En quoi les sources et l'architecture de l'Opéra Garnier sont-elles éclectiques et multiples?
Question d'origine :
Bonjour,
pouvez vous me dire en quoi les sources et l'architecture de L'Opéra Garnier sont-elles éclectiques et multiples?
Je vous remercie,
Belle année
Réponse du Guichet
L’Opéra Garnier est souvent présenté comme emblématique de l’architecture Napoléon III, qui réunit elle-même plusieurs styles et foisonne d’une exubérance proche du Baroque.
L’Opéra Garnier est en tous points un bâtiment d’exception : qu’il s’agisse du contexte, de l’histoire ou des modalités de sa construction, mais également des exubérances stylistiques qui l’ont façonné.
La naissance du projet
Dès sa conception en 1860, il se présente comme le plus prestigieux projet architectural du Second Empire.
Déclaré d’intérêt public, le Nouvel Opéra de Paris est l’objet d’un concours auquel participeront quelque 171 architectes. Lorsqu’il est choisi, Charles Garnier, âgé de 34 ans, est un inconnu. Pour mener son projet, il réunit en urgence une trentaine de jeunes architectes, venus comme lui de l’École des Beaux-Arts, pour créer son Cabinet d’Architecture.
Charles Garnier devra travailler sous la supervision de l’Empereur, de ses Ministres et d’Haussmann, alors en train de remodeler Paris. Celui-ci lui impose un périmètre en losange, dicté par le tracé d’avenues encore en projet.
De cet espace, inadapté à un tel édifice, coincé entre les axes de circulation à construire, l’architecte tirera profit en opposant son bâtiment à « la tristesse de l’urbanisme haussmannien ».
Charles Garnier le définit lui-même comme
un coup de trompette dans la chambre d’un malade
Dès lors, la création d’un bâtiment hors normes est lancée.
Références architecturales
L’architecte connaît ses classiques. On trouve dans le corps du bâtiment des références directes au Louvre (la colonnade monumentale de la façade principale), à la Galerie des Glaces de Versailles (vestibules de la première tranche du bâtiment).
Mais cette inspiration classique est souvent doublée d’une ligne inédite qui fait de l’Opéra une création d’avant-garde.
On rapporte à ce propos un échange piquant resté célèbre : l'impératrice, mécontente que son protégé, Viollet-le-Duc, n'ait pas été choisi, commente ainsi les plans :
« Qu’est-ce que c'est que ce style-là ? […] Ce n'est pas un style ! Ce n'est ni du Grec, ni du Louis XVI, pas même du Louis XV !»
Et Charles Garnier de répondre :
«Non, ces styles-là ont fait leur temps […] C'est du Napoléon III ! Et vous vous plaignez !» (Musée d’Orsay – Parcours « L'Opéra de Charles Garnier »)
(Musée d'Orsay, Parcours « L'Opéra de Charles Garnier »)
C. Garnier fait donc des choix techniques et esthétiques révolutionnaires qui lui sont propres et qui deviendront les marqueurs spécifiques du style Napoléon III.
Des espaces et volumes totalement inattendus
On peut citer ici les diversités formelles proposées, qui se distinguent notamment par une course à l’élévation, comme pour signifier à quel point les Arts et la Création dominent la ville.
De même, il conçoit une salle plutôt petite (intime) à laquelle s’oppose une scène qui fait partie des plus grandes d’Europe
Il accorde également aux espaces de déambulation du public (accès, grand escalier, lieu d’entracte) une place inhabituelle (le quart de l’édifice).
La conception du Grand escalier (considéré comme le cœur du bâtiment) est elle aussi particulièrement novatrice.
En effet, cet espace intègre notamment des galeries et balcons (à l’image de ceux que l’on trouve dans les grands magasins construits à l’époque), conçus comme des coursives ouvertes sur un lieu clos (celui de l’entrée du public) et qui permettent d’admirer l’intérieur du bâtiment. On est déjà au spectacle, en observant, du haut de son balcon, les déambulations du public dans cet espace : l’Architecture se met elle-même en scène !
Diversité chromatiques
Si l’architecte joue sur les contrastes de volumes, il propose également une variation sur les contrastes de lumières et de couleurs.
Charles Garnier est un partisan de la polychromie. Ici, les diversités chromatiques détonnent dans le paysage architectural du temps. Il associe par exemple la pierre blanche au marbre rose, qu’il coiffe d’or (voir la double colonnade de la façade principale). On lui reproche d’ailleurs d’avoir «bariolé» le bâtiment.
Ainsi, ses partis pris architecturaux inédits font de l’Opéra Garnier un modèle incontournable du style Napoléon III, qui a inspiré jusqu'à l'Opéra de Sydney.
Fruit d’une architecture pleine d’excès, le bâtiment, dans toute sa démesure, offre un hommage au spectacle vivant.
Pour aller plus loin, nous vous signalons les ressources suivantes :
Livres
- L'Opéra de Charles Garnier : une œuvre d'art total / Gérard Fontaine ; photographies Jean-Pierre Delagarde
- L'Opéra de Charles Garnier : architecture et décor intérieur / Gérard Fontaine ; photographies de Jean-Pierre Delagarde, Jacques Moatti
- Charles Garnier et l'Opéra - Exposition [...] Centenaire de l'Opéra / Bibliothèque de l'opéra
Documentaires
- Architectures. Volume 03 (Collection Architecture, Arte documentaires), qui comprend un film de Stan Neumann sur l’histoire complète de la construction du bâtiment
- Un opéra pour un empire, réalisation de Patrick Cabouat (Arte Documentaire)
Sites internet
- Passerelles (Bibliothèque Nationale de France) qui propose un dossier complet sur l'Opéra
- Le Musée d'Orsay propose lui aussi un « Parcours Garnier »
Podcasts radio
- « L'Opéra Garnier, un monument d'avant-garde qui a fait école » (France Culture, par Yohan Glemarec, 2019)
- Interview de Gérard Fontaine (philosophe, spécialiste reconnu de l’opéra, dont nous vous proposions plus haut les ouvrages) (France Musique, 2018)