Y a-t-il toujours eu plus de femmes que d'hommes dans l'histoire de l'humanité ?
Question d'origine :
Y a-t-il toujours eu plus de femmes que d'hommes dans l'histoire de l'humanité, comme c'est le cas actuellement, et était-ce pour les mêmes raisons ?
Réponse du Guichet
La répartition du nombre d'hommes et de femmes sur Terre s'appelle le sex-ratio. D'après l'Ined "s’il y a à peu près le même nombre de femmes que d’hommes sur Terre, les hommes sont légèrement plus nombreux : 102 hommes pour 100 femmes en 2020." L'étude du sex-ratio à l'échelle de l'histoire de l'humanité est complexe. Quelques données ont été réunies par Eric Brian et Marie Jaisson dans leur ouvrage Le sexisme de la première heure: hasard et sociologie.
Bonjour,
La répartition du nombre d'hommes et de femmes sur Terre s'appelle le sex-ratio dont voici la définition du Larousse :
Le sex ratio définit le rapport des sexes d'une population humaine donnée ; on l'exprime soit par le nombre d'hommes ou de garçons pour 100 femmes ou filles, soit par le nombre de femmes ou de filles pour 100 hommes ou garçons.
L'Institut national d'études démographiques, l'Ined, donne des chiffres sur ce rapport des sexes actuellement sur la planète dans l'article Y-a-t-il plus d’hommes ou de femmes sur Terre ? :
S’il y a à peu près le même nombre de femmes que d’hommes sur Terre, les hommes sont légèrement plus nombreux : 102 hommes pour 100 femmes en 2020. Plus précisément encore, sur 1000 personnes, 504 sont des hommes (50,4 %) et 496, des femmes (49,6 %). Il naît un peu plus de garçons que de filles : 106 garçons pour 100 filles. Mais on enregistre une plus forte mortalité chez les garçons que chez les filles ; c’est vrai dans l’enfance, mais aussi à l’âge adulte.
Il arrive donc un âge où les hommes et les femmes sont en nombre égal : dans le monde, c’est entre 50-54 ans. Au-delà, ce sont les femmes qui sont plus nombreuses, l’écart se creusant avec l’âge. Ainsi, huit centenaires sur dix sont des femmes en 2020.
Comme indiqué en note de l'article, ces chiffres s'appuient sur l'étude Perspectives de la population mondiale de 2019 réalisée par le Département des affaires économiques et sociales des Nations Unies. Ce même site offre une base de données qui "présente des estimations démographiques de 1950 à nos jours pour 237 pays ou zones, étayées par des analyses des tendances démographiques historiques. Cette dernière évaluation [2022] prend en compte les résultats de 1 758 recensements nationaux de la population menés entre 1950 et 2022..."
En entrant vos choix sur le portail de données, vous pourrez affiner ces chiffres, en choisissant l'indicateur "Rapport de masculinité de la population totale" qui donne le "nombre de naissances masculines pour 100 naissances féminines", par année entre 1950 et 2022 et pour 237 pays.
En outre, dans son article Les tribulations des femmes à travers l'Histoire, XXIe siècle : où vont les femmes ?, la revue Hérodote explique le déséquilibre du sex-ratio par la maltraitance et l'élimination de personnes du sexe féminin dans certains pays :
... la société chinoise accorde la primeur à la gent masculine et cette préférence s’est même aggravée dans les dernières décennies comme l’indique un facteur déterminant : le sex-ratio à la naissance ! Sachant que les populations eurasiennes donnent normalement naissance à 105 garçons pour 100 filles, le rapport est aujourd’hui de 120 à 100. Ce déséquilibre grave n’est égalé que par l’Inde du nord.
L’Inde, justement, concourt pour la première place au triste palmarès des femmes les plus maltraitées. Dans ce pays, le sex-ratio déséquilibré à la naissance viendrait de la généralisation de la dot, une coutume autrefois marginale : la grande majorité des filles sont promises dès l’enfance et leurs parents s’obligent à verser une dot conséquente au mari le jour venu, ce qui fait dire qu’« avoir une fille, c’est arroser le jardin du voisin ». En cas de mésentente familiale, plutôt que de divorcer et rendre la dot, il arrive que des maris indélicats préfèrent occire leur épouse, d’où le nombre élevé de femmes victimes d’un « accident domestique » au butagaz ou à l'acide (plusieurs dizaines de milliers par an d'après l'Atlas mondial des femmes, éditions Autrement, 2015).
Dans leur ouvrage, Le sexisme de la première heure: hasard et sociologie paru en 2007, Eric Brian et Marie Jaisson, s'interrogeant sur ce phénomène des "filles disparues" (missing girls), confirment que "dans les pays riches, il naît aujourd'hui 51,2 % de garçons et 48,8 % de filles. En Chine, il en naît respectivement 55 % et 45 %".
Par ailleurs, une publication de Factuel/AFP (Agence France-Presse chargée de collecter, vérifier, recouper et diffuser l'information, sous une forme neutre et factuelle) démenti l'affirmation selon laquelle il y aurait plus de femmes que d'hommes dans le monde dans Non, l’ONU n'a pas affirmé qu'il y a 5,6 milliards de femmes et 2,2 milliards d’hommes dans le monde.
Concernant l'étude du sex-ratio dans l'histoire de l'humanité, la tâche est d'envergure. Dans leur livre, Eric Brian et Marie Jaisson "reconstituent les formes du dénombrement des sexes à la naissance depuis trois siècles" (source : 4e de couverture). L'introduction nous apprend que le sexe de l'enfant est "largement documenté depuis plusieurs siècles" dans les registres de naissance "même s'il arrive que cette inscription soit discutable". Ils soulèvent plusieurs questions :
Faut-il voir dans la proportion des deux sexes à la naissance comme une constante connue depuis le XVIIIe siècle ?" [...] comment a-t-on pensé et saisi la variabilité éventuelle de ce phénomène ? [...] la naissance et la reconnaissance du sexe du nouveau-né se prêtent-elles à l'enquête sociologique ? Faut-il s'en tenir au constat d'une donnée purement biologique ou bien à une incertitude définitive ?
Ensuite est précisé à partir de quels "éléments repérés dans l'enquête historique", a été construite l'analyse de la forme du phénomène :
Nous disposons de trois siècles de sédimentations matérielles ou cognitives diverses plus ou moins spécialisées, des traits de mémoire collective, des bibliothèques d'ouvrages, des techniques savantes en tous genres. Dans la partie historique, nous avons fouillé, dégagé, dépoussiéré des vestiges consistants. Il s'agit maintenant de procéder à des reconstitutions si tant est que certains artefacts s'ajustent effectivement entre eux, de se demander si ces reconstitutions ont l'air de quelque chose, et de s'interroger sur la manière dont on a pu penser ce qui aura ainsi été restitué. A cela près que tout ce qu'il nous faut ainsi manipuler relève de systèmes de représentations, souvent même très élaborées.
L'ouvrage livre quelques données du sex-ratio à certaines périodes et dans quelques pays, sous forme de graphiques et tableaux tels que Sex-ratios à la naissance pour six quinquennats (France, 1811-2000), Japon. Sex-ratios annuels de 1872 à 2003, Japon. Sex-ratios annuels vers 1906 et 1966, Sex-ratio en France au XVIIIe siècle, Sex-ratio et natalité en France au XXe siècle, Suède. Sex-ratio des naissances vivantes (1751-2004) et des end=fants de moins d'un an (1861-2004).
Pour finir, Eric Brian et Marie Jaisson expliquent que :
Au cours de cette enquête sur la proportion des sexes à la naissance, il a fallu combiner dans un même mouvement de construction sociologique le calcul et l'histoire afin de contourner la résistance du monde social à l'objectivation du phénomène. Pour ce faire, les routines des dialogues entendus de discipline à discipline n'ont été d'aucun secours. Il faut en effet prendre acte d'une fait déjà reconnu depuis longtemps et rarement assumé dans la méthode d'analyse : l'exercice des métiers de mathématicien, d'historien et de sociologue, les rapports qui peuvent avoir existé entre eux à diverses époques, tout cela est gouverné par des conditions nécessairement changeantes à l'échelle de plusieurs siècles. Il s'agit de pré-conditions structurales et mouvantes de l'objectivation. Or la conduite de la recherche, en science sociale comme ailleurs, ne peut s'en affranchir. Elle doit entériner ce que les durkheimiens auraient conçu comme une mobilité de ses cadres sociaux.
[..]
Si on considère, comme tout le laisse penser, qu'ex ante les deux sexes sont à parité, l'indice G/F n'est pas seulement le rapport numérique des naissances vivantes, mais encore la mesure des chances de survie des garçons comparées à celles des filles. C'est, on l'a vu, un estimateur probabiliste médiocre. Ce n'est pas moins un excellent descripteur du phénoème concret. Constater 105 garçons pour 100 filles parmi les naissances vivantes une année donnée, c'est dire, en effet, que les garçons conçus nés cette année-là ont eu 1,05 fois plus de chances de survie que les filles. Ainsi les experts qui ont commenté cet indicateur trois siècles durant ont-ils agité des mesures justes du phénomène mais sans jamais le comprendre, fondant de ce fait en nature une croyance passablement arbitraire - confortant la sociodicée masculine, aurait ajouté Bourdieu.
Si vous lisez l'anglais, vous pourriez également consulter l'ouvrage One Quarter of Humanity: Malthusian Mythology and Chinese Realities dont la version numérique est disponible à la bibliothèque Diderot de la section Lettres et sciences humaines de l'ENS. Vous trouverez également un résumé de cet ouvrage en ligne qui précise les contours de cette étude limitée à un travail de Malthus (1766-1834) sur le modèle démographique chinois, présentant "un court appendice sur les sources de la population chinoise, 1700-2000".
Le traitement de la question Y-a-t-il plus de femmes ou d’hommes sur la planète ? par Eurékoi, service de la BPI similaire au nôtre, pourra aussi vous apporter d'autres éléments de réponse.
Enfin, le numéro intitulé Les espaces des masculinités de la revue Géographie et culture n° 83, publié en 2012, offre une autre réflexion qui pourrait vous intéresser sur cette question du sex-ratio en partant de l'étude des masculinités mise en perspective du point de vue de la géographie.
Sa [l'étude des masculinités] généalogie permet de tirer le fil qui est lié historiquement, épistémologiquement et politiquement à l'ensemble de ce que l'on appelle aujourd'hui "la géographie des sexes, genres et sexualités". Le positionnement scientifique de cette géographie est simple : les lieux n'ont de sens que parce que des corps s'y trouvent. Or ces corps sont l'expression de personnes "genrées" et sexuées dont les relations sociales qui les font interagir incluent la sexualité, quand ce n'est pas cette dernière qui conditionnent les relations sociales. L'étude de la masculinité, puis des masculinités, partagent les débats et les enjeux qui traversent ces thématiques et ces méthodologies de recherche. Un de ces enjeux concerne la production même de la connaissance : la géographie est-elle masculine ? Un autre concerne la production même de la masculinité : elle n'est pas une mais pluriel et ne relève pas que d'un sexe, mais d'un rapport entre les sexes. Un troisième soulève la question du pouvoir et de la domination, d'un genre sur l'autre, d'un sexe sur l'autre, d'une sexualité sur l'autre, dans et par l'espace. (source : Géographie et culture n° 83, 2012)
Bonne journée.