Je souhaiterais savoir où chevauchaient traditionnellement rois et généraux dans les armées médiévales européennes.
Question d'origine :
Bonjour, j'étais curieux de savoir où chevauchaient traditionnellement rois et généraux dans les armées médiévales européennes. Le cinéma les montre toujours conduisant la colonne, mais ça n'est peut-être pas la position la plus sûre. Etait-ce vraiment ainsi? Merci!
Réponse du Guichet

Au Moyen Age, la présence du roi et de ses conseillers lors des chevauchées militaires n'est pas systématique et évolue au fur et à mesure du temps.
Bonjour,
Précisons tout d’abord que le terme "chevauchée" que vous employez désigne des expéditions spécifiques. Ainsi, le site Wikipédia nous donne la définition exacte de ce mot :
«Pendant la guerre de Cent Ans, les expéditions anglaises furent appelées chevauchées. Il s'agissait de longs raids dévastateurs sur plusieurs centaines de kilomètres et sur un front de plusieurs kilomètres.
Ces chevauchées avaient pour but principal de se bâtir une gloire facile, de récupérer du butin et de ruiner les riches territoires qui fournissaient au roi de France les moyens financiers et humains qui alimentaient son armée en finances et en soldats. En tarissant ces sources, les chevauchées affaibliraient fortement le roi de France et ses vassaux qui ne pourraient plus disposer de réserves, tout en enrichissant le roi d'Angleterre et ses alliés.
Le terme est aussi appliqué plus largement pour désigner toute campagne de ce genre pendant la période médiévale, par exemple la chevauchée du Hainaut de Charles d'Anjou en 1254.»
Il est vrai que dans l’imaginaire commun, le roi et ses généraux peuvent être représentés à la tête des armées. Au Moyen Age, il semble que cela soit encore le cas. Mais rapidement, le roi se met en retrait du champ de bataille avec ses conseillers.
L'ouvrage Mondes en guerre T.1 explique :
«Au Moyen Age, le chef est aussi un combattant. Les rois de tous les peuples barbares sont des guerriers, à commencer par Childéric et son fils Clovis. Une grande partie de la légitimité des Mérovingiens vient de leur aptitude à mener leurs hommes à la guerre.
D’ailleurs, la cause déterminante du déclin des Mérovingiens dans la seconde moitié du VIIIe siècle, est que les rois, trop jeunes et physiquement inaptes, disparaissent complètement des champs de bataille au profit des maires du palais en 714. S’il peut prendre le titre de roi des Francs, c’est qu’il est un chef de guerre qui accumule les succès.
A vrai dire, s’il est très probable que Clovis et ses successeurs ont combattu personnellement, il est plus difficile de l’affirmer pour les Carolingiens. Le chef de guerre peut n’être que le commandant de l’armée, sans prendre part lui-même à la mêlée. Eginhard, le biographe de Charlemagne, note que son héros n’a combattu en personne qu’à deux reprises pendant les guerres saxonnes.
Par ailleurs, les représentations des souverains carolingiens, ne les montrent jamais en guerriers, mais plutôt trônant, couronne en tête, seuls ou au milieu de leurs conseillers, entre deux colonnes de marbre, dans un décor digne de l’ancienne Rome. Ce n’est guère que pour contrer les attaques Vikings que certains Carolingiens prennent part en personne aux combats.
Il est une autre circonstance dans laquelle un roi doit impérativement se faire chef de guerre : si sa légitimité est fragile ou mise en doute, il lui faut la défendre les armes à la main. Il est donc probable que Lothaire, Louis le Germanique et Charles le Chauve, les trois frères qui se disputèrent la succession de leur père, Louis le Pieux, à la bataille de Fontenoy en 841, aient pris part personnellement aux combats.»
De même, la Revue d'Histoire militaire ajoute :
Certains monarques ne se sont jamais rendus sur un champ de bataille pour combattre – par exemple Charles V (1364-1380) – mais pour autant ont connu au cours de leur règne le fait militaire. Cela se remarque par l’éducation et le cérémoniaire royal par exemple. Bien avant le sacre, le futur roi apprend à faire la guerre. L’éducation du roi se fait deux manières. Elle est dans un premier temps théorique puis didactique. En effet, le jeune prince reçoit une éducation par des hommes de lettres et en parallèle il apprend à manier l’épée et monter à cheval très jeune, puis à chasser. Ensuite, une fois jeune et mûr, il peut être en apprentissage du pouvoir en étant associé à son père.
Remarquons que dans de nombreuses représentations artistiques que le roi est à la tête des troupes dans la charge de cavalerie, ou bien tuant son adversaire alors que ce n’est pas réellement lui qui porte le coup. Par exemple, le 26 février 1266, Charles Ier d’Anjou – frère cadet de saint Louis – remporte à Bénévent (au sud de Rome) une bataille contre le roi de Sicile Manfred de Hohenstaufen. Ce dernier est tué dans la bataille. Or, les représentations de la bataille de Bénévent montrent Charles d’Anjou tuant de sa main Manfred de Hohenstaufen, alors que ce ne fut pas le cas. En réalité, ces représentations se limitent à celle d’un homme, le chef de guerre ou le roi.
Enfin, le spécialiste de l'époque Philippe Contamine, précise dans son livre Guerre, état et société à la fin du Moyen Age : études sur les armées des rois de France : 1337-1494 :
Le commandement suprême des troupes revenait de droit au roi de France. Pour Philippe VI comme pour Jean le Bon, leur souveraineté dans ce domaine ne fut nullement théorique ni virtuelle : l’un et l’autre firent effectivement campagne à plusieurs reprises. De plus, même quand ils étaient éloignés du théâtre d’opérations, leur action s’exerçait par un contrôle incessant et par l’envoi d’une multiplicité d’ordres et de mandements.
Le roi était assisté dans sa tâche par les membres de son conseil où, jusqu’en 1356, le rôle déterminant revenait à une poignée de «grands seigneurs et gouverneurs» ayant en fait le «gouvernement» de la France.
Pour aller plus loin :
La guerre au Moyen Age / Philippe Contamine
L'art de la guerre au Moyen âge / Renaud Beffeyte
Le Moyen Age : le roi, l'Eglise, les grands, le peuple, 481-1514 / volume dirigé par Philippe Contamine
Bonne journée.