Qui pouvait adopter des orphelins après la première guerre mondiale ?
Question d'origine :
Bonjour,
J’aimerais connaître les conditions requises aux familles des années 1920 à 1930 pour accueillir un enfant orphelin, le père ayant été tué pendant la guerre et la mère décédée elle aussi. Fallait-il que les parents d’accueil aient un certain âge ou soient mariés ? Et s’ils voulaient adopter l’enfant ensuite, sans qu’il n’y ait de lien familial avec eux, était ce possible et à quel âge ? J’avais lu 40 ans mais je ne sais pas si ça concerne le père et la mère. Y avait il un jugement, si un oncle ou une tante subsistait pour l’enfant mais qu’ils ne voulaient pas s’en occuper ?
Merci d’avance.
Isabella
Réponse du Guichet

Les modes d'adoption en France au début du XXème siècle
Bonjour,
En pleine première guerre mondiale, et face à l’hécatombe humaine qu’elle induit, l’Etat français décide d’aider et de protéger les mineurs orphelins de guerre ou assimilés. C’est le sens de la loi du 27 juillet 1917 qui institue les pupilles de la nation. Cette loi est complétée par les lois du 25 juin 1919 et du 26 octobre 1922. Cet ensemble de lois concerne les enfants dont le père, la mère ou le tuteur sont morts durant la guerre (victimes civiles et militaires), invalides de guerre, ou qui ont disparu durant le conflit. Le fait de devenir pupille de la nation offre à ces enfants une protection supplémentaire, en complément de celle exercée par leur famille. Cette protection consiste notamment en une aide financière, bourses scolaires, visites médicales, soins médicaux…
Voici une définition de l’institution juridique qu’est l’adoption : «[celle-ci] crée un lien de filiation entre un adoptant et un adopté, sans que ce lien de filiation repose sur la procréation de l’adopté par l’individu ou le couple adoptant. L’adoption permet ainsi à l’adopté d’hériter du nom de famille et du patrimoine de l’adoptant. On distingue deux types d’adoption : «plénière» et « simple ». L’adoption plénière crée, entre un mineur adopté et un couple ou un individu adoptant, un lien de filiation qui remplace le lien de filiation entre l’adopté et ses parents d’origine. L’adoption plénière crée ainsi un lien nouveau, substitutif et exclusif entre l’adopté et l’adoptant, en conséquence de quoi l’adopté hérite son nom et ses droits de succession de sa seule famille adoptive. Par contre, l’adoption simple ne crée entre l’adopté, souvent majeur, et l’adoptant qu’un lien de filiation qui s’ajoute au lien de filiation entre l’adopté et ses parents d’origine. L’adoption simple conduit ainsi l’adopté à ajouter à son nom et à ses droits de succession d’origine ceux qu’il tire de son adoptant».
Dans les années 20 et 30, ce sont deux lois qui encadrent les conditions d’adoption : la loi du 19 juin 1923, ainsi que le décret-loi du 29 juillet 1939 que vous pouvez consulter en ligne.
Vous trouverez, sur le site du Sénat, une synthèse historique sur le cadre légal de l’Adoption, qui a été rédigée dans le cadre d’une proposition de loi en 1996.
Cette synthèse a le mérite de faire l’historique des différentes manières et raisons d’adopter, depuis l’époque romaine jusqu’au XXème siècle. Le texte explique notamment que «L'intervention de la loi du 19 juin 1923 qui permet l'adoption de mineurs, s'explique par trois facteurs. Tout d'abord, il y a l'évolution de l'opinion à l'égard de l'enfant naturel et des droits auxquels il peut prétendre. Ensuite, le nombre des enfants abandonnés se remet à croître. De l'ordre de 30.000 dans la première moitié du XIXème siècle, il avait baissé à 15-20.000 sous le Second Empire et même à 10-13.000 au tout début de la IIIème République. Mais, entre 1890 et 1910, sous l'influence de la loi de 1889 et d'un fort nombre de naissances illégitimes (9 % des naissances le sont de 1892 à 1913), le nombre des pupilles s'élève à nouveau pour atteindre 15 à 18.000 de 1890 aux débuts de la guerre de 1914. Il y a de moins en moins d'enfants trouvés mais de plus en plus d'enfants abandonnés, que cela soit fait dans les formes légales ou qu'ils soient « moralement abandonnés ». Enfin, le troisième facteur, décisif, est les conséquences de la guerre de 1914-1918 qui provoque un grand nombre d'orphelins. D'ailleurs, les lois des 27 juillet 1917 et 26 octobre 1922 leur viennent en aide. Elles font d'eux des pupilles de la Nation auxquels la France accordait un soutien moral et, éventuellement matériel. Un certain nombre de propositions de loi devant permettre l'adoption de ces orphelins et, donc des mineurs, ont été déposées dès avant la fin de la guerre. La dernière, émanant du Sénateur Simonet, déposée le 31 mai 1918, après débat dans l'opinion, en particulier au sein de la Société d'études législatives, qui joua un grand rôle dans ce domaine, devint la loi du 19 juin 1923. Mais il avait fallu cinq ans pour l'adopter. Elle permettait l'adoption de mineurs par des adoptants de quarante ans au moins, et sans enfant légitime. La puissance paternelle était désormais conférée à l'adoptant mais les liens avec la famille d'origine n'étaient pas rompus. Cette loi parut, donc, assez rapidement insuffisante et le nombre annuel d'adoption resta modeste: de 1924 à 1942, il varie de 1.000 à 1.700. L'Administration était réticente à déclarer adoptables des enfants autres que « trouvés », les parents d'un enfant abandonné pouvant toujours venir le chercher, alors que, dans le cadre des travaux de la Société d'études législatives précités, certains préconisaient la rupture complète avec la famille naturelle.»
Cette même synthèse évoque plus la loi du 29 juillet 1939 en ces mots: «C'est dans le cadre du décret-loi du 29 juillet 1939 portant « Code de la famille », donc, sans discussion parlementaire, qu'intervient la réforme de l'adoption qui fonde, en quelque sorte, le statut moderne de l'adopté. Si ce texte laissait subsister l'adoption à finalité successorale, il n'en permettait pas moins aux adoptés de moins de seize ans et, sur décision du tribunal, une rupture des liens avec la famille d'origine, accompagnée d'un changement de nom et de la suppression de l'obligation alimentaire. À côté de cette adoption rénovée, il était créé une légitimation adoptive, prononcée par jugement du tribunal, au bénéfice des couples mariés depuis dix ans, sans enfant, et dont l'un des époux avait 35 ans au moins. Ces couples pouvaient demander des enfants de moins de cinq ans, abandonnés ou dont les parents étaient inconnus ou décédés. L'enfant avait les mêmes droits et obligations que l'enfant né du mariage. Ce texte fut complété et précisé par les lois du 8 août 1941 et 15 avril 1943 qui rapprochaient encore la situation de l'adopté de celle de l'enfant légitime. Puis une loi du 23 avril 1949 permit aux parents adoptifs de choisir les prénoms de l'enfant.»
Voici les lectures que nous pouvons vous conseiller si vous souhaitez aller plus loin sur le sujet :
- Orphelins et pupilles de la nation : mises sous tutelle, conseils de famille, litiges, spoliations…, Marie-Odile Mergnac, Paris, Archives et culture, 2016
- Dans Adoptions : ethnologie des parentés choisies, direction Agnès Fine,Éditions de la Maison des sciences de l’homme, Paris, 1998 - pages 61 à 95 : Le don d’enfant dans l’ancienne France par AgnèsFine
- 2 articles disponibles sur Cairn (accès numérique gratuit depuis la Bibliothèque municipale de Lyon) :
Les adoptions en France et en Italie : une histoire comparée du droit et des pratiques (XIXe XXIe siècles) / Jean-François Mignot, dans la Revue Population, 2015/4, (Vol 70), pages 805 à 830
L’adoption simple en France: le renouveau d’une institution ancienne (1804-2007) / Jean-François Mignot, dans Revue française de sociologie 2015/3 (Vol. 56), pages 525 à 560