Qu'en était-il du droit d’héritage pendant les années folles ?
Question d'origine :
Bonjour,
Serait-il possible s'il vous plaît d’avoir une réponse concernant le droit d’héritage pendant les années folles ?
Dans le cas du décès des parents, était-ce l’aîné des familles qui héritait ou y avait il une répartition équitable des biens ? Et si l’aîné était une fille ? De leur vivant, les parents pouvaient ils favoriser plus l’un que l’autre de leurs enfants ou même en déshériter certains ?
Je vous remercie par avance et vous souhaite une excellente journée, Isabella T
Réponse du Guichet
Le Code civil français promulgué au début du XIXe siècle prévoit que tous les enfants reçoivent le même héritage, quel que soit leur sexe ou leur rang dans la fratrie. Mais des stratégies de contournement se sont développées notamment à la campagne pour éviter la division du patrimoine agricole. Nous supposons que ces stratégies ont perduré au début du XXe siècle.
Bonjour,
Le Code civil promulgué en 1804 visait à unifier le droit français et à supprimer les coutumes locales. En matière de succession, il a instauré le principe d'égalité entre héritiers en ligne directe mais celui-ci a eu du mal à s'imposer dans toute la France.
Le droit d'aînesse a été "aboli en 1792, lors de la Révolution française, puis rétabli partiellement en 1826 par les ultraroyalistes, avant d'être définitivement aboli en 1849."
Dans les années folles en France, les successions étaient donc censées être égalitaires, quel que soit le rang de l'enfant et son sexe mais des stratégies familiales ont permis aux familles de contourner ce principe, surtout dans le milieu paysan où l'on se refusait à diviser le patrimoine foncier. Nous avons trouvé peu d'informations sur les stratégies successorales des années 1920 mais vous pouvez consulter les travaux effectués sur le XIXe siècle car elles ont probablement perduré au début du XXe siècle.
Nous vous renvoyons aux explications de Jean Hilaire dans son article intitulé Vivre sous l’empire du Code civil : les partages successoraux inégalitaires au XIXe siècle (publié In: Bibliothèque de l'école des chartes. 1998, tome 156, livraison 1. pp. 117-141.). En voici quelques extraits :
... le Code civil de 1804 est demeuré fidèle à l'idéologie révolutionnaire en conservant l'égalité stricte entre héritiers comme principe fondamental du droit successoral ; le Code ménageait bien une quotité disponible pouvant s'ajouter en totalité à la part d'un héritier, mais l'efficacité en était réduite par l'exigence du partage en nature. Le système des majorats créé par le législateur impérial n'a pas eu d'application très étendue, mais les usages ruraux inégalitaires se sont au contraire largement maintenus jusqu'au début du XXe siècle, au prix de détours souvent fort onéreux pour tourner la loi, et seule la révolution agricole des dernières décennies y a mis un terme.
[...]
C'est donc du côté de l'agriculture que se trouvent encore les traditions les plus solides de partage inégalitaire, et ce toujours dans le même but, bien précis, d'une transmission intégrale de l'exploitation familiale à un seul héritier. La Révolution n'a pas profondément modifié le paysage des usages successoraux, qui évoluera lentement durant tout le XIXe siècle.
En revanche, dans l'ensemble, le changement vient surtout des techniques utilisées pour maintenir les partages inégalitaires sous l'empire du Code civil, qui n'offre plus en principe les mêmes facilités que l'ancien droit pour réduire les parts des puînés. À vrai dire, les principes sur lesquels se fondent les arrangements de famille sont assez simples. Si l'on reste dans l'indivision, celui qui gardera l'exploitation peut pendant ce temps accumuler quelques capitaux pour désintéresser les cohéritiers par la suite ; lors du partage, il reçoit la jouissance des parts des autres, en échange de prestations en nature, jusqu'à remboursement complet du capital. Si au contraire on partage immédiatement, celui qui reçoit la totalité de la quotité disponible par préciput garde l'exploitation et consent des hypothèques sur sa part, pour garantir le paiement des soultes aux cohéritiers; ou encore les terres reçues par les autres cohéritiers lui sont aussitôt données à bail (les deux systèmes peuvent d'ailleurs se cumuler suivant les intérêts de chacun). Interviennent également des renonciations et des cessions de parts : le plus souvent ces dernières sont en réalité fondées sur des évaluations des lots très inférieures au cours normal et, pour peu qu'il y ait eu déjà une dot versée à l'héritier, l'aîné n'aura plus, par compensation, une grosse somme à payer. Enfin, il arrive aussi que certains cohéritiers ne reçoivent pas le minimum figuré par la réserve. Surtout, les formes juridiques de l'arrangement de famille ont évolué durant le XIXe siècle. Au début, on suivait encore l'ancien usage de l'institution contractuelle (dans le contrat de mariage), aux termes de laquelle l'aîné recevait la totalité de la quotité disponible : cette forme s'est maintenue très longtemps dans certaines régions, en particulier dans les Pyrénées. De même, lorsque le patrimoine était modeste, le père se contentait de prendre des dispositions testamentaires. Mais, assez vite, l'assouplissement de la position de la Cour de cassation aidant, l'usage s'en est écarté et l'arrangement s'est fait plutôt par acte séparé : la donation portant sur la totalité de la quotité disponible a remplacé le testament.
Les autres héritiers étaient appelés à s'effacer d'une manière ou d'une autre et donc le plus souvent à quitter la maison. Les filles étaient particulièrement concernées. Elles parvenaient exceptionnellement à jouer le rôle d'un aîné recueillant intégralement la maison, soit que les usages locaux admettent l'aînesse aussi bien au profit des filles que des fils, ainsi dans les vallées pyrénéennes, soit que les filles soient admises à l'aînesse en l'absence de garçons. Mais, sauf à demeurer célibataires dans la maison familiale, le sort le plus général les appelait à quitter la famille pour se marier à l'extérieur en recevant une dot ou à entrer dans un ordre religieux; il n'était
pas rare que des familles du Massif central ou de Provence vissent ainsi plusieurs enfants, fils et filles, embrasser l'état ecclésiastique. Lors du mariage d'une fille, les parents intervenaient éventuellement pour assurer ses intérêts en exerçant des pressions sur les beaux-parents pour qu'ils procèdent dès ce moment à l'arrangement de famille. De même, ils exigeaient des garanties hypothécaires, cherchaient à obtenir une part pour leur fille dans le bénéfice d'exploitation lorsque le nouveau ménage devait vivre en communauté avec les parents du mari. Une autre variante de ce genre de situations réservait le partage des terres aux enfants mâles : l'aîné recevait la maison et des
terres, les cadets des terres seulement; les filles étaient alors écartées du partage des immeubles et recevaient uniquement leur part en argent. On perçoit clairement ici combien les souvenirs des coutumes et des anciens usages étaient encore très précis, mais aussi comment le nouveau droit commençait à exercer son influence en infléchissant les comportements des parents.
Il n'en demeure pas moins que, dans la survivance de telles stratégies, la difficulté majeure venait de la nécessité, très lourde du point de vue économique, de mettre en œuvre un système de soultes pour désintéresser les cohéritiers que le Code civil en principe ne permettait plus d'écarter totalement.[...]
Le premier constat qui s'impose en conclusion est bien que les usages en matière de partage inégalitaire ont très longuement et massivement survécu à la promulgation du Code civil. Certes, le monde des campagnes n'était pas seul à y avoir recours ; à la ville aussi, et dans la bourgeoisie, on faisait volontiers un héritier. Mais ce sont les paysans qui ont pratiqué ce type de partage dans ses formes les plus extrêmes. Longtemps, on y a vu avant tout une conséquence directe d'un style de vie familiale; en 1945 encore, Georges Rouquier, dans Farrebique, en montrait les survivances et le poids sur les stratégies familiales dans l'Aveyron contemporain, à partir de sa propre parenté et non sans nostalgie. Mais parce que le partage inégalitaire, en tant qu'élément de tout un système de transmission de l'exploitation agricole, relevait d'une étroite liaison entre mise en valeur du sol et stratégies familiales, il aura fallu en réalité le grand tournant pris par l'agriculture dans sa véritable révolution économique, au cours du dernier tiers du XXe siècle, pour en réduire sous nos yeux les ultimes séquelles.
Le Code civil n'a pas modifié la géographie des usages anciens ni réduit leur longévité, même s'il a rendu plus compliquée la vie des populations. De ce point de vue, il y a eu continuité et non point rupture autour de 1804. C'est qu'il est plus difficile d'atteindre de simples usages que d'abroger des textes d'ordonnances ou de coutumes.
Lire aussi :
- Petits arrangements après la mort / Anne Chemin - Le Monde -
Margareth LANZINGER -Encyclopédie d'histoire numérique de l'Europe
- STEINER Philippe, « L'héritage au xixe siècle en France. Loi, intérêt de sentiment et intérêts économiques », Revue économique, 2008/1 (Vol. 59), p. 75-97
Bonne journée.