Qu'est-ce que l'instinct chez les animaux et les humains ?
Question d'origine :
Comment la science explique l'instinct des animaux ? Y-a-t-il un instinct pour les humains et est-il le même pour chaque personne ?
Réponse du Guichet
La théorie de l'instinct est une notion conceptualisée par les premiers éthologues dans les années 1930. Leurs études portaient sur la part d'inné et d'acquis dans nos comportements. Pour eux, les comportements instinctifs des animaux seraient un héritage des gènes au même titre que les caractères morphologiques mais ils seraient fortement influencés par le milieu dans lequel ils évoluent dès les premiers instants de leur vie. Aujourd'hui la question du mécanisme par lequel ces comportements s'organisent et se différencient demeure entière et celle de la proportion d'inné et d'acquis dans nos comportements l'est tout autant.
Bonjour,
On pourrait présenter la théorie de l’instinct comme le fait que l'animal est capable de réaliser une action sans l'avoir apprise de ses congénères.
Konrad Lorenz, un biologiste autrichien est à l'origine de cette notion d'instinct. Il a reçu le prix Nobel de physiologie ou médecine en 1973 pour ses travaux réalisés avec Nikolaas Tinbergen et Karl von Frisch.
Les spécialistes ne savaient pas distinguer nettement l'inné de l'acquis et beaucoup d'actes réalisés par les animaux étaient expliqués par l'instinct.
Sans abandonner la notion d'instinct, les trois fondateurs de l'éthologie s'attachèrent à montrer les liens existant entre les actes et la biologie. Ils sont parvenus à distinguer des actes parfaitement spontanés, quelles que soient les conditions du milieu, de ceux «stimulés» par les sens (vision, odorat, etc.) et donnant à l'organisme des indications sur les conséquences de l'acte tout juste accompli.
Comment Lorenz explique-t-il ces comportements instinctifs ?
Pour lui, ces comportements sont innés, ils "ont une origine phylogénétique et sont inscrits dans le génome". Les traits de comportement sont considérés comme des critères taxinomiques hérités par les gènes au même titre que les caractères morphologiques.
source : Le concept d'instinct / Giorgio Celli, extrait de la revue LES GENIES DE LA SCIENCE N° 13 parue le que vous pourrez consulter à la bibliothèque municipale de Lyon dans son intégralité.
Nous vous laissons prendre connaissance de ces quelques extraits de l'article consacré à l'Instinct du dictionnaire des Notions de l'Encyclopaedia universalis :
Ce n'est qu'à partir des années 1930, avec le développement de l'éthologie moderne, que les instincts animaux deviennent les objets d'une véritable exploration expérimentale. Konrad Lorenz et Nikolaas Tinbergen, principaux initiateurs de cette biologie du comportement, posent d'emblée quelques restrictions et propositions nouvelles. [...] [Ils] soulignent le caractère fonctionnel et spécifique des instincts. Toutes les espèces d'oiseaux présentent un comportement instinctif de reproduction, mais chacune assure cette fonction avec ses propres variantes. Caractéristique de l'espèce au même titre que la morphologie, le comportement instinctif, comme n'importe quel autre trait, se différencie au cours de la phylogénèse. On reconnaît une espèce d'oiseau à son nid ou à son chant aussi bien qu'à son plumage.
Lorenz et Tinbergen s'écartent aussi du behaviorisme nord-américain qui, occupé par les réponses comportementales obtenues en situations contrôlées (conditionnements, apprentissages), néglige les comportements spontanés observés dans la nature.
Ils soulignent enfin la différence entre instincts et réflexes, ces autres comportements non volontaires étudiés par leurs collègues neurologues et physiologistes. Les instincts, plus complexes, sont organisés en séquences regroupant plusieurs activités et, surtout, ne sont pas constamment disponibles. Leur manifestation implique la présence d'états internes particuliers nommés motivations. Un premier modèle des motivations, dit énergétique, infère l'existence d'une énergie (une ou des hormones, par exemple) spécifique de chaque instinct. Selon ce modèle, la réalisation d'une activité instinctive donnée impliquerait la consommation de l'énergie correspondante et, enfin, l'épuisement de cette énergie expliquerait la fin du comportement. Le programme de recherche ainsi défini sera très vite discuté et amendé.
Analyse causale et développement individuel des instincts
Avec les années 1950, dans le contexte de la découverte de la structure de l'ADN, du développement de la biologie moléculaire et de la domination d'un réductionnisme biologique fort de ses succès, le caractère inné des instincts n'est pas simplement vu comme ce qui existe à la naissance, mais comme la manifestation d'un déterminisme interne, le reflet d'une programmation génétique excluant tout apprentissage. Le débat inné / acquis, où les apprentissages sont définis en simple opposition avec les instincts, s'engage.
Mais c'est surtout sur le plan de la méthode que cette conception innéiste et génétique est critiquée. En effet, si le déroulement de tout instinct implique la mise en jeu de conditions internes et externes et leurs interactions, alors toute conception innée amènera à une sorte de préformisme qui négligera l'analyse de ces interactions et leur dynamique. la mise en oeuvre de cette approche critique, dite constructiviste, permet de démontrer rapidement que la motivation, maternelle par exemple, loin de s'épuiser, se stabiliser et se renforce au contact des jeunes. Cela non seulement entraîne l'abandon du modèle energétique initial, mais oblige aussi à penser la construction effective de la motivation maternelle comme un effet de la perception des jeunes (éléments du milieu extérieur) par la femelle sur ses conditions hormonales (conditions internes).
Dans les années 1960, l'éthologie causale se développe à partir de ces avancées théoriques et expérimentales. Tinbergen ralliera cette conception nouvelle, alimentée par certains de ses élèves, tandis que Lorenz essaiera de maintenir son point de vue initial avec quelques fidèles. [...]
Le contexte scientifique de ce début de XXIe siècle est bien différent. La génétique moléculaire, les difficultés théoriques aidant, semble sortir de sa phase réductionniste triomphante et réinvestit, depuis les années 1990, les questions du développement et de l'embryologie. [...] La question du mécanisme par lequel ces comportements s'organisent et se différencient demeure entière. Et elle porte en elle l'interrogation, énoncée par Tinbergen dès les années 1960, concernant la coopération des approches évolutionniste et développementale des comportements instinctifs.
Qu'en est-il de ces théories aujourd'hui ?
Avec l'essor de la génétique, parallèlement au développement de l'éthologie, les scientifiques se sont finalement accordés pour dire que cette querelle "tout inné" contre "tout acquis" n'avait pas de sens. "Rien n'est indépendant du génome, mais rien n'échappe non plus aux influences environnementales, conclut l'éthologue Gilles Le Pape, maître de conférence à l'université de Tours. Les comportements résultent d'interactions entre des informations provenant du génome et d'autres de l'environnement, du vécu de l'individu, de l'apprentissage ou de l'imitation. "
Mais si tous les comportements ont à la fois une part d'acquis et une part d'inné, on peut légitimement se demander quelle est la proportion de l'un et de l'autre, l'influence des gènes sur tel comportement, ou la part d'apprentissage sur tel autre. Sauf que... "l'on ne pourra pas y répondre !" souligne Gilles Le Pape. Tous les individus sont différents génétiquement et tous ont leur propre perception de l'environnement. Pour trouver dans quelle mesure un comportement est lié à l'inné ou à l'acquis, il faudrait pouvoir mener des expériences en éliminant un des deux facteurs. Or, si on ne peut soustraire totalement un animal à l'influence de ses gènes, il est tout aussi impossible d'éliminer réellement les stimuli extérieurs. "C'est l'environnement que perçoit l'animal qui compte, estime Gilles Le Pape. Les capacités visuelles ou olfactives d'un chien sont très différentes des nôtres. Nous saisissons à peine l'environnement qu'il peut percevoir, nous pouvons donc encore moins prétendre le contrôler. Cette question de proportion d'inné et d'acquis dans un comportement est donc tout simplement stérile. "
En définitive, les éthologues ont répondu à l'un des plus grands mystères de la biologie... en la remplaçant par une question insoluble.
Comment un nouveau-né peut-il marcher ?
A peine sorti du ventre de sa mère, il se dresse sur ses pattes et fait, non sans effort, ses premiers pas. Comme le petit âne, de nombreuses espèces peuvent marcher dès la naissance, alors qu' a priori, les nouveau-nés n'ont pas encore été soumis à leur environnement. Alors, caractère purement instinctif ? Pour l'éthologue Gilles Le Pape, ce serait une erreur de l'affirmer. "Nous ne savons pas grand-chose de la vie embryonnaire. Certes, ce comportement est fortement motivé par les gènes, mais même avant la naissance, il y a sûrement déjà une influence de l'environnement. " Surtout, l'ânon est bien maladroit à sa naissance. Ce n'est qu'après de longs jours "d'essais-erreurs" qu'il apprend véritablement à marcher.
D'ailleurs, chez l'homme, les enfants commencent à se déplacer debout après une bonne dizaine de mois. Mais les bébés aveugles, eux, peuvent ne marcher qu'à 22 mois. Et si tous les jeunes enfants parviennent finalement à réaliser cette "prouesse", il semble bien qu'un apprentissage, passant notamment par la vision et le repérage dans l'espace, soit indispensable pour perfectionner ces mouvements qui, au départ, paraissent instinctifs...
source : Comment distinguer l'inné de l'acquis ? / Yann Chavance - Science et Vie - La question du jour, mercredi 15 décembre 2021
Quelle est la part d'inné et d'acquis chez l'humain ? Cela fait encore partie des grandes énigmes de la science.
Pour aller plus loin :
- Instinct / Universalis
- Konrad Lorenz / Universalis
- L'étude de l'instinct [Livre] / Nikolaas Tinbergen
- Les quatre questions de Tinbergen / Mathieu Amy, Linx, 54 - 2006
- KREUTZER Michel, « Chapitre III - Partisans et détracteurs de la notion d’instinct », dans : Michel Kreutzer éd., L'Éthologie. Paris cedex 14, Presses Universitaires de France, « Que sais-je ? », 2017, p. 54-72.
- Instinct, une notion fondatrice et controversée / le Conflit - 29 mai 2009
Bonne journée.