Un titre déjà existant mais légèrement différent peut-il être donné à un nouvel ouvrage ?
Question d'origine :
Bonjour,
En tant qu'auteur, je souhaiterais vous poser cette question : je dois faire paraître un ouvrage intitulé "Humanimalité", qui est un ouvrage de notes sur la poésie. Or, il existe déjà un titre similaire : Humanimalités de Michel Surya aux éditions Léo Scheer, qui est un ouvrage de philosophie. Je sais que les titres sont protégés par le droit d'auteur, et cela est tout à fait normal. J'aimerais savoir si le fait d'utiliser le même mot, mais au singulier, dans un genre différent (les notes), ne porte pas atteinte aux droit d'auteur du titre de Michel Surya.
Je vous remercie pour votre réponse.
Réponse du Guichet
Une œuvre et son titre sont protégés par le Code la propriété intellectuelle mais le droit est complexe. Dans le cas de la similarité de titre il fait appel à plusieurs notions dont l'originalité, le contexte de création, l'identité de genre mais c'est le risque de confusion qui importe.
Bonjour,
Le titre d'un ouvrage comme son contenu sont protégés tous deux par le Code de la propriété intellectuelle. C'est l'article L112-4 qui encadre la protection du nom de l'œuvre :
Le titre d'une œuvre de l'esprit, dès lors qu'il présente un caractère original, est protégé comme l'œuvre elle-même.
Nul ne peut, même si l'œuvre n'est plus protégée dans les termes des articles L. 123-1 à L. 123-3, utiliser ce titre pour individualiser une œuvre du même genre, dans des conditions susceptibles de provoquer une confusion.
Comme l'indiquent les articles Quand deux romans portent le même titre... de L'Obs, 2014 et « La protection des titres d'ouvrages », Chamagne, Catherine, LEGICOM, vol. 24, no. 1, 2001, pp. 51-63, habituellement ce sont les éditeurs et leur service juridique qui gèrent ces questions car cela peut être complexe. L'article de Livres Hebdo, Le titre du livre et sa difficile protection rapporte que :
Les titres peuvent [...] bénéficier de la protection classique accordée par le droit d'auteur, sous réserve d'être originaux.
[...]
Pour apprécier l'originalité d'un titre, le juge devra se placer à la date de création. En effet, un titre original à sa création peut, par la suite, perdre de son originalité en devenant une banalité. Il est donc nécessaire de se situer dans le contexte de création du titre, et de se demander si à cette date il était original.
L'originalité et la banalité
Cependant, l'appréciation de l'originalité d'un titre demeure une entreprise fort incertaine. L’examen de la jurisprudence laisse perplexes tous les spécialistes du droit d’auteur.
Celle-ci a jugé originaux des titres en apparence très banals. En revanche, l’originalité – et donc la protection par la propriété littéraire et artistique - a été déniée par le même Tribunal de grande instance de Paris, le 15 juin 1972, à "Doucement les basses" ou encore, le 27 mai 1982, à "Tueurs de flics".Un « garde-fou » juridique est heureusement prévu par le CPI.
Quand bien même un titre ne serait pas protégé par le droit d’auteur – que cette protection lui soit déniée pour manque d’originalité ou qu’il soit tombé dans le domaine public –, il ne reste pas sans défense. Il peut en effet bénéficier des règles de la concurrence déloyale. L'article L. 112-4 du CPI, pris en son second alinéa, lui accorde expressément cette protection : « Nul ne peut, même si l'œuvre n'est plus protégée dans les termes des articles L. 123-1 à L. 123-3 (c'est-à-dire si l'œuvre est tombée dans le domaine public), utiliser ce titre pour individualiser une œuvre du même genre, dans des conditions susceptibles de provoquer une confusion ». Il s’agit là d’éviter les utilisations trompeuses de titres non protégés par le droit d’auteur.
La confusion possible
La Cour d’appel de Paris est allée dans ce sens, le 18 février 2005, à propos des célèbres manuels de Laurence Pernoud. Une société avait décidé de lancer en kiosque une collection de « dossiers pratiques ». Or, parmi ceux-ci, figurait une publication intitulée "J’élève mon enfant", contenant elle-même un ouvrage baptisé… "J’attends mon enfant".
L’éditeur de Laurence Pernoud ne contestait pas l’absence d’originalité des titres, mais revendiquait un, à bon droit, un risque de confusion.Les juges ont en effet estimé que les titres litigieux figuraient bien sur des livres et non sur de simples périodiques. Par ailleurs, la Cour fait litière des éventuelles différences de contenu, dans la mesure où le public visé est similaire à celui de l’éditeur de livres.
De même, pour que soit retenu le risque de confusion, la loi semble avoir formulé l'exigence que les deux œuvres appartiennent au même genre.
Voici ce qu'indique LexisNexis dans le Code commenté par Jean-Michel Bruguière :
24) Date d'appréciation. Jugé à propos d'un titre que l'originalité s'apprécie au moment de la création ( Paris, 4e ch., 25 avr. 2000, éd. Michel Lafont c/ éd. Albin Michel : Annonces Seine 19 juin 2000, suppl. p. 2).
25) Pouvoir des juges. Si les juges du fond sont souverains dans l'appréciation de l'originalité [...] ils sont tenus de procéder à celle-ci [...] et doivent préciser en quoi une œuvre donnée est originale [...] et sur quoi ils se fondent [...]. Mais encore faut-il que les parties discutent de celle-ci. Jugé ainsi par la chambre criminelle de la Cour de cassation (mais il devrait en être de même en matière civile) qu’il n’appartenait pas au juge pénal de vérifier l’originalité demandée en l’absence d’éléments probants permettant de remettre en question l’originalité [...].
Des exemples de titres originaux sont donnés dans le Jurisclasseur Fasc. n° 1158 rédigé par Laure Marino et dont les points-clés, le sommaire et la bibliographie sont présentés sur son blog :
32. – Exemples de titres originaux –
Seuls les titres en quelque sorte exceptionnels peuvent alors accéder à la protection sous le critère du mérite : les trouvailles, les combinaisons insolites de termes, les rapprochements étonnants, les métaphores inattendues, l'utilisation de vocables inconnus ou encore les créations ex nihilo de mots.... En voici quelques exemples classés par ordre chronologique :
- Tarzan, création d'un terme ex nihilo (T. civ. Seine, 19 janv. 1949 : S. 1949, 2, p. 137, note M. G.) ;
- Paris-Canaille, pour un titre de Léo Ferré, car « il ne s'agit pas là d'une locution appartenant au domaine public » et qu'au surplus « la réunion de l'épithète et du substantif par un trait d'union est elle-même originale » (CA Paris, 1re ch., 30 mai 1956 : JCP G 1956, II, 9354, concl. R. Lindon. – Sur pourvoi, Cass. 1re civ., 15 avr. 1959 : Bull. civ. 1959, I, n° 195 ; JCP G 1959, IV, 62. – Sur cette affaire, adde supra n° 28 ) ;
- À l'école de la route, titre désignant un ouvrage destiné à enseigner le Code de la route à des enfants, jugé original du seul fait de sa conception « car, pour des enfants, dont le raisonnement est à base de représentations mentales d'images concrètes, à l'exclusion de toute abstraction, le choix de deux mots école et route et leur rapprochement judicieux dans un ordre harmonieux, constitue un assemblage de mots présentant un pouvoir d'évocation et de suggestion incontestable » (TGI Seine, 24 avr. 1964 : JCP G 1964, IV, 112 ; RTD com. 1965, p. 113, obs. H. Desbois) ;
- Du rififi à Amsterdam, titre d'Auguste Le Breton dans sa série de romans policiers commençant tous par l'expression Du rififi... car « le vocable d'argot rififi [...] demeurait totalement inconnu du lecteur quand Le Breton en fit dans le titre d'un de ses romans un premier usage » ; dès lors, « en associant à d'autres mots connus et courants ce vocable neuf, d'allure argotique, au sens alors mal défini, pour former un titre vaguement évocateur et propre à éveiller la curiosité, [l'auteur] a fait œuvre originale » (CA Paris, 4e ch., 24 janv. 1970 : RTD com. 1971, p. 94, obs. H. Desbois ; RIDA juill. 1970, p. 131) ;
- L'affreux Jojo, « création originale caractérisée par l'addition insolite de deux termes dont le second, aimable et mignon, surprend à la suite de l'adjectif affreux » (TGI Paris, 3e ch., 20 mai 1972 : RIDA janv. 1973, p. 144) ;
- Clochemerle, de Gabriel Chevallier, également création d'un terme ex nihilo (CA Lyon, 1re ch., 5 juill. 1979 : JCP G 1981, II, 19590, note R. Plaisant ; RIDA oct. 1979, p. 147 ; Ann. propr. ind. 1981, p. 136) ;
- Le Père Noël est une ordure « constitue une création de l'esprit dotée d'originalité par la réunion de l'expression Le Père Noël et du mot ordure qui apparaissent antinomiques, la première évoquant la joie et la candeur de l'enfance, le second une certaine turpitude. Cette recherche du paradoxe confère à ce titre une connotation dérisoire qui porte l'empreinte de la personnalité de ses auteurs » (TGI Paris, 3e ch., 24 sept. 1986 : RDPI 1986, n° 8, p. 101. – Adde pour une solution identique concernant le même titre, TGI Paris, ord. réf., 15 nov. 2004 : Comm. com. électr. 2005, comm. 67, obs. C. Caron) ;
- Green Consumer Guide, titre d'un guide écologique, car « si [ce titre] est fait de trois mots du langage courant, le rapprochement de Green et de Consumer n'est pas dépourvu d'originalité ; en effet, le consommateur (Consumer) étant un être humain, le qualificatif vert (Green) ne peut lui être appliqué que par une métaphore ; par cette métaphore inattendue, le créateur a marqué le titre de l'empreinte de sa personnalité » (CA Paris, 4e ch., 21 oct. 1992 : RIDA janv. 1994, p. 350) ;
- Charlie Hebdo, aux motifs que « pour apprécier si le titre Charlie Hebdo présente ou non un caractère original, il est nécessaire de rappeler que le journal publié sous ce titre est né à la suite de l'interdiction administrative de parution de Hara Kiri Hebdo qui avait titré immédiatement après la mort du Général de Gaulle : “Bal tragique à Colombey : un mort”. Considérant que ce contexte particulier démontre qu'en associant le diminutif Charlie à Hebdo [...], l'auteur Cavanna a indéniablement cherché à trouver une formule tournant en dérision les hommes politiques qui avaient voulu empêcher la parution du journal Hara Kiri » (CA Paris, 4e ch. A, 25 oct. 1995 : JurisData n° 1995-024506 ; Légipresse 1995, III, p. 149, comm. B. A.) ;
- Modulor, création d'un terme ex nihilo, dont le juge relève le « pouvoir d'évocation » (CA Paris, 4e ch. B, 4 déc. 1998 : JurisData n° 1998-023629) ;
- L'empreinte de l'ange, titre d'un roman, recourant à « la métaphore de “l'empreinte” » (CA Paris, pôle 5, 2e ch., 19 juin 2009 : JurisData n° 2009-009443 ; Prop. intell. 2009, n° 33, p. 365, obs. J.-M. Bruguière) ;
- La condition humaine, titre du roman de Malraux, est original, en raison de son « pouvoir évocateur certain de l'angoisse de l'homme placé face à son destin » ; en effet il « donne au lecteur, sous une forme ramassée, une idée du vertige qui saisit chacun devant l'énigme de la mort même si elle est acceptée avec courage par les révolutionnaires que l'auteur a mis en scène dans son roman » (TGI Paris, 3e ch, 10 déc. 2009 : Dalloz actualité, 23 févr. 2010, obs. J. Daleau ; Légipresse 2010, I, p. 46) ;
- Les Ailes du désir, pour un film, est un titre original, car « la signification de ce titre est originale par rapport aux emplois antérieurs en ce que sont opposés dans une antinomie l'ange à l'humain et le désir mortel à la pureté angélique » (TGI Paris, 3e ch., sect. 3, 25 janv. 2013, n° 10/17337, Argos Films et autres c/ Sublime Atelier : RLDI 2013/93, n° 3081, p. 20, obs. L. Costes ; Légipresse 2013, n° 304, p. 201).
[...]
38. – Exemples de titres originaux –
Un tournant s'effectue dans la seconde moitié du siècle dernier. Ne servant plus seulement de critère négatif, le caractère non nécessaire ou non descriptif commence à être retenu comme indice positif de l'originalité. Ainsi, un tribunal relève en 1960 que la réunion des mots Des poissons et des hommes « n'a rien de nécessaire [...] pour présenter une histoire de la pêche aussi bien que des histoires de pêche » (TGI Seine, 3e ch., 15 févr. 1960 : RIDA oct. 1960, p. 131 ; RTD com. 1960, p. 844, obs. H. Desbois). L'affirmation ne fait pas l'unanimité et, à cette époque, la jurisprudence est divisée. Ainsi, en 1961, dans la célèbre affaire Les liaisons dangereuses, le tribunal refuse fermement de retenir le caractère non nécessaire ou non descriptif comme indice d'originalité, estimant « qu'un titre n'est pas original [...] s'il est seulement distinctif » (TGI Seine, 10 nov. 1961 : D. 1962, jurispr. p. 113, note A. Lyon-Caen, qui approuve cette rigueur). Mais le critère du caractère non nécessaire ou non descriptif s'impose malgré les critiques. Peu à peu, il est devenu un indice essentiel de l'originalité des titres En voici quelques exemples classés par ordre chronologique :
- Aujourd'hui Madame, titre original qui « n'est pas [...] descriptif, ni nécessaire à la désignation » d'une émission de télévision (TGI Paris, 1re ch., 22 févr. 1989 : Légipresse 1989, III, p. 36, note E. Derieux. – CA Paris, 4e ch. A, 13 févr. 1991 : JurisData n° 1991-021393) ;
- Le Chardon, qui « sert de titre à une publication à caractère politique et polémique, faisant d'ordinaire référence à une plante à feuilles et bractées épineuses, n'est, appliquée à un journal, ni descriptive, ni générique et présente au contraire un caractère certain d'originalité » (CA Paris, 1re ch. A, 29 mai 1989 : D. 1989, inf. rap. p. 264 ; D. 1990, somm. p. 50, obs. C. Colombet ; RIDA avr. 1990, p. 207) ;
- Nana, titre original pour un journal dès lors qu'il n'est « pas descriptif » et « pas nécessaire » pour désigner l'œuvre (CA Paris, 4e ch. B, 27 févr. 1998 : JurisData n° 1998-021994) ;
- On sera rentré pour les vendanges, car « quand bien même l'expression en cause aurait été communément utilisée à cette époque, son utilisation pour nommer un roman consacré à la narration de la vie d'un soldat dans les tranchées est originale » (CA Paris, 4e ch. B, 11 mars 2005, n° 03/16651 : JurisData n° 2005-277250) ;
- Pottoka, titre d'un ouvrage sur le pottok, petit cheval d'origine basque, car le terme, « non compris par la grande partie du public français », désigne cet animal en langue basque, mais « évoque, plutôt qu'une race de cheval, le nom particulier qui aurait été donné à l'un de ses spécimens » (CA Pau, 1re ch., 19 sept. 2005, n° 03/03744 : JurisData n° 2005-289653) ;
- Au théâtre ce soir, titre original d'une collection de vidéogrammes de pièces de théâtre, car « arbitraire », dès lors qu'il « ne peut en rien être considéré comme le reflet d'une situation de fait inéluctable » – le juge ne tient pas compte du fait que les vidéogrammes reprennent les célèbres émissions de Pierre Sabbagh, qui étaient diffusées... le soir ! (CA Paris, 4e ch. B, 7 avr. 2006 : JurisData n° 2006-300719 ; JCP G 2006, I, 162, n° 6, obs. C. Caron) ;
- Le livre des je t'aime, titre original d'une publication comprenant des traductions du « je t'aime » en plusieurs langues, car « son originalité doit être appréciée en fonction de l'ensemble qu'elle constitue » et qu'en l'occurrence, « l'association de ces deux termes est insolite et ne décrit nullement le contenu du livre, mais suscite la curiosité » (CA Paris, 4e ch. B, 23 mars 2007, n° 05/16444 : JurisData n° 2007-332069 ; Légipresse 2007, n° 241, I, p. 62) ;
- Allô ? T'es où ?, titre désignant un projet de série télévisée, car l'expression est courante, mais originale « pour désigner une émission de télévision » (TGI Paris, 3e ch., 16 janv. 2008, n° 05/17073 : Légipresse 2008, n° 250, I, p. 44) ;
- Devenez l'artisan de votre santé, titre original, non purement descriptif, car « l'emploi du terme artisan est ici détourné de son sens premier » (TGI Paris, 3e ch., 19 mars 2008, n° 06/17341) ;
- La Boutique de Marie, titre d'une œuvre musicale utilisée comme support publicitaire, qui « n'a rien de nécessaire et traduit un effort personnel de création » (TGI Paris, 3e ch., 20 juin 2008, n° 05/13520) ;
- Faux et usage d'infos, titre d'une émission de divertissement construite à partir de l'actualité et de ses acteurs, ici contrefaite par le titre Faux et usage d'infos désignant un livre de divertissement à partir de l'actualité et de ses acteurs (TGI Paris, 3e ch., sect. 2, 28 avr. 2010, n° 99/08808 : JurisData n° 2010-300038).
Dans le même Jurisclasseur, sur la notion de contrefaçon, le risque de confusion et l'identité de genre :
Notion de contrefaçon
La contrefaçon d'un titre original résulte de « la reprise des mots et formules qui le constituent pour en faire la locution distinctive sous laquelle une autre œuvre sera divulguée » (Cass. 1re civ., 19 févr. 2002, n° 00-12.151, aff. Trois hommes et un couffin : JurisData n° 2002-012983 ; Bull. civ. 2002, I, n° 62 ; RIDA juill. 2002, p. 387, obs. A. Kéréver). La contrefaçon suppose une ressemblance suffisante entre les deux titres, comme le rappelle parfois la jurisprudence. Ainsi, dans une seconde affaire Du rififi (V. supra n° 32 , pour la première affaire), Auguste Le Breton, auteur d'une série de romans policiers commençant tous par l'expression Du rififi..., s'était plaint du fait qu'une pièce de théâtre intitulée Du rififi dans les labours, représentée sous le titre Rififoin dans les labours, imitait ses titres. Mais la cour d'appel de Paris relève que « l'expression complète [Du rififi dans les labours] ne fait aucune référence à un titre d'ouvrage de Le Breton » (CA Paris, 1re ch. A, 3 févr. 1988 : RIDA oct. 1988, p. 303 ; D. 1989, somm. p. 43, obs. C. Colombet ; Cah. dr. auteur 1989, n° 16, p. 11. – Cass. 1re civ., 15 nov. 1989, n° 88-14.347 : JurisData n° 1989-003524).
Le risque de confusion
68. – Recherche nécessaire par les juges du fond –
Le titre n'a pas besoin ici d'être original pour être protégé. En revanche, la protection par le droit de la concurrence déloyale requiert un risque de confusion entre les œuvres via leurs titres. L'article L. 112-4, alinéa 2, du Code de la propriété intellectuelle conditionne en effet la protection du titre au fait qu'il soit repris “pour individualiser une œuvre du même genre, dans des conditions susceptibles de provoquer une confusion”. Cette condition légale d'un risque de confusion est primordiale. Le juge du fond doit la rechercher et l'apprécier sous peine de cassation (Cass. 1re civ., 14 mai 1991, aff. Hôtel de charme : Bull. civ. 1991, I, n° 156 ; JCP G 1991, IV, p. 267).
69. – Confusion potentielle –
Aux termes du texte, il n'est pas nécessaire que la confusion se soit réellement produite. Il suffit qu'elle puisse se produire. La jurisprudence antérieure à la loi de 1957 allait d'ailleurs dans ce même sens (CA Paris, 1er juin 1953 : D. 1953, p. 526) : « le germe de confusion suffit » disait Desbois (Le droit d'auteur en France : op. cit., p. 249). Quant au public, il est ici considéré in abstracto : la confusion s'entend de celle faite par une personne moyenne. Le risque s'entend donc de la confusion potentielle dans l'esprit d'une personne moyenne. Il est nécessaire, en revanche, que le titre copié désigne une "œuvre du même genre" (a), de façon similaire ou ressemblante (b), et qu'il soit connu du public (c).
Identité de genre
70. – Condition non autonome –
L'identité de genre est communément présentée comme une condition autonome de l'action en concurrence déloyale, que les juges devraient rechercher isolément, en plus de la condition de risque de confusion. Elle nous paraît, au contraire, englobée dans l'appréciation du risque de confusion. Précisément, elle s'analyse comme une des conditions internes du risque de confusion, un des critères impératifs d'appréciation qui participe à l'établissement de son existence. C'est une condition de la condition ! (en ce sens, J. Passa, Contrefaçon et concurrence déloyale : Litec 1997, n° 317. – Comp. A. Lucas, H.-J. Lucas et A. Lucas-Schloetter, Traité de la propriété littéraire et artistique : op. cit., n° 114, p. 125, évoquant ici le raisonnement « global » du juge qui privilégie la condition de risque de confusion). Cette annexion s'explique aisément, par le fait que la dissemblance de genre chasse le risque de confusion, tandis que l'identité de genre le provoque. Dissocier les deux conditions serait bien difficile.
71. – Identité de genre entre deux œuvres –
L'identité de genre s'apprécie entre deux œuvres, ce qui implique donc que deux œuvres soient en lice. Le texte est clair, puisqu'il dispose que “nul ne peut [...] utiliser ce titre”, qui est donc le titre d'une œuvre, “pour individualiser une œuvre du même genre”. Le titre d'une œuvre est donc repris par le titre d'une autre œuvre. Ainsi, l'atteinte au titre Sono Magazine, désignant une revue, par le nom de domaine sono-magazine.com n'est pas retenue, car l'usage du titre « n'est pas effectué pour désigner une œuvre mais un nom de domaine » (CA Paris, 4e ch. B, 2 déc. 2005, n° 04/17980 : JurisData n° 2005-289591). De même, il n'y a pas de risque de confusion entre Cinquante nuances de Grey, le célèbre roman d'E.L. James, et Le décodeur des cinquante nuances de Grey, un abécédaire d'analyse de l'ouvrage qui commente le roman sans en suivre l'intrigue : les deux œuvres en cause ne sont pas du même genre (CA Paris, pôle 5, 1re.ch., 2 avr. 2014, n° 13/08803, Éditions Jean-Claude Kattes c/ Éditions First Grund : JurisData n° 2014-006784 ; Propr. intell. 2014, p. 258, note J.-M. Bruguière ; RLDI 2014/104, n° 3458, obs. L. Costes). Au contraire, la reprise de Votre Santé, titre d'un magazine de santé éditée par une association, par un groupe de presse qui lance une nouvelle publication portant sur la même matière, est bien constitutive de concurrence déloyale (TGI Paris, 3e ch., sect. 2, 22 févr. 2013, VVS Alternatif c/ Groupe Presse Actuelle : Légipresse 2013, n° 306, p. 333). Le juge relève aussi que les deux revues s'adressent toutes deux au grand public (il y a donc, en plus, identité d'inspiration : V. infra n° 72 s.).
72. – Identité de famille et/ou d'inspiration ? –
L'identité de genre est requise par la loi et s'impose de ce fait (même si cette exigence n'est pas à l'abri de la critique). Or l'article L. 112-4, alinéa 2, évoque “une œuvre du même genre” sans définir le terme « genre ». Comment faut-il l'entendre ? Au sens classique, le genre est une « famille d'œuvres » : famille des œuvres littéraires, des œuvres musicales, des œuvres cinématographiques, des œuvres graphiques, etc. (M. Vivant et J.-M. Bruguière, Droit d'auteur : op. cit., n° 153, p. 160). Dans cette acception, le juge conditionnera le risque de confusion à l'identité de « famille » entre les deux œuvres. Ce seront deux œuvres littéraires, ou deux œuvres cinématographiques, ou deux œuvres des arts graphiques, etc. En ce sens, il a été jugé que « le risque de confusion est indépendant du contenu des œuvres et [...] résulte de la possibilité d'une méprise du lecteur qui peut acheter, sur la foi d'un titre, un ouvrage qui n'est pas celui qu'il voulait lire » (T. com. Paris, 10 janv. 1972 : RIDA juill. 1972, p. 238). Plus largement, on peut aussi considérer que le genre s'apparente au ton ou au registre de l'œuvre, voire à son inspiration. Mais cette interprétation peut servir deux causes exactement contraires, selon que l'on érige l'identité d'inspiration en condition alternative (1) ou supplémentaire, et donc cumulative (2). La première conception nous paraît préférable.
Enfin sur la similarité des titres :
Le juge qui statue au fond devrait pouvoir se livrer à une analyse plus fine, d'autant plus que le contentieux concerne le plus souvent des titres ressemblants, non identiques. Considérant que c'est le risque de confusion qui importe, on peut en effet convenir que la simple similarité des titres suffit dans certains cas à créer le danger de confusion. Voici quelques exemples classés par ordre chronologique :
- risque de confusion entre Le Livre de la cuisine moderne et La cuisine moderne (CA Paris, 29 déc. 1927 : DH 1928, p. 156) ;
- risque de confusion entre Les Petites affiches de Rouen et de Normandie et Les Petites affiches (CA Caen, 22 mars 1949 : D. 1949, p. 357) ;
- risque de confusion entre Lady Chatterley et L'Amant de Lady Chatterley (T. com. Seine, 7 oct. 1949 : D. 1950, p. 5) ;
- risque de confusion entre L'Observateur d'aujourd'hui et L'Observateur (T. com. Seine, 18 janv. 1954 : D. 1954, p. 284) ;
- risque de confusion entre Pour rire et Fou rire (CA Paris, 29 mars 1960 : Ann. propr. ind. 1960, p. 231) ;
- risque de confusion entre France-Sud et France-Soir (CA Lyon, 30 juin 1966 : JCP G 1966, IV, 167. – Cass. com., 8 janv. 1968 : Bull. civ. 1968, IV, n° 9) ;
- un risque de confusion entre Guide First des Magasins d'Usines et Guide France des Magasins d'Usines : « la substitution du mot First au mot France placé dans les deux cas en seconde position n'est pas de nature à prévenir le risque de confusion » (CA Paris, 4e ch. A, 10 mars 1999 : JurisData n° 1999-023487 ; RJDA 1999, n° 738) ;
- risque de confusion entre One Meuf Show et Le Meuf Show, tous deux désignant des spectacles, et qui sont jugés « quasi-identiques » (CA Paris, 4e ch. B, 16 sept. 2005 : JurisData n° 2005-282096 ; Propr. intell. 2006, n° 17, p. 173, obs. A. Lucas ; RTD com., p. 588, note F. Pollaud-Dulian) ;
- risque de confusion entre Les blondes et La revanche des blondes (CA Paris, pôle 5, 2e ch., 6 nov. 2009 : JurisData n° 2009-019874) ;
- risque de confusion entre Point de croix et Point de croix magazine (TGI Paris, 3e ch., sect. 4, 11 mars 2010 : Légipresse 2010, n° 271, I, p. 64).
Pour autant, le risque de confusion n'est pas toujours retenu. En voici quelques illustrations classées par ordre chronologique :
- pas de risque de confusion entre Moniteur du Puy-de-Dôme et Journal du Puy-de-Dôme (CA Riom, 27 août 1874 : Ann. propr. ind. 1874, p. 347) ;
- pas de risque de confusion entre Perspectives hospitalières et Perspectives, de même qu'entre Perspectives sanitaires et sociales et Perspectives (CA Paris, 4e ch. A, 18 sept. 1985 : JurisData n° 1985-025784) ;
- pas de risque de confusion entre Forêts Magazine et Arbres et Forêts (CA Grenoble, 18 mai 2010, n° 08/00057 : JurisData n° 2010-016416) ;
- pas de risque de confusion entre LVP Mag et La Vie Parisienne Magazine, notamment parce qu'« au plan phonétique », il n'y a « aucune ressemblance sonore » entre les deux titres (CA Paris, pôle 5, 1re ch., 11 mai 2011, n° 09/20755, MJA c/ M X : JurisData n° 2011-008583 ; RLDI 2011/73, n° 2416, p. 32, obs. L. Costes).
À noter également que lors d'une procédure en référé, le juge ne peut se livrer à de telles analyses. Le risque de confusion doit s'imposer à lui avec évidence et on comprend dès lors qu'il exige une exacte similitude des titres. Ainsi, de l'absence de similitude entre le titre d'un sketch d'un humoriste (Histoire d'un mec sur le pont de l'Alma) et le titre du film qui lui est consacré (Coluche, histoire d'un mec), le juge des référés infère l'absence de risque de confusion (TGI Paris, réf., 14 oct. 2008. – et CA Paris, 14e ch. A, 14 oct. 2008 : D. 2009, p. 852, note D. Lefranc ; Légipresse 2008, n° 257, III, p. 226, note A. Fourlon et B. Khalvadjian ; Comm. com. électr. 2009, chron. 6, n° 1, obs. B. Montels ; Gaz. Pal. 17 mai 2009, n° 139, p. 39, note Ch.-É. Renault et J. Guinot-Deléry).
Etant donné la complexité de la situation, notre réponse de bibliothécaires ne peut prétendre être exhaustive. C'est pourquoi nous vous invitons à vous rapprocher de sociétés littéraires comme la Société civile de l'édition littéraire française (SCELF) ou la Société des gens de lettres de France (SGDL) qui pourraient davantage vous renseigner. Vous pourriez également vous en remettre à l'avis d'experts en propriété intellectuelle répertoriés dans les annuaires de l'Inpi ou de Justifit.
Bonne journée.