Quelle est la différence entre la danse et la simple motricité ?
Question d'origine :
Bonjour,
Qu'est-ce qui fait la différence entre la danse et la "simple motricité" dans le sens où les deux nous parlent d'un corps en mouvement ? peut-on observer des différences physiologiques, biologiques ou autres au travers des deux pratiques ?
Merci beaucoup
Réponse du Guichet

La danse ne satisfait pas seulement des exigences physiques de simple motricité.
Qu'elle soit spontanée ou organisée, la danse revêt un caractère esthétique, en tant qu'art de mouvoir son corps dans l'espace et le temps selon une composition rythmique, mais aussi en tant que forme d'expression sensible.
Cet art est également le reflet de la civilisation ou du moins du groupe social de ceux qui l'élabore.
Elle joue enfin depuis les origines de l'humanité un rôle important dans la vie religieuse et rituelle de l'homme. En ce sens, elle peut provoquer des états psychophysiologiques générateurs d'extase ou de transe.
Bonjour,
Vous vous interrogez sur les différences entre la pratique de la danse et la motricité au sens physiologique du terme ("faculté motrice commandée par les centres nerveux et permettant la contraction musculaire et les mouvements" selon la définition du CNTRL).
Les auteurs Marie-Françoise Christout, docteur ès lettres, et Serge Jouhet, professeur de philosophie sont les rédacteurs de l'article consacré à la danse dans l'Encyclopédie Universalis.
Cet article met l'accent sur la dimension physique de la danse, mais également sur les dimensions émotionnelles, esthétiques, ethniques et religieuses de cette pratique artistique.
Dans son acception la plus générale, la danse est l'art de mouvoir le corps humain selon un certain accord entre l'espace et le temps, accord rendu perceptible grâce au rythme et à la composition chorégraphique. Qu'elle soit spontanée ou organisée, la danse est souvent l'expression d'un sentiment ou d'une situation donnée, et peut éventuellement s'accompagner d'une mimique destinée à la rendre plus intelligible. Répondant à une aspiration inhérente à l'homme, elle a pu être considérée par certains, sans doute à juste titre, comme le premier-né des arts, car elle obéit à une impulsion irrésistible, satisfait tant le sens artistique que l'exaltation nerveuse ou musculaire.
Cette définition rend bien compte de la dimension physique ("exaltation nerveuse ou musculaire"), émotionnelle ("expression d’un sentiment") et esthétique ("composition chorégraphique", "art de mouvoir le corps humain selon un certain accord entre l’espace et le temps") de la danse.
La danse apparaît aussi dans leur propos comme le reflet de l'ethnie et de la civilisation de ceux qui l'élaborent. Elle peut même jouer un rôle important dans la vie religieuse ou du moins rituelle de l'être humain.
Tout groupe humain, tout individu se définit par la façon dont il danse, ou dont il apprécie et privilégie telle manière de danser. L'Occidental préfère la verticalité, une gestuelle excentrée, tendue vers l'extérieur, longiligne, bondissante, et l'Oriental, la courbe flexible, les mouvements concentriques. [...]
[La danse] est [...] un moyen privilégié d'entraîner l'homme hors des limites que lui impose la conscience de la réalité quotidienne. Cette sorte de gymnastique mystique permet de communier avec la nature, avec le rythme auquel est soumis l'univers.
"Cette sorte de gymnastique mystique" est génératrice parfois d'extase :
L'action hypnotique des rythmes, conjuguée avec certaines évolutions stéréotypées, provoque des états psychophysiologiques qui peuvent suggérer, à l'extrême limite de l'excitation nerveuse, la "possession" et aboutissent souvent à une éclipse plus ou moins prolongée de la vie consciente.
Source bibliographique :
Marie-Françoise CHRISTOUT, Serge JOUHET, «DANSE», Encyclopædia Universalis.
Concernant l'aspect physiologique de la danse et ses bénéfices sur le corps comme sur la psyché, vous pouvez consulter les documents suivants :
Quand la danse guérit / France Schott-Billmann ; sous la direction de Catherine Maillard
La danse biodynamique : spirale de vie / Rafael Baile
Par ailleurs, dans Manuel d'art-thérapie (2017), Annie Boyer-Labrouche consacre un article à la danse thérapie (certains extraits sont consultables sur cairn) dans lequel elle rappelle la mise en place des thérapies psycho-corporelles dans les années 1950.
"Elle est issue de ces techniques dérivées de la psychanalyse « qui oublie le corps ». Elle a pris naissance aux États-Unis dans les années 1950 et s’est développée à partir de 1960. L’Association de danse-thérapie américaine, adta, a été créée en 1965. D’emblée, elle a été très liée à la modern’ dance.L’adta définit ainsi l’action de la danse-thérapie : « The psychotherapic use of movement as a process which further the emotional and physical integration of individual ».En France, la danse-thérapie a été pratiquée par Mme Rose Gaetner à l’hôpital de Maison-Blanche, de 1951 à 1954. Il s’agissait essentiellement d’un travail de danse-thérapie avec des enfants, sur les bases de la danse classique. D’autres techniques ont été utilisées : jazz, danse contemporaine, danse indienne. En 1984, a été créée en France la Société française de psychothérapie par la danse, SFPTD.La danse-thérapie apporte tout d’abord du plaisir. La maîtrise motrice développe le schéma corporel et la maîtrise de son corps redonne au sujet sa disponibilité, son aisance, sa libération, sa « fluidité ».
Comme le dit Schilder : « Il existe un autre moyen de dissoudre ou d’assouplir la rigidité du modèle postural du corps, c’est la danse. J’ai dit que tout mouvement suffit à modifier le modèle postural du corps ».
Pour approfondir les aspects sensibles, esthétiques et anthropologiques de la danse, je vous invite à consulter les documents de la BML suivants :
Esthétique de la danse : le danseur, le réel et l'expression / Julia Beauquel
Anthropologie de la danse : genèse et construction d'une discipline / ouvrage publié sous la direction d'Andrée Grau et de Georgiana Wierre-Gore
Corps en mouvement : la danse au musée : [exposition, Paris, Musée du Louvre, Petite galerie, 6 octobre 2016-3 juillet 2017] / sous la direction de Jean-Luc Martinez ; assisté de Florence Dinet ; textes de Benjamin Millepied, Georges Vigarello, Jean-Luc Martinez
L'ombre du geste : le(s) sens de l'expérience en danse contemporaine / Claire Vionnet
Approche philosophique du geste dansé : de l'improvisation à la performance / sous la direction d'Anne Boissière et de Catherine Kintzler
Vu du geste : interpréter le mouvement dansé / Christine Roquet
Mouvements de vie : 60 ans de recherches, de créations et de transformations par la danse / Anna Halprin ; traduction Elise Argaud et Denise Luccioni
Bonne journée !