Le corps possède-t-il la faculté de s'habituer à la nourriture épicée ?
Question d'origine :
Bonjour, je me demande si le corps humain possède la faculté de s'habituer à la nourriture épicée?
J'adore les plats épicés mais mon corps y est très sensible (cela peut provoquer des malaises dans le pire des cas).
Dans les pays comme le Mexique, l'Inde ou la Corée, les gens peuvent manger des plats très épicées quotidiennement. Je voudrais savoir s'il est possible d'habituer son corps petit à petit (sans me ruiner la santé bien sur) afin de tolérer le piment et de le digérer? Est-ce que ma capacité à digérer dépend de mon organisme et n'est donc pas manipulable?
Réponse du Guichet

La capsaïcine est le composant actif des aliments épicés qui donne la sensation de brûlure. Il se pourrait que la tolérance aux épices soit génétique mais aussi une question d'habitude. Auquel cas, vous pourriez habituer votre corps à ingérer des aliments épicés sans qu'il ne ressente plus de douleur. Cependant, aucune recherche approfondie n'existe à ce jour sur le sujet. Il convient donc de rester prudent.
Bonjour,
D'après l'article en anglais publié sur Popular Science, FYI: Are People Born With A Tolerance For Spicy Food? Or is it an acquired taste?, c'est la capsaïcine, composant actif des aliments épicés qui donne la sensation de piqure ou de brûlure et le système trijumeau qui détecte cette douleur :
Votre système trijumeau contrôle la sensation d'épice. Le système détecte la douleur et l'irritation par les terminaisons nerveuses sensibles au toucher, à la température et à la douleur. Par exemple, vous devez remercier votre système trijumeau lorsque vous sentez une pierre dans votre nourriture et que vous savez comment la recracher. Les plantes ont la capacité d'activer les récepteurs du trijumeau : la menthe stimule les nerfs sensibles au froid, tandis que la capsaïcine, le composé des aliments épicés, déclenche les récepteurs des neurones de la douleur.
La thèse de Marine Plazanet, doctorante en pharmacie, nous renseigne davantage sur la capsaïcine et son Utilisation de la capsaïcine dans le traitement de ladouleur neuropathique :
La capsaïcine est une molécule issue du piment, le fruit d’une plante appartenant au genre Capsicum, famille des Solanacées. Il s’agit d’une plante annuelle originaire d’Amérique du sud et des Antilles.
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Seules certaines variétés de piments contiennent de la capsaïcine. Par exemple, le red chili, le red rawit et le green rawit issus de Capsicum annuum contiennent respectivement 0,83 %, 1,85 % et 2,11 % de capsaïcine.
Le green paprika, le yellow paprika et le red paprika sont des variétés de Capsicum annuun. Elles ne contiennent pas de capasaïcine.
Le piment est constitué de différents éléments chimiques. On y retrouve des caroténoïdes, de la vitamine C, de l’huile végétale, des résines, des minéraux, des protides, des glucides, de l’eau, mais surtout un composant chimique essentiel, la capsaïcine. Cette dernière est localisée dans le tissu placentaire du fruit. Elle est irritante pour les mammifères et va provoquer une sensation de brûlure des tissus qui y sont en contact.
1.2 Structure et découverte de la capsaïcine
La capsaïcine, de formule chimique 8-méthyl-N-vanillyl-6-nonénamide (C18H27NO3), est apparenté à la famille des alcaloïdes. Elle est composée d’un groupe vanillyle (tête), d’un groupement amide (cou) et d’une longue chaine carbonée (queue) (Figure 14).
Figure 14 : Formule chimique de la capsaïcine
Elle a été découverte et extraite à partir du fruit de Capsicum pour la première fois en 1816 par le pharmacien-chimiste Christian Friedrich Bucholz (1770-1818) qui la nomma « capsicin ». Elle sera isolée sous forme pure en 1898 par Karl Micko. La première synthèse aura lieu un siècle plus tard, en 1930 par E. Spath et S.F Darling.
Des substances similaires à la capsaïcine ont été isolées du piment en quantité plus faible, formant une famille nommée les capasaïcinoïdes. On y retrouve par ordre de concentration décroissante la capsaïcine, la dihydrocapsaïcine, la nordihydrocapsaïcine, l’homodihydrocapsaïcine et l’homocapsaïcine.
Pour la plante, la capsaïcine est un métabolite secondaire qu’elle produit, afin de se protéger contre certains herbivores et champignons qui peuvent nuire à sa reproduction ou à son développement.
[...]
C’est la capsaïcine qui, en contact avec les muqueuses, donne cette sensation de chaleur.
Mais la tolérance aux épices, est-elle génétique, une question d'habitude ou un peu des deux ?
Une étude anglaise menée sur des jumeaux en 2013, Identifying flavor preference subgroups. Genetic basis and related eating behavior traits, a permis aux chercheurs de conclure que "la néophobie alimentaire et les différences génétiques peuvent constituer une barrière à travers laquelle les préférences individuelles en matière de goût sont générées" (traduction de : "These results indicate that food neophobia and genetic differences may form a barrier through which individual flavor preferences are generated"). Il y aurait donc un lien entre la tolérance aux épices et la génétique.
L'article Du goût pour les plats épicés ? Ceci serait inscrit dans nos gènes publié par Gentside en 2018 revient sur la théorie génétique et sur celle de Bruce Bryant pour qui le système trigéminal permettrait de s'habituer à la douleur des épices :
De l'importance de la géné-pique
Selon Frédéric Rosa et Brigitte Boyer, deux chercheurs de l'Inserm ayant travaillé sur le sujet, notre tolérance au goût épicé serait avant tout une histoire de génétique. Un gène particulier, le Egr-1, transmis par les parents et associé aux aires gustatives du cerveau, aurait ainsi une grande responsabilité dans le degré d'irritation ressenti par la consommation d'épices.
Au cours de leur étude, les chercheurs ont fait appel à des larves de poissons-zèbres nourries avec des aliments auxquels ils ont ajouté des goûts amers, acides et sucrés. Les deux premiers goûts ont été rejetés en bloc et une activité intense du gène Egr-1 a été observée. Toutefois, les auteurs ont observé qu'à force de consommer les aliments, la surexpression du gène diminuait peu à peu. Une observation qui témoigne du phénomène d'accoutumance, selon eux.
"Les résultats montrent qu'une aversion alimentaire déclenche un mécanisme qui contribue à l'éducation du goût", explique Rosa cité par 20minutes.fr. Cependant, d'autres chercheurs poussent l'explication encore plus loin, élargissant les explications possibles au goût de chacun.
Une question d'habitude
Le docteur Bruce Bryant du Monell Chemincal Senses Center base lui, sa théorie sur le système trigéminal. Ce dernier contrôle les sensations épicées et envoie les messages en relation avec la douleur ou l'irritation que peuvent causer la capsaïcine du piment, la pipérine du poivre ou encore la menthe (côté frais). Partir de là, le chercheur explique que la tolérance aux épices résulterait plus d'une habitude, liée à la culture ou à une accoutumance dès l'enfance.
Ainsi, il fournit l'exemple des parents mexicains qui donnent à leurs enfants très jeunes du sucre mélangé à de la poudre de piment pour les désensibiliser le plus rapidement possible. Au début, les récepteurs gustatifs seraient alors fortement activés. Puis face à la sensation très épicée, les récepteurs se désensibiliseraient petit à petit pour réagir de moins en moins à un plat épicé. Là encore, les gènes pourraient donc être à l'origine d'une moindre fabrication de ces récepteurs.
Si vous lisez l'anglais, vous pourriez consulter l'article où il est question des récepteurs trijumeaux de Renée-Pier Filiou, Franco Lepore, Bruce Bryant, Johan N. Lundström, Johannes Frasnelli, Perception of Trigeminal Mixtures, Chemical Senses, Volume 40, Issue 1, January 2015, Pages 61–69.
Il semble donc possible de s'habituer aux épices mais comme aucune recherche approfondie n'existe à ce jour sur le sujet selon l'article de Pop Sciences cité plus haut, il convient de rester prudent et de ne rien expérimenter sans suivi ou avis médical.
Bonne journée.