Comment se déplaçaient-on à Venise lorsque les gondoles n'existaient pas encore ?
Question d'origine :
Bonjour à tous,
Savez-vous comment se déplaçaient les gens à Venise lorsque les gondoles (bateaux) n'existaient pas encore?
J'ai vu qu'elles remontent au XVIe siècle mais j'aimerais en savoir plus si leur histoire.
Merci!
Réponse du Guichet
Les traces de peuplement sont anciennes tout comme la navigation, indispensable pour le cabotage dans les lagunes.
Bonjour,
De nombreuses études portent sur Venise et la navigation mais lient souvent Venise et commerce à partir du XVe siècle. Or le peuplement de « Venise » est bien antérieur.
Dans Histoire de Venise, Christian Bec revient sur son peuplement :
Vraisemblablement née à l’époque romaine, elle reprend forme et vie durant les invasions barbares des VIe et VIIe siècles de notre ère. Duché byzantin, elle résiste lors de la chute de l’exarchat de Ravenne et face aux pressions des Francs, jusqu’à acquérir son autonomie autour du Rialto.
C’est dans ces lieux que sont apportées vers le milieu du XIe siècle les reliques de saint Marc, qui devient le patron de ce qui va être la Civitas Veneciarum avec un doge (dux) à sa tête.
Promptement, Venise connaît un fort développement économique grâce à son commerce maritime. A partir de l’an mil et durant les siècles suivants, marins, marchands et armateurs créent un vaste empire en Méditerranée. La IVe Croisade, déviée de son but, procure à la République une position prédominante, tant terrestre que maritime, au Levant, qu’elle s’emploie dès lors à défendre contre ses rivaux.
(…)
A l’époque romaine, Aquilée, au nord, créée en 181 avant Jésus-Christ, est la capitale administrative de la région, un port fluvial et un nœud de communication routière. Grado, toute proche, est une base navale et un port maritime. Au sud, Chioggia contrôle le trafic en direction de Padoue.
En 402 après Jésus-Christ, les Goths d’Alaric s’abattent sur Aquilée, dont ils dévastent la province. Ils entraînent la fuite et l’exil temporaire de populations dans la lagune. Selon la légende développée ultérieurement par les Vénitiens pour démontrer l’ancienneté de leur cité et la lointaine origine de sa liberté, Venise aurait été fondée le 25 mars 421 dans les îlots du rivus altus (Rialto).
En 452, Attila et ses Huns incendient de nouveau Aquilée et dévastent Concordia. De même que précédemment, cette irruption a sans doute poussé les habitants de la région à chercher leur salut au milieu des eaux et dans les îlots de la lagune. Ainsi assemblées, ces populations auraient établi vers 466 un système rudimentaire de gouvernement par des tribuns.Ministre de Théodoric, Cassiodore envoie en 537, après la mort de son roi, une lettre aux tribuns des habitants de la lagune pour leur demander leur aide afin de transporter, durant une famine, des denrées alimentaires provenant d’Istrie. A ces tribuni, sans doute des responsables militaires exerçant aussi des fonctions juridiques et administratives, Cassiodore dit en des termes ampoulés son admiration pour l’originalité de leur mode de vie. Il certifie l’existence, dès le vie siècle, d’une activité marine lagunaire et fluviale (cabotage côtier et transadriatique, pêche et salines) ainsi que d’un certain et mythique état d’innocence : « Ces louables Vénéties, jadis riches en nobles, touchent au sud Ravenne et le Pô ; à l’est elles jouissent des agréments du littoral ionique : là, une marée qui va et vient, tantôt en montant, emprisonne, tantôt au reflux, libère le paysage, en inondant par alternance la campagne. Ici votre maison est faite comme celle des oiseaux aquatiques, car ce qui est maintenant terre, parfois paraît île, au point que l’on croit tout à fait être aux Cyclades, là où brusquement on revoit, inchangé, l’aspect des lieux. Cette grande ressemblance fait apparaître dispersées, par ces plaines liquides, étendues sur une si grande longueur, des habitations qu’a produites la nature, mais qu’ont fondées les soins des hommes : en effet, par le tressage des joncs flexibles, on consolide là le terrain et l’on ne doute pas d’opposer au flot marin une si fragile défense… Les habitants ne disposent donc que d’une ressource unique, les seuls poissons dont il y a grande abondance : la pauvreté y vit sur un pied d’égalité avec les riches ; une seule nourriture les réconforte tous, un même type d’habitation les enferme : ils ignorent la jalousie en ce qui concerne leurs pénates, et passant une vie ainsi mesurée, ils évitent le vice auquel on sait qu’est exposé le monde. Tous leurs efforts visent à exploiter des salines… »
En 568-570, les Lombards s’établissent dans la plaine du Pô ; ils créent un royaume autour de Pavie et suscitent le départ, cette fois massif et durable, de petites gens mais aussi de propriétaires terriens et de dignitaires civils, militaires et religieux. Le patriarche d’Aquilée (siège épiscopal fondé selon la légende par saint Marc) s’établit à Grado. Les Trévisans créent des villages dans les îles rialtines et à Torcello, les Padouans à Malamocco, les Frioulans à Grado et à Caorle. Chioggia et Jesolo reçoivent aussi des exilés. En 639 est fondée la basilique de Torcello (reconstruite en 864 puis en 1008). A la même date, les Lombards ayant investi Oderzo, le duc byzantin crée la nouvelle ville de Cittanova, ou Héraclée, du nom de l’empereur Héraclius.
Toutes ces cités sont dirigées par l’administration byzantine ayant à sa tête l’exarque de Ravenne, qui gouverne jusqu’en 751, date de la chute de la cité et de la fin de l’exarchat lombard.
Doris Stöckly, dans l’article « Le système de l’incanto des galées du marché de Venise : un exemple de réseau mis en place par un État » (dans Damien Coulon éd., Espaces et Réseaux en Méditerranée VIe-XVIe siècle vol. II. La formation des réseaux, 2007, p. 23-44) revient sur la navigation mais s’intéresse aux échanges commerciaux et donc à des types particuliers de navires :
Dès avant les croisades, les marchands vénitiens étaient présents autour de la Méditerranée en Romanie, en Égypte et en Terre Sainte, ainsi qu’en mer Noire et en Méditerranée occidentale. Ils avaient accumulé une grande expérience commerciale et partageaient leur savoir-faire sur la place du Rialto. Les marchands s’associaient par des contrats de colleganze et de commendaet voyageaient en convoi durant les périodes définies, les mude, entre avril et août vers Constantinople, la Romanie et le Levant. Dès cette époque, on trouve déjà des navires qui quittent Venise par décision du Grand Conseil et du Sénat. Au tournant du xiii e et du xiv e siècle, le commerce et les routes maritimes étaient donc bien établis, les hommes d’affaires vénitiens travaillaient déjà avec un réseau de correspondants, membres des familles marchandes envoyées sur place. Les Vénitiens disposaient en effet de comptoirs tout autour de la Méditerranée et ils avaient recours à des contractants livrant les biens dans les pôles portuaires les plus importants. Venise avait obtenu des privilèges douaniers pour ses marchands bien avant la mise en place du système de galées de ligne. C’est dans ce contexte de navigation commerciale en plein essor que les autorités de Venise commencèrent à contrôler le grand commerce maritime en établissant un véritable système de navigation d’État. En mettant aux enchères les galères de guerre, puis des grosses galées qui voyageaient sous des conditions bien définies, ils donnaient l’occasion aux hommes d’affaires de participer au grand commerce en toute sécurité, garantie par les chiourmes armées des galées et en vue d’un profit assuré. Dans le même temps, la navigation privée continuait à exister en parallèle en tant qu’élément complémentaire indispensable au bon fonctionnement des lignes de galées.
(…)
Les étapes et les structures de la mise en place : galères de guerre et galées communales à fonctions commerciales
Il était primordial pour l’État de garantir la sécurité sur mer, de faire la guerre aux pirates et de défendre les positions acquises dans l’empire byzantin et les pays musulmans, notamment pour faciliter le commerce et protéger les Vénitiens dans de nombreux comptoirs sur les côtes méditerranéennes. Au début du xiv e siècle, soit peu après la deuxième guerre contre Gênes, Venise se trouve en état d’alerte car les mers ne sont pas encore sûres. Les registres Misti du Sénat montrent le besoin d’armer des galères de guerre pour le commerce. On protège également les voyages d’ambassadeurs sur les galères de l’État. Or, il est surprenant de trouver aussi des galères de guerre autorisées à transporter des biens marchands. À Raguse par exemple, une galère de la Commune vénitienne doit être armée pour accompagner un navire commercial. Elle a donc une mission militaire, mais elle transporte des marchands et des marchandises qui, par ailleurs, couvrent les frais de l’armement.
Dans Venise : une république maritime, Frédéric Lane évoque les différentes phases de peuplement, la formation même de Venise et rappelle les modes de navigation :
Jusqu’à l’an mille, les Vénitiens firent du cabotage dans les lagunes, sillonnèrent les canaux et les fleuves qui remontent vers le nord de l’Italie. Après l’an mille, ils se transformèrent en marins de haute marin, naviguant, commerçant et combattant dans toute la Méditerranée
(…) les paroisses étaient reliées entre elles non seulement par des bacs (traghetti), qui circulaient dans les eaux intermédiaires peu à peu endiguées en canaux(…)
Jean Hocquet dans Le sel et la fortune de Venise 2, : Voiliers et commerce en Méditerranée : 1200-1650(1979) présente, y compris grâce à des reproductions, les différents types bateaux :
- Venise, pour cette tâche, mobilisa différentes types de bateaux, de toutes tailles, aux caractéristiques très diverses, mais en écarta systématiquement le vaisseau à rames, d’utilisation trop coûteuse (.. ;) la nef vénitienne était un navire beaucoup trop lourd, trop complexe, pour travailler sur les petits itinéraires (…) Entre la nave du XIIIe siècle et la nef du XVème siècle prit place en effet la cocca (.. ;) Malgré la variété du vocabulaire, conséquence de la diversité des types de bateaux utilisés par les marins vénitiens, nef, coque, ligno, taride, panfilo, barque, marciliane, marano, saette, grippo, galée …, cette multiplicité se réduit à deux types fondamentaux et l’on oppose alors vaisseaux à rames et vaisseaux à voiles, navires longs et bateaux ronds, c’est-à-dire galères et nefs …
En complément, nous vous laissons parcourir les ouvrages suivants :
- Venise : la sérénissime et la mer / André Zysberg et Philippe Burlet, 2000 : "Chaque année, le jour de l'Ascension, le doge s'embarque sur le Bucentaure, la galère de parade de la Sérénissime, et jette un anneau d'or dans l'Adriatique, symbole de son mariage avec la mer. Au-delà de ce geste, c'est au quotidien que la Cité vit au rythme de la mer. Grâce à ses galères et galéasses sorties du plus grand arsenal de tous les temps, elle domine la Méditerranée et ses comptoirs jalonnent toutes les routes commerciales entre l'Orient et l'Occident".
- Claire Judde De Larivière, Naviguer, commercer, gouverner. Économie maritime et pouvoirs à Venise (XVe-XVIe siècles), 2008.
- Gondoles : symboles de Venise / Constantin Parvulesco, 2006.
- Bateaux de Venise : les racines d'une culture / Giorgio Crovato, Maurizio Crovato, Luigi Divari traduction de Delphine Gachet, 2019 : "Sous forme de dictionnaire, une découverte des gondoles qui font les charmes de la lagune de Venise, illustrée de photographies anciennes et d'aquarelles. Une partie est consacrée aux différentes formes des gondoles et aux dessins peints sur les voiles".
- Navigation et migrations en Méditerranée. De la préhistoire à nos jours./ [sous la dir. de Jean-Louis Miège], 1990
Les articles suivants :
- Claire Judde de Larivière, « Entre gestion privée et contrôle public : les transports maritimes à Venise à la fin du Moyen Âge », Histoire urbaine, 2005/1 (n° 12), p. 57-68.
- Le origini e lo sviluppo dei siti portuali della laguna venet
- Prima di Venezia. Terre, acque e insediamenti / Diego Calaon, 2002-2003.
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