ces artisans ont dû affronter ?
Je vous remercie par avance pour votre réponse.

Réponse du Guichet

La spécificité du métier de saintier, sa rareté, nous fait dire que la campanologie n’a pas eu besoin de se "maintenir" ou de "rivaliser" avec la Révolution industrielle. Complémentaire, l'artisanat s'en est même d'ailleurs plutôt inspiré.
Bonjour,
Comme vous l’avez-vous-même relevé dans votre question, il existe bien une différence entre industrie et artisanat. Souvent mis en opposition, les deux font appel à un savoir-faire particulier mais des techniques de réalisation différentes. L’ouvrier produit grâce à une mécanisation. On assiste alors souvent à une standardisation du produit fini tandis que l’artisan façonne selon des procédés dits "manuels" et "traditionnels" donnant souvent alors un produit fini plus unique. Par ces définitions, force est de constater que la campanologie et plus particulièrement la fonte des cloches (tout comme la fonderie en général) relève avant tout de l’artisanat bien plus que de l’industrie.
Ainsi, vous nous demandez quel fut l’impact de la révolution industrielle du XIXème siècle sur les artisans notamment les fondeurs de cloche que ce soit au niveau technologique, économique ou social. Et bien notre réponse risque peut être de vous étonner…
Les fondeurs de cloches ou "saintiers", comme on les a nommé, possèdent un savoir-faire unique et précis. Au-delà de la maîtrise technique de la métallurgie, il faut également avoir une ouïe développée et une appétence musicale car chaque cloche possède un son particulier selon ses caractéristiques. Le type d’édifice, la région où il se situe ainsi que la culture locale définissent avec quelle tonalité les cloches doivent tinter. C’est une expertise que possède le fondeur de cloche. Il s’agit donc d’un métier à la fois technique, physique mais aussi culturellement traditionnel. D’ailleurs, chaque famille possède ses secrets de fonte, souvent hérités du Moyen-Âge. C’est pourquoi il n’existe aucune formation pour le devenir. Il s’agit d’un métier qui se transmet en général de génération en génération (et ce, encore aujourd’hui). On compte 86 fondeurs de cloche en France au milieu du XIXème siècle contre 35 au début du XXème siècle. Aujourd’hui, on compte seulement trois grandes fonderies en France, trois entreprises familiales : Dominique Bollée (Loiret), Cornille-Havard (Manche), Paccard (Haute-Savoie).
La spécificité du métier de saintier, sa rareté de plus en plus accrue, nous fait alors dire que la campanologie n’a pas eu besoin de se "maintenir" ou de "rivaliser" avec l’industrie grandissante du XIXème siècle. Les deux sont complémentaires et ont cohabité ensemble.
Il faut aussi souligner que le contexte historique de l’époque est également propice à la fonte des cloches. En effet, la Révolution française avait ordonné par le décret du 23 juillet 1793 de ne conserver qu’une cloche par commune ce qui avait entraîné la perte d’environ 100 000 cloches (souvent fondues en canons pour les besoins de la guerre) mais aussi la disparition d’une centaine de maîtres saintiers alors qu’on pouvait les compter au nombre de 200 à la veille de la Révolution.
Toutefois, le XIXème siècle remis à l’ordre du jour l’utilisation du clocher dans la société. La cloche, qui rythmait la vie des campagnes autrefois, n’est plus uniquement l’apanage des églises désormais. Les cloches sont utilisées comme un indicateur de temps, des horloges un peu partout : on les trouve alors dans les villes, dans les bâtiments civils et administratifs, dans les banques, à l’usine… Les cloches continuent à rythmer la vie des communes par un paysage sonore important et ce, jusqu’à la fin Seconde Guerre mondiale.
De même, la Révolution industrielle n’est pas antagoniste à la fonte des cloches. Les nouvelles technologies et découvertes scientifiques participent à la mutation du métier sur le plan technique mais aussi social. En effet, la création et le développement du chemin de fer permet alors de déplacer plus facilement les cloches notamment celles au diamètre et au poids important. De même, l’essor de l’industrie permit également l’utilisation de treuils pour monter plus facilement les cloches dans leurs tours. De fait, les saintiers qui étaient avant itinérants et coulaient les cloches directement sur place peuvent enfin installer de vrais ateliers de fonderie et développer de nouvelles techniques.
C’est ainsi que fut encouragé une transformation majeure : l’invention du pantographe en 1883 par le fondeur Amédée Bollée. Cet instrument permis alors de tracer des profils de cloche de manière très précise et même parfaits dès la première coulée et donc d’améliorer les sons de cloche mais aussi la décoration esthétique de celle-ci sans avoir à réaliser de retouche.
A ces deux évolutions majeures il faut ajouter l’invention des paliers à couteaux (ancêtres du roulement à billes), qui, fixés à la poutre du beffroi permettent de limiter l’usure et de sonner les cloches de volée dans des lieux à l’espace limité.
Une autre évolution motivée par les progrès scientifiques de la Révolution industrielle est celui de l’alliage. Le développement de nouvelles techniques métallurgiques permettent d’obtenir des alliages plus purs en ne mélangeant plus de plomb (ou autre métal indésirable) pour arriver au poids souhaité, essentiel pour obtenir un bon tintement. Ainsi, les nouveaux alliages des cloches sont composés en général de 78% de cuivre et 22% d’étain ce qui permet une qualité nettement supérieure. Les battants et les moutons des cloches sont également produits dans des métaux plus adaptés pour leur poids. De même, les installations des clochers se font maintenant en fonte et non plus forcément en bois, les jougs notamment. Cela permet, en plus de la solidité de la structure, un meilleur son plus précis mais également de développer de nouvelles tonalités et ce notamment pour les carillons dont la machine à carillonner inventée en 1895 révolutionna la pratique et la transmission.
Ces changements techniques permirent un gain de temps sur la fabrication des cloches mais aussi de satisfaire des demandes de plus en plus élaborées. Et donc, en plus d’en améliorer le son, les cloches furent dès le XIXème siècle d’autant plus décorées. Si autrefois elles arboraient des décors souvent religieux, les cloches qui dorénavant sont présentes dans l’espace public sont à décorées de toute sortes d’images figuratives souvent à l’instigation du commanditaire qui fait parfois appel à un artiste pour réaliser ledit décor.
Un des plus beaux exemples de ces cloches très décorées est celui de la plus grosse cloche de France (19 tonnes pour 3 mètres de haut et 9 mètres de diamètre!), celle qu’on a appelé la Savoyarde (car fondue par l’entreprise savoyarde de renommée Paccard) et qui a pour domicile la basilique du Sacré-Cœur de Montmartre à Paris.
Ces améliorations vont continuer le perfectionnement de la cloche tout le long du XXème siècle avec par exemple leur électrification dans les années 1950-1970 permettant alors d’éviter le silence des cloches instauré à la suite des deux guerres mondiales (destructions et disparition de cloches). De plus, l’automatisation des sonneries était devenue essentielle suite à la raréfaction du métier de sonneur de cloches. Depuis les années 1980, les cloches font partie d’un véritable patrimoine culturel, artistique, esthétique mais aussi sonore et dont l’enjeu de conservation reste aujourd’hui important. On compte actuellement un peu plus de 6 000 cloches inscrites au titre des monuments historiques, parmi celles-ci seulement 2% datent des XIXème et XXème siècles.
Vos interrogations faisant appel à un domaine très spécifique, nous ne pouvons répondre d’avantage compte tenu du peu de documentation que nous ayons en notre possession sur le sujet. Nous vous recommandons toutefois de vous adresser directement à la Société Française de Campanologie dont vous trouverez les coordonnées ici.
Voici toutefois quelques pistes bibliographiques :
Via cette précédente réponse du Guichet
L'art campanaire en Occident : histoire, facture et esthétique des cloches de volée : le cas français, Hervé Gouriou, éditions du Cerf, 2006.
Les cloches de la terre : paysage sonore et culture sensible dans les campagnes au XIXe siècle, Alain Corbin, éditeur Albin Michel, 1994.
Cloches : voix de Dieu, messagères des hommes, Arnaud Robinault-Jaulin, éditions Rempart Desclée de Bouwer, 2003.
La grande aventure des cloches, Eric Sutter, éditions Zélie, 1993.
Histoire de l'industrie en France : du XVIe siècle à nos jours, Denis Woronoff, éditions du Seuil, 1994.
Un siècle d'histoire industrielle en France, 1880-1970 : industrialisation et sociétés, Alain Beltran, éditions SEDES, 1998.
La révolution industrielle : 1770-1880, Jean-Pierre Rioux, éditions Points Seuil, 2015.
En vous souhaitant d'agréables lectures ! :)
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