Existe-t-il des maisons Gillet dans le 9e arrondissement de Lyon ?
Question d'origine :
existe-t-il des maisons Gillet dans le 9è arrondissement de Lyon?
Réponse du Guichet
Contrairement à Villeurbanne ou Vaulx-en-Velin, il n’y a pas eu à Vaise de cité ouvrière construite à l’initiative des Gillet.
La première usine de la dynastie Gillet est implantée sur le quai Joseph Gillet (anciennement Serin) au milieu du XIXe siècle ; elle y demeurera jusqu’à sa destruction en 1977. C’est le fils de François Gillet, fondateur de l’empire familial qui étendra l'activité du groupe à Villeurbanne en investissant dans les secteurs nouveaux de la chimie au tournant du siècle, et surtout en créant la SASE en 1925 (Soie artificielle du Sud-Est) pour laquelle il édifiera les grandes et petites cités TASE, modèle de la cité jardin : il fallait en effet faire venir de l’étranger et des campagnes françaises une main-d’œuvre prête à s’atteler au travail difficile, salissant et pénible de cette nouvelle industrie (cf. Le Logement populaire et social en Lyonnais, p.100).
Mais les cités Tase, n’étaient pas un coup d’essai pour les Gillet. L'entreprise familiale gérait en effet par le biais de plusieurs sociétés immobilières un parc important de logements sur Lyon et ses environs. Par exemple, la Société des logements économiques fondée en 1886 par un collectif d’entrepreneurs Lyonnais (Gillet, Mangini – chemin de fer - et Aymard - banque) se pose pour objet « la création à Lyon, aussi économiquement que possible, de maisons ne laissant rien à désirer sous le rapport de l’hygiène et d’un confort relatif, destinées à une population ouvrière et mises à sa disposition aux meilleures conditions possibles.» C’est sous l’égide de cette société que les Gillet font construire en 1893 la cité ouvrière de la rue Koechlin, composée de sept immeubles collectifs pouvant abriter quelques quatre cents personnes. (cf. Le Logement populaire et social en Lyonnais, p.80) Ce sont ces logements qu’on appellera par la suite « les maisons Gillet ». On lira avec profit l’histoire de cette cité Gillet sur le site du Rize. La même société est à l’origine d’autres unités d’habitat social : 44 logements cours Emile Zola, 15 immeubles collectifs rue Flachet et rue de La prévoyance entre autres.
Quant aux ouvriers du quai Serin, ils pouvaient eux aussi bénéficier de logements appartenant aux sociétés immobilières du groupe, et ce dès 1871. Il ne s’agissait cependant pas d’un ensemble homogène construit pour cet usage mais plutôt du fruit de l'activité immobilière parallèle des Gillet puisqu’il ne concernait que minoritairement les ouvriers des usines Gillet, et que, donc, ces logements pouvaient être occupés par n’importe qui. Si par « maison Gillet », on entend un type de bâtiments s’inscrivant dans l’architecture hygiéniste des « maisons jardin » ouvrières très représentées au début du XXème siècle, on doit en exclure ces logements, simplement annexés par les sociétés immobilières du groupe Gillet sur un parc d’immeubles déjà existants.
Mais peut-être par « maison Gillet » entendez-vous plus prosaïquement une maison ayant appartenu en propre à la famille Gillet ? On trouvait bien dans les hauteurs de Vaise la villa La Volontaire, détruite dans les années 1960 pour l'aménagement du quartier de la Guillotière. Cette demeure appartint à Charles Gillet, un des fils de Joseph ; elle est surtout restée fameuse dans l'inconscient Lyonnais comme théâtre d'un fait divers qui s'y déroula en 1925 et fit grand bruit à l'époque (cf Les Gillet de Lyon : fortunes d'une grande dynastie industrielle, 1838-2015 ch. XIV).
Pour finir, citons quelques pages que l'ouvrage Les Gillet de Lyon : fortunes d'une grande dynastie industrielle, 1838-2015 consacré à l'activité immobilière de la société Gillet, pages qui vous permettront de déméler l'écheveau des différentes sociétés à l'origine de l'empire foncier de la famille. Cet ouvrage constitue la source principale de notre réponse.
UN PARC ÉTENDU DE LOGEMENTS OUVRIERS
Une autre dimension importante de l'action sociale de l'entreprise Gillet & Fils concerne l'habitat, avec la croissance continue d'un parc de logements loués au moins en partie aux salariés, à proximité des principales usines. Certains sont la propriété des différentes sociétés du groupe ; d'autres relèvent d'une fondation ou d'une société spécialisée.
LES MISSIONS SOCIALES
Les logements des sociétés du groupe
Dès 1871, la SNC avait commencé à acheter les immeubles quai de Serin qui abritent de nombreux logements. Le patrimoine immobilier ne cesse de s'étendre dans le quartier jusque dans les années 1920. D'après les listes nominatives du recensement de 1936, 355 ménages et 1 203 personnes habitent dans une trentaine d'immeubles appartenant aux sociétés du groupe. Il ne s'agit pas d'une véritable cité ouvrière : d'une part, les constructions sont hétérogènes et, d'autre part, les locations ne sont pas réservées au personnel de la maison : on ne recense que 156 employés des Ets Gillet & Fils, soit près d'un tiers des effectifs de Serin il est vrai alors en forte baisse 18, et 24 de chez Progil de l'autre côté de la Saône à Vaise. Beaucoup d'autres travaillent à l'extérieur. Le groupe Gillet a donc aussi une activité immobilière, qui l'amène à héberger 0,2 % de la population de la commune de Lyon [S'y ajoutent les deux immeubles de trois et quatre étages de la rue de Saint-Cyr (no 112-114) à Vaise, cédés en 1913 à la nouvelle Fondation Gillet, entièrement contrôlée par la famille. Les dix-sept logements de deux ou trois pièces hébergent 63 personnes, dont trois salariés de Progil et deu des Ets Gillet en 1936].
On retrouve la même politique à plus grande échelle à Villeurbanne, où Gillet & Fils possédait une cinquantaine d'immeubles collectifs et dix-huit villas qui hébergent en 1936 439 ménages et 1 372 personnes, parmi lesquelles 335 déclarées salariées chez Gillet. Par ailleurs, la société avait cédé en 1913 cinq immeubles de quatre et cinq étages dans la commune de Villeurbanne (cours Emile Zola) et deux terrains pour en bâtir neuf autres de quatre étages (cours Emile Zola et rue Thimonnier) à la nouvelle Fondation Gillet. D'après le témoignage d'Auguste Isaac dans son journal, les logements, destinés en priorité aux employés de l'entreprise, seraient loués à un tarif avantageux, qui ne donnerait qu'un rendement de 4,5 % brut, contre 5 % à ceux des Logements économiques et au moins 5,5 % à un bailleur privé. Un logement de trois pièces cours Emile Zola ne coûterait, eau comprise, que 252 francs par an 22, soit un peu moins d'un cinquième du salaire moyen d'un ouvrier de province à l'époque. En 1936, la fondation héberge dans ces 152 appartements de deux à quatre pièces 463 personnes, dont 83 employés de Gillet & Fils. En tout, ce sont 2,3 % de la population de le commune et plus des trois-quarts de l'effectif de l'usine qui sont logés. Dans une ville à la croissance démographique considérable — elle est passée de quelque 15 000 habitants quand les Gillet s'y sont implantés en 1889 à plus de 80 000 —, ils ont dû faire des efforts plus grands qu'à Serin pour retenir un personnel largement venu d'ailleurs.
Cette politique a également été menée à Izieux, où la fondation entretient une véritable cité ouvrière, la Cité des tilleuls (devenue cité Joseph Gillet), avec neuf immeubles de deux étages dont elle a hérité en construction en 1913. Les cinquante-quatre logements de deux à trois pièces ne peuvent cependant héberger qu'une petite partie des salariés de l'usine locale de teinture (et de soie artificielle voisine). L'origine plus rurale de la main-d'oeuvre ne devait pas nécessiter les mêmes investissements immobiliers que dans l'agglomération lyonnaise.
Des cités ouvrières ont également été construites à proximité de nouvelles usines appartenant aux autres branches du groupe Gillet. Dans la chimie, c'est le cas à Pont-de-Claix25, aux Roches-de-Condrieu, à Condat, à Clamecy, où deux cent cinquante ouvriers sur six cents sont logés dans trois cités dans les années 1950, etc. Les programmes se poursuivent encore dans l'après-Seconde Guerre mondiale, avec dix-huit nouveaux logements livrés pour les salariés de Progil en 1948, autant en 1949 27. Mais c'est aussi à ce moment-là que l'entreprise s'engage de manière moins directe : en 1950, elle annonce la mise à disposition de son personnel d'une première tranche de vingt-huit logements HLM à Pont-de-Claix, ainsi que l'attribution de prêts au logement, avec le souci de faciliter l'accession à la propriété. Un bilan chiffré des multiples formules proposées est donné dans le rapport annuel de 1957 :
«Actuellement, nous mettons à la disposition de l'ensemble de notre personnel 400 logements, dont 350 nous appartenant. En plus, notre participation dans les HLM nous a permis de disposer de 75 logements. En outre, 70 ouvriers sont devenus, grâce à notre aide, propriétaires de maisons individuelles construites à leur intention. Enfin, nos cantines abritent une cinquantaine de célibataires. D'autre part, une masse de 100 millions de francs est mise en permanence, sous forme de prêts sans intérêt, à la disposition des membres de notre personnel intéressés à l'aménagement de logements leur appartenant ou à l'acquisition de locaux existants. Depuis l'origine de l'institution de ces prêts au logement, 212 prêts ont été consentis. C'est finalement 750 familles et 50 célibataires qui, grâce à notre société, sont logés dans d'excellentes conditions matérielles et financières.»
Cette politique ne bénéficierait donc qu'à un quart des salariés, dont l'effectif atteint à cette époque trois mille. Dès 1960, on arriverait d'après l'entreprise à 40 %, que ce soit par accession à la propriété (47 %), avec des logements propriété de Progil (4! %) ou avec des logements HLM ou autres locations (12 %).
C'est dans le textile artificiel que l'effort du groupe est le plus important, pour répondre à la croissance spectaculaire dans les années 1920 des nouvelles usines implantées à la périphérie de grandes villes, ou dans des petites villes. Ainsi, à La Voulte-sur-Rhône, usine exploitée depuis 1913, les deux cités Joseph Gillet et « nouvelle » comptent en 1935 quatre-vingt-quatre maisons pour ouvriers et employés, pour un effectif qui dépassait mille salariés jusqu'à l'arrêt de la filature en 1931. A Vaulx-en-Velin, usine géante construite en 1922 au milieu des champs, la «Grande cité» abrite 451 logements répartis en vingt immeubles élevés, et la «Petite cité» 2.89 logements dans soixante-quatre maisons. Même si ces cités bénéficient à moins de la moitié d'un effectif qui dépasse régulièrement deux-mille salariés — la proximité du chemin de fer de l'Est lyonnais, ainsi qu'un service d'autocars, permettent d'acheminer les autres —, elles représentent un effort considérable pour retenir une main-d'oeuvre en grande partie immigrée et cosmopolite. Elles sont remarquables par leur qualité architecturale préservée jusqu'à aujourd'hui et par l'ampleur des services offerts : y sont associés deux groupes scolaires de six et sept classes, une chapelle, un centre médical, un réfectoire, des bains-douches, un bâtiment à usage social et un stade. Mais cet effort a été concentré dans les années 1920 ; le parc immobilier n'évolue plus ensuite.
Les immeubles apportés à la Fondation Gillet
La Fondation Gillet, créée en avril 1913 par les associés de Gillet & Fils pour « fournir aux ouvriers et employés moyennant un loyer restreint des logements salubres, et quand cela est possible avec des jardins, faire des habitations à bon marché », reconnue d'utilité publique en décembre suivant, n'a jamais étendu son patrimoine au-delà des immeubles reçus au départ en donation à Lyon-Vaise, Villeurbanne et Izieux. Elle vit pour l'essentiel des loyers perçus, dont les montants sont très modestes, comme le souligne un des rares rapports annuels conservés dans les dossiers de la préfecture pour l'exercice 1925: on arriverait, une fois les dépenses d'entretien déduite, à un « revenu dérisoire, inférieur à 2 % du prix de revient des immeubles », avec des loyers appliqués qui «sont loin de correspondre à ceux pratiqués dans des immeubles similaires ». Il est précisé que « le prix élevé de la construction à l'heure actuelle ne nous permet pas de poursuivre notre programme de construction ». En 1955, le comité de direction de la fondation décide finalement de vendre l'ensemble des immeubles en sa possession. L'autorisation d'aliénation est accordée par l'Etat en 1958, sous réserve que les cessions se fassent à un prix qui ne soit pas inférieur à l'estimation des domaines, qui est d'environ 95 millions d'anciensfrancs, ce qui confirme une très faible rentabilité nette, de l'ordre de 0,8 %. Seuls les appartements de Villeurbanne sont effectivement vendus entre 1960 et 1964, pour un montant qui atteint 140 millions. En 1967, Michel Gillet, secrétaire-trésorier aux côtés de son oncle Paul (93 ans) et de son père Charles respectivement président et vice-président, souligne que, depuis la création en 1913, « la construction de logements ouvriers, but de la fondation, est maintenant prise en charge par l'Etat. Les moyens financiers importants à la disposition des offices d'HLM et la participation de 1 % des employeurs à l'effort de construction, ne peuvent se comparer aux ressources, forcément limitées, des œuvres privées »49. En 1968, une nouvelle rédaction des statuts étend l'objet à l'« aide aux vieillards, aux handicapés et à l'enfance et à toute œuvre d'assistance et de bienfaisance ». Mais la fondation peine à trouver de nouveaux projets 41. En 1970, Michel Gillet, qui prend à cette occasion la présidence, évoque des pourparlers en cours avec les Hospices civils de Lyon (HCL) pour consacrer un maximum de deux millions de francs à la construction et à l'équipement, au sein du nouveau laboratoire de biologie de l'hôpital Sainte-Eugénie de Saint-Genis-Laval, d'un centre de recherche des maladies mentales de l'enfance. La convention est conclue en 1972, mais les travaux traînent en longueur jusqu'en 1976. Entre-temps, l'ensemble des immeubles ont été vendus et la fondation se contente, jusqu'à la dissolution qui intervient en 1981, de chercher des associations donataires, d'aide eux enfants handicapés en particulier, pour distribuer les quelque deux millions de francs d'actifs financiers qui lui restaient.
Les immeubles construits par la Société des logements économiques
Joseph Gillet a également engagé la famille dans la Société des logements économiques, créée en 1886 sous la forme d'une société civile au modeste Capital de 200 000 F, partagé entre les quatre fondateurs, lui-même, les frères Félix et Lucien Mangini, constructeurs et exploitants de chemins de fer régionaux, et le banquier Edouard Aynard. Son objet est «la création à Lyon, aussi économiquement que possible, de maisons ne laissant rien à désirer sous le rapport de l'hygiène et d'un confortable relatif, destinées à une population ouvrière et mises à sa disposition aux meilleures conditions possibles ». En 1888, elle est transformée en SA, avec un capital dei million, dont 88,4 reviennent aux fondateurs pour leur apport des premiers immeubles construits dans le quartier de La Guillotière. Les Gillet, au titre de leur SNC et de différents membres de la famille, apportent 10,7 % de quatre souscriptions contre espèces d'un montant total de 4 millions d'ici à 1897 pour financer un important programme de construction : à cette date, une centaine de maisons sont en location, dix-neuf autres en construction, ce qui représente près de huit cents logements. Mais il ne s'agit pas d'un engagement à fonds perdus. Les loyers sont assez élevés pour assurer une bonne rentabilité dans des immeubles construits à bas prix. Les actionnaires sont rémunérés par un rendement habituel de 5 %, maximum de dividende prévu par les statuts. Par ailleurs, les Gillet s'y retrouvent par la construction d'une spectaculaire rangée de sept grands immeubles le long de leur usine de Villeurbanne, qui abrite plusieurs dizaines de leurs salariés, même s'il n'y a pas non plus d'exclusivité en leur faveur. Les Logements économiques n'étendent plus leur parc immobilier et le capital reste inchangé jusqu'en 1942; les Gillet participent alors à leur niveau antérieur à une souscription d'1,5 million de francs qui doit être largement couverte par les dividendes reçus depuis un demi-siècle. Ensuite, l'objet et le nom de la société sont respectivement banalisés en « création et gestion d'immeubles locatifs» (1959) et en Société des immeubles de Lyon (1965). Les Gillet restent associés jusqu'en 1991 à une affaire immobilière qui n'a plus de vocation sociale.