Les politiques n'ont-elles pas facilité la défaite en 40 ?
Question d'origine :
bonjour,
On dit souvent que la defaite de mai juin 40 était une defaite purement militaire.
Soi disant que l'armée francaise avait à l'époque "une guerre de retard" même si les francais se sont bien battus pendant la bataille de france.
Mais, au final, est ce que certains politiques n'avaient pas une forme de complaisance vis à vis du régime nazi? certains n'ont ils pas facilités la defaite? par du renseignement par exemple?
cordialement.
Réponse du Guichet
S'il est établi que la défaite de 1940 ne fut pas uniquement militaire et que les politiques ont eu une responsabilité, le sujet de la "complaisance" ou de la "facilitation" de la défaite a donné lieu et donne encore lieu à de nombreux débats parmi les historien-nes.
Bonjour,
Dans les longs et nombreux débats historiographiques sur les raisons de la défaite de la France en 1940, qui a abouti à la chute de la IIIe république et à la Collaboration, il semble assez établi que la défaite n’était pas purement militaire. Ce serait alors nier la responsabilité des politiques français, de la population française, et des autres puissances parmi les Alliés.
Dans 1940, Vérités et légendes, Rémy Porte tente de répondre à la question Pourquoi et comment en est-on arrivé là ? De nombreux éléments concernant l’aspect militaire de la défaite sont analysés, voici les plus fréquemment évoqués :
- La France aurait surestimé le réarmement de l’Allemagne et donc fait le choix d’une politique essentiellement défensive, notamment avec la ligne Maginot, qui trouva rapidement ses limites et s’avéra peu adaptée à la stratégie offensive allemande.
- La France n’aurait pas dépensé suffisamment pour s’équiper militairement. Il semble plutôt qu’elle ne l’ait pas fait assez tôt, et qu’elle ne fut donc pas prête en 1940 : elle manqua surtout d’avions face l’Allemagne et de moyens de communication efficaces.
- Le haut commandement n’aurait pas été à la hauteur, notamment le général Gamelin. C’est la thèse de l'historien Marc Bloch qui rédigea dès l’été 1940 son Etrange défaite : témoignage écrit en 1940 [Écrits clandestins] / Marc Bloch, livre majeur sur la défaite de 1940.
- La France aurait souffert d’un déficit démographique pour constituer son armée de réserve.
- L’armée allemande aurait été plus moderne. Il semble surtout que sa stratégie a été plus moderne "Alors que les français privilégient la "bataille conduite", préparée et planifiée par le haut état-major, et craignent le combat de rencontre, les Allemands prônent depuis le début du XIXe siècle la vitesse, la surprise, les manœuvres d'ailes et de contournement et laissent dans ce but une large autonomie de décision aux généraux en campagne. Formalisée après coup la guerre éclair n'est somme toute que l'adaptation de ces principes plus anciens à la guerre motorisée et aux matériels modernes, chars et avions."
Dans cet article Défaite de 1940 : l’armée française mal préparée, "une légende construite par Vichy" , l'historien militaire Michaël Bourlet, ancien officier et professeur d'histoire aux écoles de Saint-Cyr Coëtquidan explique lui que : «Les raisons de cette défaite sont d’abord intellectuelles et doctrinales. Le commandement ne parvient pas à penser la guerre qu’il doit mener. Focalisé sur les enseignements de la Première Guerre mondiale, l’état-major français est incapable de s’adapter aux nouvelles formes de la guerre. Les Français font moins bien que ce que leur doctrine préconisait. Les Allemands font mieux.»
Voir aussi : Dans La France en guerre, 1940-1945: une histoire globale / Chris Millington, le chapitre La Défaite et dans 1940, l’année noire, le chapitre L’armée de la défaite
Concernant les soldats français de 1940, si longtemps une image négative a été véhiculée sur leur compte, ils ont été progressivement réhabilités et les études ont montré que le haut commandement a utilisé l’idée de leur manque de combativité pour se dédouaner. D’après l’ouvrage de Rémi Dalisson, Les soldats de 1940 : une génération sacrifiée, ils ont été les sacrifiés de la mémoire, les oubliés de l’histoire.
Voir aussi : Les causes fondamentales de la défaite de 1940 (article dans le revue L'Histoire) et Les raisons de la défaite française sur Wikipédia
Entre militaires et politiques, chacun semble se renvoyer la responsabilité : «La défaite a conduit au procès des généraux par les politiques et à la dénonciation des politiques par les généraux, note l’historien Jean-Paul Cointet, spécialiste de l’histoire de Vichy. A l’accusation d’incompétence jetée aux militaires répond celle d’irresponsabilité lancée aux politiques.»
Le débat quant à la «complaisance des politiques» vis-à-vis des nazis est lui plus complexe. Il faut savoir que le régime de Vichy et le maréchal Pétain ont beaucoup utilisé la théorie de la décadence de la IIIe République et de l’incompétence des politiques pour expliquer la défaite, se dédouanant ainsi de leur responsabilité militaire et justifiant la capitulation et la Collaboration. Le Régime organisa d’ailleurs le procès de Riom pour accuser officiellement certaines personnalités politiques et quelques militaires aussi.
Voir L'infamie : le procès de Riom, février-avril 1942 / Jean-Denis Bredin
Dominique Kalifa dans son article La défaite de 1940 : la faute aux élites ? (voir l'article complet en pièce jointe) démonte le raisonnement de Vichy. Il montre que le pays était effectivement confronté au vieillissement de sa population, à une grande crise économique, à un désarroi politique et moral alimenté par les scandales politico-financiers, l'instabilité gouvernementale et l'essor des extrêmes, auquel s'ajoutait un fort consensus pacifiste dans la société, lié à la saignée de 14-18 et une position défensive et d'"apaisement" face aux menaces fascistes. Il pointe aussi une crise intellectuelle et morale, l'idée prégnante d'une crise de "civilisation" face à l'échec d'une société déshumanisée. Mais il la relativise d'une part en exposant l'émergence dans quelques cercles intellectuels d'une "troisième force" voulant sortir des clivages traditionnels et du parlementarisme ; et d'autre part en remettant en cause cette idée de décadence avec les exemples du Front populaire qui eut une véritable aspiration à revitaliser le pays, d'innovations industrielles et scientifiques, ou des 182 décrets réformateurs pris par le gouvernement Daladier. Il conclue : "C'est donc avec la plus extrême prudence qu'il faut prendre cette "crise" des élites et des idéologies qui aurait été responsable de la défaite."
Cela dit, il apparaît que la situation politique de la France des années 30 étaient particulièrement tendue, la France faisait face à une montée des mouvements fascistes et d’une élite politique, intellectuelle et économique proche des théories d’extrême-droite et antisémites de l’Allemagne nazie, et dont l’ennemi majeur était le communisme.
Ainsi dans une toute autre perspective, l’historienne Annie Lacroix-Riz dans Le choix de la défaite : les élites françaises dans les années 1930 met aussi en cause les élites en affirmant que «Les français n’ont pas été battus ; ils ont été trahis par le haut patronat, par peur du socialisme; et notamment de sa forme ultime: le communisme.», un patronat qui était maître de la presse et de la vie politique. Elle pointe le lien entre les mouvances fascistes françaises et leurs membres et le monde de la finance. Son ouvrage, une somme, dont vous trouverez une critique de Gilles Perrault en pièce jointe, s’appuie sur de nombreux documents d’archives, mais il fait débat au sein de l’historiographie sur le sujet. Il se situe à la fois dans la lignée des historiens anglo-saxons tels Zeev Sternhell, Robert Soucy, Robert O. Paxton, ayant démontré l’existence d’un fascisme français et dans l’héritage de ce que Marc Bloch écrivit en 1944, appelant de ses vœux un véritable procès pour trahison : «Le jour viendra et peut-être bientôt où il sera possible de faire la lumière sur les intrigues menées chez nous de 1933 à 1939 en faveur de l’axe Rome-Berlin pour lui livrer la domination de l’Europe en détruisant de nos propres mains tout l’édifice de nos alliances et de nos amitiés. Les responsabilités des militaires français ne peuvent se séparer sur ce point de celles des politiciens comme Laval, des journalistes comme Brinon, des hommes d’affaires comme ceux du Creusot, des hommes de main comme les agitateurs du 6 février, mais si elles ne sont pas les seules, elles n’en apparaissent que comme plus dangereuses et plus coupables pour s’être laissé entraîner dans ce vaste ensemble.»
Elle s’inspire aussi des travaux de l’historien Henri Guillemin Nationalistes et nationaux: la droite française de 1870 à 1940 et La vérité sur l'affaire Pétain.
La thèse d’Annie Lacroix-Riz (historienne communiste) est largement rejetée et critiquée par la majorité des historiens notamment parce qu’elle fait référence dans son ouvrage à la synarchie, mythe d’un complot politico-ésotérique et est donc accusée de diffuser une forme de théorie du complot. Elle est entre autres contredite par l’historien Olivier Dard interviewé dans cet article Synarchie, ce complot permanent qui n'existait pas, Olivier Dard étant un ancien membre d’Action française, et proche de mouvances de droite voir d'extrême-droite.
Vous l’aurez compris, la question que vous posez est loin d’être simple et réglée, puisqu’elle divise encore aujourd’hui la communauté des historien-nes, elle s’inscrit dans la continuité d’une historiographie clivée depuis la fin de la guerre et se fait le reflet des oppositions politiques actuelles.
Cependant, au-delà de ces débats complexes, il semble malgré tout que l’armée française n’était pas suffisamment prête en 1940 (stratégiquement, démographiquement, militairement) et qu’elle fut peut-être envoyée au «casse-pipe» par les politiques, les élites économiques et financières, la population et enfin par les alliés, tous étant foncièrement divisés.
Finalement, la réaction sur le vif de Marc Bloch dans l’Étrange défaite était déjà assez complète, même s'il semble oublier le rôle des autres pays protagonistes, analysé par Philip Nord dans France 1940, défendre la République. Voici le texte de Marc Bloch résumé par Dominique Kalifa dans son article :
ce témoignage analyse les raisons de la défaite de mai-juin, quʼil impute principalement aux manquements du haut commandement. Il y dénonce un état-major sclérosé, rivé à des conceptions rigides et passéistes, incapable de sʼadapter aux nouvelles réalités de la guerre. Figée dans une organisation bureaucratique qui préservait lʼimpunité des chefs, cette armée vieillie brilla par son incompétence, quʼaccentuaient le culte du secret et la crainte de lʼinnovation. Lʼimpréparation, la faiblesse des services de renseignements et les erreurs de communication firent le reste. Mais « lʼexamen de conscience » auquel se livre Marc Bloch souligne aussi les responsabilités plus diffuses du pays : la myopie des pacifistes, lʼincurie des partis politiques, lʼégoïsme de syndicats obsédés par lʼintérêt immédiat, lʼattitude enfin dʼune partie de la bourgeoisie prête, par anticommunisme, à collaborer avec les Allemands.
Quant aux renseignements, nous n’avons pas trouvé de référence au rôle spécifique du renseignement dans la défaite de 1940. Il semble en tout cas que les services secrets français étaient bien informés de l’état de l’armée allemande avant la guerre : Ce que les services secrets français savaient sur l'Allemagne nazie, article sur l'ouvrage La France et la menace nazie : renseignement et politique : 1933-1939 / Peter Jackson
A écouter : Mai-juin 1940 : La France défaite sur France Inter