Comment ont réagi les médias et partis politiques français au coup d'Etat de Pinochet ?
Question d'origine :
Bonjour, j'aimerais savoir comment ont réagi les grands médias et les grands partis politiques français au coup d'Etat de Pinochet au Chili en 1973 ?
Réponse du Guichet
Tous les partis et médias (hormis à l’extrême droite) condamnent le coup d’Etat de Pinochet. Cependant, contrairement aux partis et medias de gauche, ceux de droite incriminent le gouvernement d’Allende dans cet échec sanglant.
Bonjour,
Dans le contexte de la guerre froide, la chute d’un gouvernement de gauche tendance marxiste est plutôt une aubaine pour les droites. Bien sûr, elles condamnent la violence du coup d’état mais saisissent aussi l’occasion de montrer qu’un gouvernement d’alliance socialiste et communiste est forcément voué à l’échec. A gauche, il s’agit à la fois de condamner le renversement militaire, le rôle de la droite chilienne et l’ingérence des Etats-Unis dans ce drame, et de montrer la différence entre la France et le Chili, pour contrer les arguments de la droite.
«Dans un pays comme la France qui s’est passionné pour «la voie chilienne vers le socialisme», la réception du putsch se perçoit à l’aune des articles sur le Chili publiés dans la presse : plus de 200 en 1973, quand dix ans auparavant il n’en existait aucun. À l’exception de l’extrême-droite, l’ensemble des partis politiques et de l’opinion politique est choqué, même si quelques nuances apparaissent entre formations de gauche et de droite. Le parti communiste français (PCF) se mobilise : le Chili est systématiquement à la une de L’Humanité jusqu’au 2octobre 1973, des grèves, des manifestations et des pétitions sont organisées avec notamment les Jeunesses ouvrières chrétiennes et la Confédération française démocratique du travail. Les déclarations des DC français, qui n’ont plus le poids électoral de l’immédiat après-guerre, sont presque inexistantes dans la presse. Le président du CD, Jean Lecanuet, «regrette» l’intervention militaire :
«L’expérience du Chili […] ne fut en réalité malgré la générosité de son inspiration qu’une suite ininterrompue d’erreurs et de désordres. Elle allait sombrer d’elle-même dans la réprobation populaire, ouvrant à Eduardo Frei, ancien président, et ses amis, la voie du redressement. Quel que soit le jugement porté sur la responsabilité, il restera que nulle part, pas plus à Prague qu’à Santiago, l’avènement d’un socialisme à visage humain ne peut naître de l’alliance des socialistes avec le parti communiste. La chance ne pourra surgir que de leur convergence avec les démocrates attachés aux réformes et aux libertés» »
Échos du coup d’État chilien dans les réseaux démocrates-chrétiens européens, Élodie Giraudier, Monde(s) 2015/2 (N° 8), pages 65 à 82
Voir aussi :
- Le Parti Socialiste français face au coup d’État du 11 septembre 1973 au Chili, Renée Fregosi, halshs-0206292
- Le parti socialiste français face à l’expérience de l’Unité Populaire chilienne, Claire Lepage, 4 Mars 2008, mitterand.org
- Le parti socialiste français dans la recomposition du parti socialiste chilien à partir de 1973, Elodie Giraudier, Fondation Jean Jaurès
Mais même si la droite reste moins active, il n’en reste pas moins que des hommes politiques de tous bords œuvrent pour l’accueil des réfugiés chiliens :
«L’échec de l’Unité populaire a une résonance exceptionnelle et ce vif intérêt s’enracine surtout dans la nostalgie et la quête d’un modèle socialiste à «visage humain». L’ensemble de l’opinion publique française est choqué par la violence du golpe. Immédiatement, les partis politiques et les syndicats s’investissent dans la solidarité et des appels à manifester sont lancés dans toutes les villes pour dénoncer un coup d’État «fasciste» et l’ «assassinat» du président Salvador Allende. De plus, les députés et sénateurs des partis socialiste et communiste effectuent une série d’interventions parlementaires auprès du Premier ministre et du ministre des Affaires étrangères pour réclamer que la France se déclare officiellement prête à offrir l’asile politique à tous les réfugiés chiliens qui le demanderaient. De leurs côtés, les militants et sympathisants de gauche se mobilisent, dès le 12 septembre 1973, à l’appel des formations politiques et syndicales françaises, regroupées au sein du «Comité des 18», tandis que s’organisent partout des Comités de solidarité. La lecture des différents éditoriaux publiés dans la presse française au lendemain du coup d’Etat témoigne de cet émoi. La population est sollicitée pour collecter des fonds et soutenir les formations politiques chiliennes pourchassées par la Junte. Et, en novembre 1973, un Comité de coordination pour l’accueil des réfugiés est crééregroupant d’une part des organismes publics, le Ministère des Affaires étrangères, l’Office Français pour les Réfugiés et Apatrides (OFPRA), le Service Social d’Aide aux Emigrants (SSAE), et d’autre part des associations laïques, France Terre d’Asile (FTDA), et religieuses, la CIMADE, le secours Catholique et le Comité Juif d’aide sociale et de reconstruction. Concrètement, la solidarité se structure dans les quelques mois consécutifs au coup d’Etat. Par conséquent, le renversement de Salvador Allende provoque un transfert de population et un renversement des représentations. Le Chili, devient à travers le régime militaire l’incarnation de l’intolérance et il est honni par la société française.
L’exil chilien en France entre mobilités transnationales et échanges, Nicolas Prognon, Amnis, 12/2013.
Le rôle de l’ambassade de France au Chili et de Pierre de Menthon est par ailleurs abondamment documenté :
La France face au Coup d’État du 11 septembre 1973, une affaire explosive, Thomas Lalire, (également réalisateur du documentaire La résidence), L’Humanité, 09/2020
"En accueillant dans l’enceinte de l’ambassade et celle de sa propre résidence des centaines de militants fuyant la torture et la mort, en transformant ces espaces officiels en dortoirs et cantines de fortune, Pierre et Françoise de Menthon ont pris de vrais risques : par rapport à la junte chilienne, mais aussi par rapport au pouvoir politique français. Car à l’époque, en France, alors que l’Union de la gauche entre PS, PC et Radicaux prend forme, ni le président Pompidou ni Pierre Messmer, son premier ministre, ne tiennent en haute estime – c’est une litote – Salvador Allende. En résumé, la France n’est pas pour le coup d’Etat militaire mais s’il a eu lieu, c’est la faute de ce dangereux gauchiste d’Allende…
Au Chili, en 1973, l’ambassade de France en première ligne face au coup d’Etat, Alain Constant, Le Monde, 26/01/2020
Chili 1973, le soutien de l’ambassade et du ministre aux refugiés, Jean Mendelson sur le site de la Fondation Jean Jaurès
L’ambassade dans Le fond de l'air est rouge, de Chris Maker
Je témoigne : Québec 1967, Chili 1973, Pierre de Menthon. (Avec les) Carnets / de Suzanne de Menthon
Vous pourrez par ailleurs trouver en ligne des articles et medias qui illustrent la réception du coup d’état et les différentes prises de position des acteurs politiques :
- Chili, une dictature à la une, France Terre d’asile (présente des Unes de Libé d’époque)
- Chili : un massacre et un avertissement, Brochure Lutte ouvrière, 30/09/1973
- Migration latino-américaine en France à travers l’exemple du Chili et de l’Argentine, par Anne Pavis · Publié 21/04/2020 · Mis à jour 07/04/2022, ressources de l’INA sur le Chili : voir notamment Réactions politiques françaises au coup d’Etat.
- Coup d'état au Chili : analyse du journaliste Marcel Niedergang, INA, peu après le coup d’état
- Réactions au coup d’État de 1973, Librecours.eu, enseignement HGGSP, article de Raymond Aron du 14/09/1973 dans le Figaro.
- 11 septembre 1973 : le général Pinochet prend le pouvoir au Chili, par Véronique Laroche-Signorile : archives du Figaro, récit du coup d’état par l’envoyé spécial.
- Renversement du gouvernement de Salvador Allende au Chili, texte rédigé par l'équipe de Perspective monde, qui comprend des articles du Nouvel Observateur, d’Etudes et de l’Express des mois qui suivent le coup d’état.
- Texte de François Mitterrand paru juste après l’annonce de la mort d’Allende dans l’Unité, journal du PS
- Salvador Allende : un révolutionnaire légaliste, Le Monde, 13/09/1973
- Les partis politiques européens face au 11 septembre 1973 : Renée Fregosi (Université Sorbonne Nouvelle - Paris3) : Le Parti socialiste français face au coup d'Etat, Olivier Dard (Université Paris Sorbonne – Paris 4) : Les droites radicales françaises face à Pinochet, Elodie Giraudier (Université Sorbonne Nouvelle – Paris 3), Les milieux démocrates - chrétiens européens face au 11 septembre 1973.
- Augusto Pinochet dans la caricature de presse française et anglo-saxonne, 1973-2006, Manuel Gárate Chateau, Monde(s) 2015/2 (N° 8), pages 105 à 120
A consulter également :
- Allende : Chili, 1970-1973 : chronique / Pierre Kalfon :
Après un bref rappel historique, l'auteur reprend l'essentiel des chroniques qu'il réalisa au Chili, de 1970 à 1973, en tant que correspondant du journal Le Monde. L'épilogue est une reconstitution minutieuse du coup d'Etat, depuis le soulèvement de la marine jusqu'au moment où le président se donne la mort.
- Chili, 11 septembre 1973, la démocratie assassinée : récits et témoignages, Eduardo Castillo
- Les 50 jours ayant suivi la chute de l’Unité populaire vus par la presse quotidienne française, Nicolas Prognon, mémoire de maîtrise, Toulouse
- J'en ai tant vu : mémoires, Claude Estier
- Le Chili d’Allende et de Pinochet dans la presse française, Pierre Vayssière (à savoir : «Franchement marqué à droite, Pierre Vayssière offre une vision conservatrice de l'Amérique latine. Ses ouvrages proposent une image systématiquement défavorable des mouvements de gauche du sous-continent et au contraire ont tendance à minimiser les méfaits des dictatures et de l'interventionisme nord-américain». Babelio), à localiser sur le sudoc.
- Chili. Le 40e anniversaire du Coup d’Etat du 11 septembre 1973 et la presse française., Jean-Paul Salles, Dissidences, Hiver 2013
Enfin bien sûr, si vous voulez en savoir encore davantage, il vous faudra consulter les archives des principaux journaux en bibliothèque.
Bonnes lectures !