Je cherche des renseignements sur l'origine de la séparation des toilettes femmes hommes
Question d'origine :
Bonjour !
J'aurais aimé avoir des renseignements sur l'origine de la séparation des toilettes femmes hommes : à quel moment est ce arrivé, pour quelle raison ? Toute information, même d'exemples ou d'anecdotes, me sera utile. Merci !
Réponse du Guichet

Hygiène, santé mais aussi l'essor de la notion d'intimité ou les discours moralistes sont à l'origine des toilettes publiques destinées dans un premier temps aux hommes avant que ne soit posé, à la fin du XVIIIe siècle, la question de l'usage féminin.
Bonjour,
Répondre à votre question équivaut à dresser un panorama de l’évolution des toilettes, qui plus est des toilettes publiques et de revenir sur l’essor à partir de la seconde moitié du XVIIe siècle de la « privatisation de la défécation ». Dans l'ouvrage Histoire et bizarreries des excréments : des origines à nos jours, Martin Monestier dresse une histoire du cabinet de toilette, du cabinet de commodité, lieux spécifiques pour fonctions intimes qui vont peu à peu réussir, au cours du siècle suivant, ce que les latrines et la chaise percée n’avaient pu imposer, à savoir un emplacement clos, intime, échappant aux regards, pour satisfaire ses besoins naturels.
Par ailleurs, l’essor des toilettes publiques s’inscrit dans un contexte sanitaire et hygiéniste bien spécifique et si de nombreuses tentatives ont lieu de l’Antiquité à la fin de la Renaissance, il faut attendre 1670, soit l’initiative d’un bourgeois parisien qui :
fait parvenir au conseil de Louis XIV un texte où est exposé pour la première fois l’idée d’établir dans la ville des cabinets d’aisance à l’usage public (…) Les dites chaises seront faites d’une manière bienséante et ne paraîtront pas ce qu’elles seront. Ceux qui s’en serviront y seront commodément et à couvert, sans pouvoir être appréciés…
(...) quelques initiatives, moins ambitieuses, vont trouver des applications. Celle, par exemple, de ce particulier original qui, en 1730, sous le règne de Louis XV, imagine une « tinette pliante ». il se promène dans les rues, tenant dans ses bras un pot de chambre d’étain et une vaste pièce de tissu destinée à cacher ses clients durant « leurs opérations ».
Source : Histoire et bizarreries des excréments : des origines à nos jours, p. 147
L'auteur poursuit (p. 148-150)
En 1771, M. de Sartine, lieutenant général de police de Louis XV, fait installer des barils-urinoirs à tous les carrefours importants de la capitale (…) toutefois la pensée du lieutenant général de la police demande à être complétée. Rien n’est fait pour les femmes. La médecine officielle a son avis sur la question : « Elles se retiennent et pendant ce temps, les humeurs leur montent au cerveau (…) des citoyens zélés proposent des « bureaux diarrhéiques à l’aspect de salons. Enfin, parmi toutes les innovations, on doit citer la proposition véritablement « révolutionnaire » faite en 1790 de créer des latrines roulantes pour les deux sexes, sous le nom de « pot de chambre mobiles ». Plus pragmatique encore, Restif de la Bretonne suggère d’obliger les propriétaires à garnir leurs maisons au rez-de-chaussée de latrines pouvant servir au public si nécessaire.
Le problème des besoins naturels des femmes préoccupe également Jonathan Swift (...). L’auteur des Voyages de Gulliver lance le projet d’une société par actions qui s’engagerait à construire 500 édicules publics (…) Le projet humoristique de Jonathan Swift resta sans suite, mais repris de façon sérieuse à Paris, il va effectivement assurer de substantiels revenus au duc d’Orléans (…) Le succès a été immédiat et considérable alors que les latrines des tuileries, précédemment édifiées et moins coûteuses, ne connaissaient aucun succès (…) Toute la publicité du concessionnaire tient dans le papier qu’il donne gratuitement …
(...) Sous le premier Empire, on signale la présence de toilettes ambulantes traînées par deux chevaux et parcourant les grandes voies de la capitale (...) le troisième Empire les conserve et elles sont toujours là lors de l’ouverture de la grande exposition de 1878 (…) leur intérieur n’a pas changé depuis le premier Empire. Construites en tôle, elles renferment chacune six latrines individuelles dont deux distinctes réservées aux dames.
Au XIXe siècle, toujours pour des questions d’hygiène, de nombreux préfets tentent d’améliorer la situation. Il en est ainsi du Préfet de la Seine Gisquet qui prévoit en 1840 un plan d’implantation de 1500 urinoirs publics pour la capitale ou de son successeur Rambuteau lequel, poursuivant cette politique hygiéniste, multiplie la construction d’urinoirs publics. En 1843, « Paris compte 468 urinoirs ».
En juillet 1859, la Grandt§ Cie » obtient la première concession d’urinoirs publics (…) en 1873 sur le boulevard de Sébastopol, apparaissent les turinois à deux places.
Puis en 1875, « un certain Victor Martin obtient l’adjudication pour la construction et l’exploitation de 62 urinoirs à six places (..) mais, « les besoins naturels des femmes semblent avoir été négligés pour ne pas dire délibérément oubliés (... ) « une femme honnête, ne jouit pas et elle doit savoir aussi contenir les nécessités de la nature »(…)Une vingtaine d’années après l’édification des premières colonnes Rambuteau, vers 1859, deux messieurs, Boisgontier et Bonzo ont plaidé cette cause auprès du préfet de police : Pourquoi les dames, écrivent-ils aussi à Rambuteau, ne jouiraient-elles pas d’une sorte de pavillon réunissant les mêmes avantages que ceux accordés aux hommes … »
Les deux hommes, moins philanthropes qu’il n’y paraît, demandent en fait une concession de la ville pour la construction de « retraits urinaires pour les dames ». Ils proposent des chalets de 2,30 mètres sur 1,85 mètre, d’une hauteur de 4 mètres, avec des revêtements intérieurs en boiseries et un système de ventilation …
p. 152 :
Le projet est refusé comme le seront tous ceux présentés jusqu’en 1900. Les femmes devront se « retenir » encore un demi-siècle (…) En 1891, l’administration est à nouveau invitée par un collège d’hygiénistes à construire sur la voie publique des chalets de nécessité gratuits destinés aux femmes. Nouvelle fin de non-recevoir des élus.
Enfin, en 1902, un certain Dorion obtient la concession de six chalets de nécessité ouverts aux hommes et aux femmes. Immédiatement, une campagne contre cette « horreur » est déclenchée par de puissantes « associations moralistes ». Dans les couloirs toujours trop étroits, les deux sexes se coudoient, non sans quelque froissement qui ne manque pas de choquer les sentiments très naturels et légitimes de la pudeur féminine. Malgré toutes les oppositions des experts en pudibonderie, en 1911, le nombre de chalets mixtes est passé à 112…
Une campagne contre les urinoirs publics se développent et pour mettre fin aux problèmes posés par les vespasiennes de surface, l’idée de créer des « lavatories souterrains » fait son chemin. En 1903 est donc inauguré un « lavatory » souterrain, en même temps que la ligne numéro 1 du métro, constitué de 22 urinoirs pour hommes, de 13 cabinets de toilette et, pour les dames de 14 cabinets de toilette dont 4 avec bidets à eau chaude (voir p. 154).
Et en dehors des lieux publics, me direz-vous ? Les entreprises ont l'obligation de proposer des toilettes séparées mais cela n'en a pas toujours été le cas comme le révèle l'article du 1er juin 2016, Les toilettes n’ont pas toujours été séparées (puis est venu le sexisme), par Aude Lorriaux :
La séparation des toilettes a été imposée aux entreprises au début du XXe siècle, dans la foulée d'une idéologie de séparation des sexes qui voulait empêcher les femmes de sortir et de travailler.
(...)
l’apparition des usines au XIXe siècle, où affluent d’abord les hommes en masse, va imposer une division de l’espace entre «espace public» et «espace privé». L’espace privé est considéré comme relevant du féminin, et l’espace public, du masculin.
Puis peu à peu les femmes rejoignent aussi l’usine, et partagent les toilettes des hommes. Au même moment, des recherches scientifiques mettent en avant la «faiblesse» des femmes, comme celles du théoricien de l’évolution Charles Darwin. L’idée que les femmes doivent être protégées des hommes, et qu’une séparation des sexes doit être maintenue dans l’usine, progresse. C’est ainsi que naissent les lois qui imposent aux entreprises d’avoir des toilettes séparées, dans le prolongement d’une idéologie qui visait à les maintenir au foyer.
Léa Mosconi, Benjamin Moron-Puech, Henri Bony dans « La (dé)ségrégation des toilettes » (Techniques & Culture, 2022/1 (n° 77) traitent de cette question :
L’idée de créer des toilettes ségréguées selon le genre des personnes est relativement récente dans l’histoire des commodités (Cordier-Jouanne 2020, Kogan 2007) et apparaît à la fin du XIXe siècle, d’abord aux États-Unis semble-t-il, avec le développement du travail féminin et la présence accrue des femmes en dehors de l’espace domestique. Elle répond alors tant à la demande d’hommes que de femmes (Kogan 2007 : 17) désireux d’instaurer une ségrégation des espaces pour protéger la vertu prétendue des femmes. Rapidement consacrée par le législateur outre-Atlantique (Kogan 2007 : 15), cette ségrégation n’intègre le droit français qu’en 1946. Pour mettre concrètement en place cette séparation, un seuil est créé entre l’espace du travail mixte et l’espace sanitaire partitionné. Cette séparation est le plus souvent matérialisée par un mur que l’on traverse par une porte pleine, manière de signifier le changement de règles. Ce dispositif de ségrégation à l’œuvre dans et par les toilettes vise ainsi à délimiter la place convenable des femmes dans la sphère sociospatiale (il ne saurait être question alors de mixité inclusive et égalitaire). L’émergence de la partition genrée des toilettes publiques ainsi que la différentiation des dispositifs techniques via la création d’urinoirs à la même période, s’ancre d’abord dans des injonctions moralistes qui contribuent à contenir l’émancipation des femmes. Cette ségrégation se présente en effet comme un reflet des rôles sociospatiaux assignés à chaque genre : aux femmes le seul cabinet fermé, écho du travail domestique privé, aux hommes la possibilité d’accéder également aux urinoirs ouverts, écho à l’espace public leur appartenant (Preciado 2017) (...) aucune norme n’impose des toilettes ségréguées dans les lieux d’habitation ou dans les établissements recevant du public, même si, s’agissant de ces derniers, les toilettes ségréguées sont très largement répandues. En revanche, cette ségrégation est bien imposée sur le lieu de travail, du moins dans le secteur privé , ainsi que dans les piscines intérieures. Pour le lieu de travail, relevons que sont imposés non seulement des espaces séparés, mais aussi des équipements spécifiques pour les seules femmes, à savoir « un récipient pour garnitures périodiques » , en pratique assez sommaire.
Vous trouverez d’autres informations dans l’ouvrage de Roger-Henri Guerrand, Les lieux. Histoire des commodités.
Vous pourriez aussi jeter un coup d’œil aux articles :
Pourquoi faire des toilettes séparées ?
Vanessa Delevoye, Toilettes, enjeux d’égalité hommes-femmes, 2020.