Qui s'habillait au Printemps dans la seconde moitié du XIX e ?
Question d'origine :
Bonjour,
Qui s'habillait au Printemps dans la seconde moitié du XIX e ?
Avec mes remerciements
Réponse du Guichet
C'est une clientèle féminine plutôt jeune issue de la petite et moyenne bourgeoisie qui fréquente le Printemps dans la seconde moitié du XIXe siècle. Elle est plutôt parisienne mais grâce au développement des transports s'ouvre aux banlieues et attire les touristes internationales qui ne manquent pas de "faire leurs courses" dans les grands magasins parisiens.
Bonjour,
Le Printemps est un grand magasin qui a ouvert ses portes le 11 mai 1865. Créé par Jules Jaluzot et Jean-Alfred Duclos, il comptait 16 comptoirs : les soieries, les étoffes, les lainages, le blanc, les châles, la fourrure, la lingerie, les rubans, les dentelles, la confection, la bonneterie, la ganterie, la mercerie, les tapis, la passementerie, ainsi qu'un rayon de meubles et de décoration pour la maison. Dès son ouverture, il a appliqué cette règle d'or : la cliente a toujours raison. Prix affichés et fixes ; rotation rapide des stocks et mise en place des soldes ; les clients peuvent désormais flâner sans rien acheter ; vente de marchandises à faibles marges mais en grandes quantités ; création de catalogues et de la publicité... ; les bases du commerce moderne étaient posées.
Contrairement au magasin de nouveautés réservé aux classes supérieures, le grand magasin va ainsi s’ouvrir à une clientèle beaucoup plus large, englobant la bourgeoise des classes moyennes.
Le bon marché affiché par les grands magasins ne doit pas tromper : si l’augmentation de la taille des établissements, l’approvisionnement direct chez les fabricants et la rotation rapide des stocks leur permettaient de réduire la marge bénéficiaire et donc de vendre moins cher que les boutiques traditionnelles, leurs prix restaient malgré tout relativement élevés et, de plus, la vente au comptant rendait leurs articles inaccessibles à la clientèle populaire. Au témoignage de Jules Vallès (1883), les femmes du peuple ne pouvaient « toucher au fruit défendu » que grâce aux étals disposés aux entrées des magasins où s’entassaient des marchandises à prix d’appel (Péron, 2004, p. 104). En fait, les grands magasins s’adressaient presque exclusivement à une clientèle bourgeoise en mettant à sa portée des biens autrefois réservés aux plus riches : en abaissant les prix, ils les transformaient en objets courants de bonne qualité ou de demi-luxe. L’éventail de prix y était très large : en 1866, le Bon Marché proposait des châles dont le prix variait de 59 à 750 francs, ce qui lui permettait de toucher toutes les fractions de la bourgeoisie. En somme, « le grand magasin [était] en train de déplacer vers le bas la coupure sociale et d’unifier par en haut les classes supérieures de la société urbaine auxquelles il [imposait] une mode et des goûts analogues » (Gaillard, 1985, p. 543).
source : Les grands magasins et la modernisation du commerce de détail au xixe siècle / Jean-Claude Daumas
Le Printemps s’adressait à une clientèle jeune et aisée à qui il vendait des articles donnant accès au mode de vie de la bourgeoisie. Voici ce qu'indique l'ouvrage intitulé Les dessus et les dessous de la bourgeoisie [Livre] : une histoire du vêtement au XIXe siècle de Philippe Perrot (page 123) :
Aux franges des classes moyennes, qui s'approvisionnent chez eux en plus grand nombre, ils cherchent à capter un public à la fois plus relevé et plus plus populaire, en agrandissant les comptoirs de luxe et d'articles ordinaires, en multipliant les expositions qui présentent la mode et les soldes qui la liquident. Idéalement, "la petite ouvrière y trouve sa belle robe de laine des dimanches ; l'honnête bourgeoise, des soieries simples, riches et confortables ; et la grande dame tout ce que le caprice peut enfanter de plus aristocratique et de plus original comme tissus et comme dessins".
Très tôt pourtant, les grands magasins réalisent qu'en dépit du large éventail des articles proposés, il est illusoire de réunir dans un même espace toute les clientèles possibles. Ainsi chacun d'entre eux adapte-t-il ses assortiment et son exploitation en fonction de groupes de revenus, de statuts sociaux et de classes d'âge qui ne se recoupent pas entièrement, chacun affirmant un style et adoptant un esprit. S'instaure donc une typologie du grand commerce : Le Louvre, dont "les confections sont en général riches et destinées principalement à la classe aisée de la société", passe pour cossu, conservateur et conformiste. Zola, qui le compare au Bon Marché, constate qu'il "est plus coquet et plus cher", alors que "le Bon Marché sent un peu la province". Le Printemps, lui, s'est toujours voulu moderne et audacieux, avec une clientèle plutôt jeune, petite et moyenne bourgeoise. La Samaritaine, qui vend à très bas prix, draine une pratique populaire, tout comme la Ville-de-Saint-Denis, par exemple, "fournisseur des bureaux de bienfaisance, des vestiaires de paroisses, de la préfecture de police, de la maison impériale de Charenton et de la lingerie générale du département de la Seine."
La clientèle n'est pas uniquement parisienne mais s'étend aux banlieues et autres grandes villes françaises grâce au développement des transports.
La révolution commerciale qu’il a incarnée est indissociable du développement du chemin de fer, de l’industrialisation de la fabrication de nombreux produits de consommation et des transformations qui s’opéraient dans le Paris d’Haussmann dans un climat de fièvre bâtisseuse et de spéculation immobilière bien rendu par Zola dans La Curée. Le percement de larges avenues bordées de vastes trottoirs, la mise en relation directe des gares ferroviaires avec le cœur de la capitale, et l’amélioration de la circulation intra-muros grâce à des compagnies de transport hippomobile, autant de bouleversements qui ont donné naissance à un Paris foncièrement différent de celui de 1850 et qui ont modifié profondément le mode de vie des Parisiens, désormais pris dans de nouvelles relations spatiales et des circulations plus rapides (Caron, 1995, p. 41-46 ; Harvey, 2012 [2006], p. 173-187).
source : Les grands magasins et la modernisation du commerce de détail au xixe siècle / Jean-Claude Daumas
La clientèle était à 90% féminine et composée de touristes étrangères.
Le grand magasin était généralement considéré comme un paradis pour la femme, comme le reflète le titre du roman d'Emile Zola paru en 1883, "Au bonheur des dames". Dans les années 1880, 90% des clients des grands magasins parisiens étaient des femmes. Pouvoir se promener librement dans un magasin leur faisait penser qu'il "était à elles, et que, dans certaines limites, elles pouvaient y faire ce qu'elles voulaient". Beaucoup de femmes développèrent une addiction et s'y rendaient presque quotidiennement. Quand Paris fut assiégé par les armées prussiennes en 1870, le Bon marché et les Grands magasins du Louvre fermèrent leurs portes car une grande partie de leur personnel, alors essentiellement composé d'hommes, avait été mobilisée. Les protestations du public furent telles qu'ils engagèrent des employées pour rouvrir. Même pendant le siège, les touristes américains et britanniques continuèrent leurs emplettes : pour eux, quitter Paris sans avoir fait d'acquisition dans ses grands magasins "était une occasion qu'ils regretteraient toute leur vie".
Les Expositions universelles, qui révolutionnaient la façon de présenter les produits, attiraient du même coup des milliers de visiteurs dans les villes organisatrices. Une synergie s'était créée, sur laquelle comptait beaucoup le commerce. Les grands établissements coordonnaient leur assortiment avec les présentations et les événements de l'Exposition. Les femmes de passage pouvaient clamer que l'objet de leur visite à Paris était les musées et les églises, en réalité, "faire ses courses" était "leur plus haute aspiration". La femme a-t-elle "une âme attirée par les nouveautés ?", se demandait une fanatique du shopping, assurant qu'un groupe d'intellectuelles qui séjournaient dans sa pension parisienne, "jour après jour, délaissaient leurs livres et leurs papiers pour consacrer leur temps et leurs pensées [...] à deux grands magasins de nouveautés".
source : Une histoire des grands magasins [Livre] / Jan Whitaker ; traduit de l'américain par Jacques Bosser
On retrouve ce mode de vie décrit dans l'ouvrage intitulé La Parisienne [Livre] : histoire d'un mythe : du siècle des lumières à nos jours de Emmanuelle Retaillaud qui explique (page 117) que certains travers de la consommation de masse font leur apparition :
... c'est dès 1865 qu'ont commencé les travaux d'agrandissement du magasin Au Louvre, et que s'installe, sur le boulevard Haussmann, lui-même percé en 1857, le magasin Au printemps. Rompant avec la stratégie élitiste des fournisseurs de la Cour ou de l'aristocratie, le grand magasin entend rendre accessibles les modes de l'élite aux classes moyennes, grâce à des techniques de vente rationalisées (soldes, publicité, opérations ciblées...) et des aménagements spectaculaires. Dans cette "cathédrale du commerce moderne, [...] faite pour un peuple de clientes", la femme, selon Zola, "devient sans force contre la réclame", poussée à l'achat par un frisson quasi érotique : "elles se trouvaient comme en partie fine au Bonheur, elles y sentaient une continuelle caresse de flatterie. [...] L'énorme succès du magasin venait de cette séduction galante". Le contact charnel avec les étoffes et les bibelots, favorisé par la mise à disposition directe dans des casiers ou sur des rayonnages, hystérise jusqu'à la bourgeoise la plus sage, avec son corollaire pathologique, la kleptomanie. [...] Sous la "patte" du commerçant tout puissant, la Parisienne se fait le symbole d'une nouvelle modernité capitaliste, qui exalte la pulsion d'achat et la douce dictature de la marchandise.
Sans compter les individus peu scrupuleux venus fréquenter les grands magasins pour assouvir quelques fantasmes. Philippe Perrot nous les décrit dans Les dessus et les dessous de la bourgeoisie [Livre] : une histoire du vêtement au XIXe siècle aux pages 118 à 121. Aux voleurs et voleuses s'ajoutent les "peloteurs" qui se faufilent dans la foule pour "passer leurs mains sur la poitrine et la rotondité des belles filles" ; les "frotteurs" dont le regard s'arrête sur l'échancrure des robes pour admirer la gorge des femmes. Certains d'entre-eux se livrent à des "attouchements clandestins". D'autres embrassent voire coupent des cheveux. Les "destructeurs" coupent à l'aide de ciseaux les vêtements de ces dames et enfin les collectionneurs de mouchoirs qui les enroulent autour d'une partie de leur corps...
"Dénoncé par beaucoup comme un fléau, instigateur d'agissements turpides, démoralisant le peuple, prostituant les femmes, dilapidant les ménages, rongeant le petit commerce, enlaidissant la production, le grand magasin poursuit sans sourciller son expansion, sûr de sa force et de son avenir."
Autre ouvrage que vous pourrez consulter à la bibliothèque municipale de Lyon : Le Roman du Printemps [Livre] : histoire d'un Grand Magasin de Jean-Paul Caracalla qui retrace l'histoire de ce grand magasin.
Bonne journée.