Combien de temps fallait-il aux copistes pour recopier des livres en Europe médiévale ?
Question d'origine :
Bonjour,
Je me demandais si l'on savait combien de temps environ les scribes et copistes mettaient pour recopier des livres en Europe médiévale? J'imagine évidemment que cela dépendait des ornementations ajoutées – de façon générale, combien de temps fallait-il pour recopier seulement le texte, sans enluminures ni lettrines?
Merci!
Réponse du Guichet
Certains historiens ont estimé qu'au Moyen Âge un écrivain professionnel ne peut guère espérer copier plus de deux ou trois feuillets par jour
Réponse du Département du Fonds ancien
Bonjour,
L'ouvrage de Sophie Cassagnes - Brouquet, professeure en histoire médiévale à l'Université Toulouse II Le Mirail et membre permanent du Framespa - UMR 5136, intitulé La passion du livre au Moyen Âge (2015), évoque les aspects pratiques de la réalisation de la copie des manuscrits au chapitre intitulé Le scribe et ses outils (page 12) :
" [...] Avant l'invention de l'imprimerie au XVe siècle, le scribe est le grand spécialiste de l'écriture. Il dispose d'un certain nombre d'instruments qui lui permettent d'accomplir une tâche souvent lente et fastidieuse. Certains historiens ont estimé qu'un écrivain professionnel ne peut guère espérer copier plus de deux ou trois feuillets par jour. [...] Afin d'accélérer la copie, un manuscrit peut être divisé en cahiers, distribués à plusieurs scribes qui se partagent le travail. "
En complément, l'article d'Antoine Brix paru en 2019, Note sur la vitesse d’écriture d’un vieux scribe breton du XVe siècle, apporte des précisions sur le délai de livraison d'un manuscrit auprès de son commanditaire, avec tous les aspects de la facture que cela suppose :
" [...] Le vendredi 1er décembre 1480, Philippe de Hornes commande au libraire et éditeur brugeois Colard Mansion un manuscrit de la traduction française des Facta et dicta memorabilia de Valère Maxime. Le contrat passé entre l’aristocrate bibliophile et le libraire est conservé, et il stipule explicitement que l’exemplaire serait remis au commanditaire « endedens la nativite sainct Jehan Baptiste prochaine ven. qui sera en l’an iiijxxj ». Fixer le terme à la Saint-Jean-Baptiste suivante, le dimanche 24 juin 1481, permettait à Colard Mansion de prévoir la confection du manuscrit sur une période légèrement inférieure à sept mois. [...] "
Plus loin l'article mentionne précisément le cas de la copie du manuscrit des Grandes chroniques de France - BnF, fr. 4984 :
" [...] La vitesse de G. Rest peut en effet être calculée avec une grande précision. On l’infère d’une série de petits repères temporels dont le copiste a parsemé les marges de queue du manuscrit BnF, fr. 4984. À intervalles irréguliers figurent en effet des mentions de saint ou de sainte à l’extrémité inférieure de la page. [...] Le colophon du manuscrit fr. 4984, transcrit ci-dessus, indique que G. Rest a terminé sa copie le mercredi 6 décembre 1469. La première indication d’une fête religieuse se rencontre au feuillet 8 : c’est la Saint-Yves, fêtée le 19 mai. [...] la consignation de ces fêtes dans le manuscrit fr. 4984 permet de mesurer la productivité de G. Rest en tant que copiste avec une précision d’autant plus remarquable qu’elle est inhabituelle. De la transcription du feuillet 8 au feuillet 227, 202 jours ont passé, entre le 19 mai et le 6 décembre."
L'auteur de l'article poursuit son analyse en évaluant la vitesse moyenne de copie du scribe après avoir ôté les jours de repos dominical - dont aucune fête ne se trouve mentionnée en marge - pour aboutir à une productivité journalière de 1,27 feuillet.
Des éléments de comparaison permettent enfin de concevoir que, selon la typologie du manuscrit, la nature du support, le nombre de lignes par page et l'organisation du travail, les vitesses de copie peuvent notablement varier :
" [...] la productivité du scribe de Callac n’est pas si éloignée de ce qui se peut observer chez d’autres copistes médiévaux dont les vitesses de travail sont connues. Il est vrai, Carla Bozzolo et Ezio Ornato, dans une étude menée à partir des colophons, ont estimé qu’en moyenne un scribe professionnel copiait 2,85 feuillets par jour, une vitesse plus de deux fois supérieure à celle de G. Rest. La productivité moyenne du vieux copiste du manuscrit fr. 4984 s’accorde mieux à certains des exemples réunis par les auteurs du Catalogue des manuscrits datés, qui rapportent des vitesses d’une considérable variété, de moins d’un feuillet par jour à plus de sept [...] "
En espérant que ces éléments auront satisfait votre curiosité, excellente fin de semaine.