Pourquoi la tulipe occupe-t-elle une place importante dans la culture hollandaise ?
Question d'origine :
Bonjour,
Je suis un grand fan de la ville d'Amsterdam et je souhaite savoir pourquoi la tulipe occupe une place aussi importante dans la culture hollandaise?
Cela est lié à des événements historiques aux Pays-Bas?
Merci,
Quentin
Réponse du Guichet
Introduite au Pays-Bas au XVIe siècle, la tulipe, d'abord coûteuse et réservée aux bourgeois, devient abordable aux personnes plus modestes. Se crée alors un tel engouement qu'une explosion spéculative a lieu, nommée tulipomanie. Il s'agit peut-être de la première bulle spéculative de l'Histoire. Aujourd'hui encore la tulipe et la Hollande sont indissociables.
Bonjour,
D'après le Dictionnaire des Pays-Bas au Siècle d'or [Livre] : de l'Union d'Utrecht à la paix d'Utrecht, 1579-1713 : dictionnaire / sous la direction de Catherine Secretan et Willem Frijhoff, la tulipe, "fleur exotique, originaire d'Asie Mineure et domestiquée par les Ottomans depuis des siècles", a été introduite en Europe par l'envoyé de L'empereur du Saint-Empire germanique, Ogier de Busbecq (1522-1592) ou bien avant, en Europe du Sud où le commerce avec l'Asie Mineure existait depuis longtemps :
La fleur attira l'attention de savants botanistes tels que Conrad Gessner (1516-1565) et Carolus Clusius, qui firent connaître les tulipes par leurs écrits. Charles de l'Ecluse ou Clusius (1526-1609), nommé en 1594 professeur de botanique à l'université de Leyde nouvellement fondée, a cultivé des tulipes à la cour impériale de Vienne dans les années 1570, ainsi que dans l'hortus botanicus de l'université dans les années 1590.
Selon Simon Schama dans L'embarras de richesses [Livre] : une interprétation de la culture hollandaise au siècle d'Or
Elle pénétra aux Pays-Bas au XVIe siècle à une époque de contacts culturels et commerciaux florissants entre le Levant ottoman et l'Empire des Habsbourg, malgré l'état de guerre officiel. L'ambassadeur Busbecq en observa la culture à Andrinople, cependant que dans les années 1560 des agents et des diplomates aussi bien que des marchands achetèrent des bulbes destinés aux jardins de courtisans, de savants et de banquiers d'Anvers, de Bruxelles et d'Augsbourg. Joris Rye, botaniste doublé d'un négociant, en cultiva diverses variétés à Malines, et dans les années 1590 elle avait fait son apparition dans les jardins du Nord, peut-être même dans l'hortus botanicus de l'université de Leyde, où Clusius et Johan Van Hooghelande expérimentèrent tous deux des coloris et des tailles différentes.
Par la suite, les néerlandais bourgeois se passionnèrent pour la tulipe. D'abord produit de luxe d'importation, elle était coûteuse. Puis, grâce au travail des horticulteurs pour en cultiver et créer de nouvelles variétés, elle est devenue une marchandise abordable aux personnes plus modestes. Cet engouement aboutit en 1636-1637 à une explosion spéculative nommée tulipomanie "qui se termina par un krach financier en févier 1637" (Secretan et Frijhoff) :
A vrai dire, l'intérêt même de leur profession les poussait à expérimenter des combinaisons illimitées de couleurs, de formes de pétales et de tailles et à créer ainsi un immense éventail de variétés destinées à attirer non seulement le connaisseur fortuné mais aussi des milliers de petits acheteurs. [De même], les unités de vente encouragèrent l'expansion du marché. Initialement, alors que les gentlemen-horticulteurs et les jardiniers de leurs exploitations monopolisaient le négoce (entre la première décennie du siècle et les années 1620), les ventes ne se faisaient qu'en grandes quantités fort chères : par lits entiers, ou encore au poids, par milliers d'"aces" (un vingtième de gramme). Avec l'essor rapide du marché à la fin des années 1620 et au début des années 1630, on put désormais acheter la marchandise "au détail" : par livre d'Amsterdam, par panier, sinon en petit nombre d'aces. [...] La tulipe conserva [...] son caractère de trésor précieux tout en restant, sous une forme ou sous une autre, une aubaine à la portée du commun des mortels. Pour un modeste débours, l'homme de la rue pouvait se laisser prendre dans le noeud de l'achat et de la spéculation qui, à l'instar de tous les autres jeux, pouvait rapidement devenir une drogue.
Il était un autre aspect de la production des bulbes qui en faisait des objets idéaux de spéculation. C'était leur dépendance à l'égard de la ronde des saisons. (Schama)
Ce n'était donc qu'en été que les bulbes pouvaient être échangés directement contre de l'argent. Pendant le reste de l'année, des engagements étaient pris pour l'achat de tulipes à un certain prix après que la fleur eut été vue. En conséquence, le commerce fonctionnait principalement sur des promesses de bulbes et d'argent. Alors que les prix augmentèrent sensiblement à l'automne 1636 et en janvier 1637, et que certains bulbes avaient été échangés plusieurs fois, aucun paiement ne fut fait. La plupart des gens se retrouvèrent donc sans bulbes ni argent, si bien que lorsque le marché s'effondra entre le 3 et le 7 février 1637, seuls ceux qui se trouvaient effectivement en possession de bulbes en furent de leur poche, mais la plupart étaient suffisamment riches pour encaisser la perte.
Les prix chutèrent lorsqu'une livre de tulipes fut mise en vente à Haarlem, le 3 février 1637, sans trouver d'acheteur. La nouvelle circula aussitôt, jusqu'à ce qu'une célèbre vente aux enchères ait lieu le 5 février à Alkmaar, à la suite de quoi les prix furent imprimés et affichés. Les raisons de la perte de confiance dans le marché ne sont pas claires [...] Quoi qu'il en soit, le résultat fut une chute nette qui fit tomber les prix de 10% de ce qu'ils étaient antérieurement. Plusieurs tentatives, infructueuses, furent faites par les producteurs et par certaines villes pour obtenir des Etats provinciaux de Hollande et de la Cour de Hollande que soit trouvé un accord entre les acheteurs et les vendeurs, mais le 27 avril, la Cour de justice se contenta de suggérer aux magistrats des villes d'amener les gens à coopérer.
[...]
... le problème n'était pas que beaucoup de gens avaient perdu de l'argent - aucune faillite n'a pour l'instant été identifiée - mais que les gens refusaient de payer leurs dettes, ce qui provoqua un réel malaise culturel. La société néerlandaise s'était construite sur les relations de crédit et, subitement, celles-ci étaient mises en doute par un large refus de coopérer. Le traumatisme s'est trouvé exacerbé par la production de pamphlets et de chansons, venues des sociétés poétiques locales, qui ridiculisaient les personnes impliquées dans le commerce, leur bêtise, leur irréligion ou leur désir d'ascension sociale. Cette littérature est l'origine directe des stéréotypes ultérieurs sur le commerce de la tulipe, dont la plupart sont inexacts. [...] Cependant, les tulipes sont restées une denrée précieuse et, à la fin du XVIIe siècle, une grande industrie de fleurs s'est développée dans les Provinces-Unies. Elle continue aujourd'hui de constituer une source économique majeure du pays. (Secretan et Frijhoff)
D'ailleurs, selon France info dans Pays-Bas : explosion de couleurs à Amsterdam qui célèbre la tulipe, "la journée nationale de la tulipe est célébrée chaque année à Amsterdam, aux Pays-Bas."
Pour aller plus loin sur la tulipe, la tulipomanie, la Hollande et son histoire :
La monnaie à pétales : bitcoin et le mythe de la tulipe / Jacques Favier, 2022
Chers jardins [Livre] : quand la passion mène à la ruine / Patrick Masure, 2019
La Hollande [Livre] / Thomas Beaufils, 2009
Histoire des Pays-Bas [Livre] : des origines à nos jours / Thomas Beaufils, 2018
Les Pays-Bas et l'Atlantique [Livre] : 1500-1800 / sous la direction de Pieter C. Emmer, Didier Poton de Xaintrailles et François Souty, 2009
Histoire des Pays-Bas [Livre] : des origines à nos jours / Christophe de Voogd, 2003
Et enfin, deux romans qui pourraient vous intéresser
Semper Augustus [Livre] / Olivier Bleys, 2007
La haine des tulipes / Richard Lourie, 2008
Bonne journée
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