D'où viennent les motifs des boubous en wax africains ?
Question d'origine :
Comment se décide les modes de motifs sur les boubou en wax africains ? Y a-t-il des aarttistes qui les créent ?
Réponse du Guichet
Les motifs du wax ont été imaginés par ceux qui l'ont commercialisé, à savoir les industriels des colonies anglaise et hollandaise. Ils envoyaient des employés "en mission dans différentes nations africaines pour cerner les tendances en termes de coloris, de dessins et d'aspirations en général." Les raisons des motifs wax peuvent être "tant individuelles que sociales, politiques ou religieuses." Auparavant, les noms des créateurs associés au wax n'étaient pas connus. Le tissu et son motif sortaient comme un produit anonyme. C'est avec la nouvelle vogue pour ce textile qu'ils ont été mis en valeur.
Bonjour,
Le textile wax est un tissu de coton doux et souple, imprimé des deux côtés, teint selon un procédé à la cire (wax en anglais) ce qui lui confère une propriété hydrophobe. Cette technique de teinture est originaire d'Indonésie où elle est appelée batik. Elle a été récupérée par les anglais et les hollandais qui "tentèrent de la développer en la mécanisant pour réduire les coûts et les temps de production", explique Anne-Marie Bouttiaux dans son livre Wax. Mais c'est en Afrique occidentale que les efforts d'implantation commerciale des britanniques et néerlandais connaissent un succès.
Considéré comme le tissu africain le plus emblématique, le wax est une tradition inventée, un produit que l'Europe a élaboré pour séduire les populations de l'Afrique de l'Ouest. Bien avant de devenir le reflet d'une certaine identité africaine revendiquée et assumée, le wax est né de l'impérialisme occidental et du génie compétitif d'industriels et de marchands dont l'audace a franchi les frontières. Deux grandes rivales, l'Angleterre et la Hollande, ont remporté cette conquête tentaculaire qui a atteint jusqu'à l'Asie. Une histoire qui se perpétue depuis des siècles.
Source : Wax & Co. : anthologie des tissus imprimés d'Afrique / Anne Grosfilley, 2017
Pour en savoir plus sur l'histoire du wax, vous pouvez lire notre réponse à la question D'où vient le tissu wax ?.
La technique du wax consiste à révéler par des bains de teinture les motifs en réserve qui ont été appliqués à la cire ou à la résine. Mais qui a inventé ces motifs ? Qui les dessinent ? Y a-t-il des artistes du motif wax ?
C'est probablement à la fin du XIXè siècle "que s'établirent les premiers contacts avec la côte ouest-africaine pour déterminer les goûts de la population en matière de motifs, tenter de créer ceux-ci sur la base des informations reçues et de les reproduire sur tissus" (Bouttiaux) :
Encore récemment, des employés de l'usine Vlisco étaient envoyés en mission dans différentes nations africaines pour cerner les tendances en termes de coloris, de dessins et d'aspirations en général. Les intermédiaires sur place étaient habituellement les commerçantes de pagnes et de tissus vendus par yard qui écoulaient la marchandise et étaient en prise directe avec la clientèle. Dans les archives et les bibliothèques de Vlisco, on trouve des dizaines d'ouvrages d'anthropologie et d'ethnographie dans l'iconographie desquels les créateurs peuvent se plonger.
Bouttiaux ajoute, qu'après avoir été imposée, l'identité wax associée au continent africain, a été reconquise par le biais des motifs dont la réinterprétation "au sein de populations particulières, en fonction d'événements, de personnages ou de rituels locaux, a investi les textiles d'une nouvelle identification et cette fois totalement en adéquation avec leur nouveau milieu géographique." D'ailleurs ils constituent "une manière d'établir une appropriation plus précise géographique voire "ethnique"."
Par exemple, au départ de l'usine Vlisco de Helmond, un dessin choisi, qui se décline habituellement en plusieurs couleurs différentes, possède seulement un numéro d'inventaire. Son arrivée en Afrique va le gratifier d'un nom donné en fonction de circonstances particulières et en lien avec les personnes qui l'utiliseront, avec pour résultat que cette appellation pourra être différente suivant les régions. [...] L'accueil d'un homme d'Etat ou d'une personnalité importante peut constituer l'occasion de donner un sobriquet à un nouveau wax dont la sortie sur le marché coïnciderait avec la visite officielle. Au sein d'une famille, un épisode mémorable peut servir d'argument pour affubler un motif d'un titre qui le rappelle. Une population spécifique peut décider d'adopter un type de tissu, comme c'est le cas des femmes ibo du Nigeria qui ont créé un lien entre un type de wax et leur association. Les raisons tant individuelles que sociales, politiques ou religieuses d'attribuer une désignation sont multiples.
[...]
La mise en valeur des créateurs de modèles est également un phénomène qui a accompagné la nouvelle vogue pour les tissus wax. Auparavant, lorsqu'ils étaient connus, leur nom n'étaient pas nécessairement repris et le textile sortait comme un produit anonyme. Aujourd'hui, les publications et les expositions se multipliant, les divers motifs sont valorisés en lien avec leur date de production et leur créateur, quand c'est possible. L'exposition "Vlisco 1:1 Un à Un" au musée communal de Helmond" du 20 septembre 2016 au 18 mars 2017, présentait notamment, associés à leurs créateurs, une série de dessins qui avaient été choisis et commentés par des collègues et d'autres designers de renom.
Les wax à motifs politique et religieux ne sont pas réalisés avec la technique authentique car ils incluent des reproductions de photographies ou d'images religieuses
Le motif politique
Pour une grande part, ces textiles exaltent la gloire d'un individu ou d'un parti politique en relation avec les pays d'Afrique dans lesquels ils sont exhibés.
Le motif religieux
... un motif de textile wax préexistant peut être réinterprété et envisagé selon des préceptes chers à l'exégèse chrétienne, comme c'est le cas de "L'escalier", perçu comme celui que l'on gravit et qui mène à Dieu.
Le motif lié à la vie sociale
Soit les significations se trouvent à la source dans le chef de créateurs occidentaux inspirés par des formes et des images voire des stéréotypes provenant d'Afrique, ou dans celui de créateurs africains qui travaillent dans les usines locales (que celles-ci soient ou non sous obédience asiatique ou européenne), ou encore dans celui de créateurs africains ou de la diaspora engagés contractuellement et ponctuellement pour produire un nouveau projet ; soit - c'est le plus souvent le cas - les explications et les dénominations sont attribuées après coup par les commerçantes ou leurs clientes, et de ce fait peuvent varier d'une région ou d'un à l'autre.
Les situations conjugales et sentimentales ont bien sûr la part belle dans un univers qui reste, malgré tout, essentiellement féminin. En effet, même si les hommes portent le wax ( et aussi le confectionnent et le cousent en vêtements pour les deux sexes), celles qui achètent, jugent et font des associations entre les dessins et des situations de la vie citadine ou rurale sont avant tout les femmes.
[...]
Les exemples les plus représentatifs qui évoquent la vie conjugale sont connus sous les dénominations :
- " Tu sors, je sors ", déclarant que, dans un couple, si l'un des partenaires fait des écarts, il doit s'attendre à ce que l'autre en fasse autant.
- " L'œil de ma rivale ", aussi connu au Congo (RDC) sous l'appellation en lingala liso ya pite : "l'œil de putain".
- " Mon mari est capable ", suggère la capacité du conjoint à entretenir sa femme et à lui offrir tout ce dont elle a besoin (dont les pagnes !), mais peut faire allusion à sa vigueur sexuelle. " Mon mari est capable " est surtout connu avec cette dénomination au Congo et en Côte d'Ivoire, mais comme le dessin représente une bouche ou des lèvres, il a également été affublé d'autres noms dans diverses régions : bisous, chin chin, lipstick, lips, etc.
- " Ton pied, mon pied ", c'est le couple soudé : la femme dans le sillage de l'homme.
- " La famille ", dépeint un groupe de poules et de poussins. Le coq quant à lui est réduit à une tête, sous-entendant que ce sont les femmes qui préservent l'unité, le bien-être et la santé de la famille. Du coup, dans certains cas, il est attesté comme " Mon mari est incapable ".
- " Je cours plus vite que ma rivale " met en scène un cheval qui se cabre. Il est interprété dans ce contexte de jalousie en Côte d'Ivoire. Au Nigeria, le motif est spécialement apprécié par les associations de femmes ibo.
- " Les enfants valent mieux que de l’argent ", expression de discorde dans les familles polygames quand une co-épouse ne parvient pas à avoir des enfants ou quand elle est la dernière arrivée dans le foyer et ne peut encore revendiquer d'avoir donné une progéniture à son mari.
A l'entrée wax, dans son paragraphe Motifs et culture, Wikipédia ajoute :
Les motifs fort variés des wax sont dotés d'appellations spécifiques, formant un véritable lexique. Prenant acte de sa présence au quotidien, le pagne peut être vu comme un véritable média et, pour qui sait « lire » ses messages, servir de moyen d’information sur les « événements du jour ». Ils varient selon les pays, les années, les dessins, les teintes, leurs combinaisons, ou « variantes ». Les motifs, parfois humoristiques ou populaires (images de héros de série télévisée, formules chocs…), en sont dessinés par des artistes burkinabés, maliens, ivoiriens principalement. Parmi les motifs les plus appréciés, dont le nom est resté en usage, on peut citer, avec leurs significations :
« Money can fly » ( l’argent s’envole) : des hirondelles
« L'œil de ma rivale » : dans un contexte familial épineux entre co-épouses, je sollicite la parole et une prise de position du mari20.
« Genito » : je suis une dame bien établie, et j'aime les hommes jeunes.
« Les enfants valent mieux que de l’argent » : une poule entourée de poussin et d’œufs (rappelle la position importante qu’a la femme dans la famille)
« Collier de Thérèse » ou « ongles de Thérèse » : en référence à Marie-Thérèse Houphouët-Boigny, épouse élégante et raffinée du premier président ivoirien9,21.
« Sac de Michelle Obama » et « chaussures de Michelle Obama » : motifs Vlisco sortis à l'occasion de la tournée de la Première dame américaine en 20139.
« Jalousie » : deux oiseaux qui se font face.
« Feuilles de gomboN 2 » : je suis une femme sage, qui a beaucoup épargné ; j'ai à offrir20.
« Z’yeux voient, bouche ne parle pas » : par le maintien de la discrétion, règle de savoir-vivre, j'invite à peser toutefois l'ampleur de vos actes20.
« Fleur de mariage » : fleurs d'hibiscus[réf. souhaitée]
« Richesse du pays » : des cabosses de cacao et des billets (en référence à la prospérité de la Côte d'Ivoire longtemps fondée sur l'exploitation du cacao).
Sur cette question vous pouvez regarder cette courte vidéo :
Le wax et la mode
En terme de mode, on peut dire que "le wax s'est imposé dans tous les registres : à la fois celui d'une "africanité" revendiquée et celui d'une fascination pour l'Occident exhibée. [...] grâce aux enquêtes auprès des vendeuses et des acheteurs, les couleurs et les motifs se sont intensifiés, diversifiés et distingués en fonction des attentes locales..." (Bouttiaux).
... les designers africains ou d'origine africaine ont décidé d'entrer dans la danse et on ne compte plus ceux qui ont intégré le wax dans leurs créations. [...] Par ailleurs, de plus en plus de couturiers venus de tous les horizons s'emparent des tissus wax (ou inspirés des motifs wax) pour concevoir des lignes de vêtements qui évoquent l'étrangeté de l'Afrique et la fascination que ce continent exerce toujours : chatoiement des couleurs, associations inattendues et audacieuses des dessins et des tons, rythme, joie débridée. [...] Il y a aussi des enjeux humanitaires, de revalorisation d'un "ethos" africain malmené et idéalement de récupération de bénéfices usurpés.
[...]
Les stylistes africains ou de la diaspora ont une grande aisance dans l'art de tirer parti des dessins parfois intensément présents, mais ils ne sont pas les seuls à s'en sortir avec brio. D'autres prennent le parti de se laisser envahir par les motifs et tablent sur leur potentiel singulier pour les imposer dans des vêtements qui manifestent un besoin d'originalité à tout prix. D'autres encore travaillent plutôt les couleurs en les assortissant ou en les opposant brutalement. Le wax permet tous les cas de figure, y compris celui de la sobriété, mais souvent il ouvre la porte à des tentatives marquées par l'exaltation et l'enthousiasme qui s'expriment avec plus ou moins de bonheur et dans la promotion desquelles les stars ont aussi un rôle à jouer.
Parmi ces stylistes on compte Gisèle Gomez, Ib. D. (Ibrahim Dramé), Reuben Reul, Delasebure, Natacha Baco, Ondine Saglio... Vous trouverez peut-être d'autres noms en consultant notre réponse à la question Quelle créatrice de mode africaine est actuellement en vogue en Afrique et dans l'hémisphère nord ?.
Bonne journée.