Question d'origine :
Bonjour
est ce que une fille peut faire partie de la mafia ?
Réponse du Guichet
Oui, une fille peut faire partie de la mafia. D'ailleurs les femmes jouent un rôle central dans cette organisation criminelle. Elles transmettent la culture mafieuse et sont très actives dans la gestion des affaires familiales.
Bonjour,
C'est grâce à la pièce I Mafiusi di la Vicaria di Palermo, Les mafieux de la prison de Palerme, de Giuseppe Rizzotto et Gasparo Mosca que ce serait répandu le mot "mafia" :
Dans cette pièce, le personnage du mafioso est le "camorista" ou l'homme d'honneur, c'est à dire celui qui adhère à une société s'opposant ouvertement à l'Etat, affichant ainsi courage et supériorité. Selon John Dickie, historien britannique spécialiste de l'Italie, la large diffusion de cette pièce de théâtre serait à l'origine du mythe de la Mafia protectrice des faibles et symbole d'un comportement honorable de ses membres.
Aujourd'hui, le mot "mafia" est irrémédiablement associé à un monde d'hommes, de violence, de trafics illicites...
C'est ce que rapporte l'ouvrage Des femmes dans la mafia : madones ou marraines ? de Milka Khan et Anne Véron, publié en 2015. A cela les autrices ajoutent :
On a longtemps pensé que les épouses, les mères, les sœurs et les filles de mafieux, enveloppées dans leur châles noirs, aveuglées par l'omertà, la loi du silence, ne prenaient pas part à la saga criminelle des hommes. Or, la "femme d'honneur" existe. Elle constitue l'autre versant, souvent occulté, de la Mafia.
[...]
Longtemps, le rôle des femmes au sein de la Mafia a été totalement négligé. Silencieuses et discrètes, souvent réduites au statut de victimes, on les croyait sous l'emprise des hommes, reléguées aux tâches domestiques. On sait désormais qu'elles jouent depuis toujours un rôle central dans l'organisation criminelle : celui de garantes de la culture mafieuse.
Dans la Mafia, les hommes sont en effet rarement à la maison. La plupart sont en cavale ou en prison. Ils ne sont donc que très peu présents aux côtés de leurs enfants. Alors qui transmet les valeurs mafieuses ? Le père qui n'est jamais là ? Les dépositaires du crime originel, ce sont les femmes. Ce sont elle qui créent dans l'imaginaire des enfants ces figures d'hommes mafieux extraordinaires.
De la même manière, lorsque ces femmes discrètes se retrouvent veuves, ce n'est pas vers la justice qu'elles se tournent. Dans le secret de la famille mafieuse, elles poussent leurs fils à la "vendetta", la vengeance. Ainsi, une femme mafieuse dont le mari a été assassiné aurait gardé la veste tachée de sang de son mari pour l'offrir à son fils le jour de ses 18 ans afin qu'il perpétue la vendetta.
Les mafieuses citées dans le livre sont, dans Cosa nostra, Ninetta Bagarella, Rita Atria, Giusy Vitale, Carmela Iuculano, dans la 'Ndrangheta, Giusy Pesce, Lea Garofalo, Maria Concetta et dans la Camorra, Pupetta Maresca, Erminia Giuliano, Maria Licciardi, Giuseppina Nappa et Anna Carrino.
Les autrices concluent sur la question de l'émancipation de ces femmes. A l'inverse de l'idée prédominante de la femme soumise
non seulement les femmes ont toujours occupé une place essentielle dans la transmission des valeurs mafieuses, mais elle ont souvent joué un rôle décisif dans l'histoire du clan familial : soit en choisissant d'en reprendre la tête, au moment de l'incarcération du chef, soit en décidant d'en sortir, en collaborant avec la justice.
Dans le premier cas, à l'image de Giusy Vitale ou d'Erminia Giuliano, les femmes mafieuse, au lieu de se libérer du joug de la domination masculine, se sont substituées aux hommes, s'identifiant entièrement aux valeurs négatives qu'elles avaient connues. Peut-on dès lors parler d'émancipation ?
Pour la sociologue américaine Freda Adler, il existe un lien entre l'émancipation et la criminalité au féminin. Selon elle, si le crime est depuis toujours l'apanage des hommes, c'est en raison de l'inégalité des sexes qui prévaut dans la société et qui consacre la supériorité masculine. L'augmentation du nombre de femmes accusées d'association mafieuse, attestée par les statistiques, traduirait un mouvement de libération féminine.
Mais pour la procureure palermitaine Teresa Principato, si on peut parler de "pseudo-émancipation", il ne s'agit pas pour austant de libération.
La vraie libération est sans doute celle des femmes qui, à l'image de Lea Garofalo ou Anna Carrino, choisissent de changer de vie en collaborant avec la justice, interrompant ainsi la transmission des (contre-)valeurs mafieuses, souvent profondément machistes.
On retrouve cet ouvrage cité et une interview de ses autrices dans l'article du Point, Quand la mafia est dirigée par des femmes de juillet 2022, consultable à la BML ou en ligne via Europresse par ses abonné·es. A noter : celui-ci mentionne la série israélienne, Mafia Queens, diffusée sur Arte.
Dans Les femmes ont-elles pris le pouvoir dans la mafia italienne ?, juillet 2019, Ulyces, on peut lire
Selon une étude récente du centre de recherche italien TransCrime, de plus en plus de femmes occupent une place de premier plan dans la mafia italienne. « Dans de nombreuses familles de la Cosa Nostra et de la ‘Ndrangheta, les femmes sont passées au rang de personnages principaux, très actives dans la gestion de leurs affaires familiales », confirme Alessandra Dino, professeure de sociologie judiciaire à l’université de Palerme. [...]
Des mois durant, une équipe internationale de huit chercheurs·euses a modélisé le « risque d’infiltration de crimes graves et organisés dans des entreprises légitimes sur l’ensemble des territoires et des secteurs européens ». Fin décembre 2018, l’étude de TransCrime a conclu que si 2,5 % des personnes condamnées pour des crimes liés à la mafia en Italie sont des femmes, celles-ci possèdent pourtant un tiers des avoirs des organisations.
En examinant les entreprises de la pègre italienne, les chercheurs·euses ont en outre pu établir que « dans les secteurs de la construction et des transports en particulier, il y a quatre fois plus de femmes actionnaires que dans l’économie légale », explique Michele Riccardi, chercheur chez TransCrime ayant participé à l’étude. Ces mères, sœurs ou filles n’occupent plus uniquement des rôles passifs, comme en témoignent les pages d’enquêtes menées par les procureur·e·s antimafia : leurs noms y sont couchés à l’envi, tant issus de la Cosa Nostra que de la Camorra ou de la ‘Ndrangheta.
[...]
Selon les organisations, leur fonction peut varier. À en croire Felia Allum, dont la thèse portait en particulier sur la mafia napolitaine, la Camorra (elle a également écrit deux livres sur la Camorra Napolitaine), les groupes ont des fonctionnements différents et « le territoire a également un impact sur le rôle des femmes ». Cette disparité « rend difficile toute généralisation », avertit la chercheuse. À Naples, les femmes sont plus émancipées, car là-bas « ne sévit que la mafia urbaine ». Dans la mafia calabraise, plus rurale, elles n’ont en revanche que peu d’espace, car les liens du sang prévalent. En Sicile, elles ne peuvent pas appartenir officiellement à une organisation, « mais toute femme faisant partie de la vie d’un homme mafieux, partage également son travail ».
Plus ancien, daté de 2009, L'Express titre un autre article Quand les femmes prennent le pouvoir dans la mafia et Madame Figaro publie La mafia ne pourrait pas exister sans les femmes en 2015.
Sur la mafia vous pourriez également être intéressé·e par ces réponses du Guichet du savoir, Comment sont organisés les gangs, les mafias et autres organisations criminelles ? et Mafia.
Bonne journée.