Pourquoi, lorsqu'on vieillit, on a l'impression que le temps passe plus vite ?
Question d'origine :
Bonjour,
Y a-t-il une raison scientifique pour que lorsqu'on vieillit, on a l'impression que le temps passe plus vite.
Merci
Réponse du Guichet
Votre question qui interroge notre perception du temps, intéresse différentes disciplines comme la psychanalyse, la biologie, la philosophie et l'anthropologie. On peut cependant affirmer que c'est grâce à notre horloge interne que nous percevons le temps qui passe. Mais, d'après Sylvie Droit-Volet, "malgré notre maître horloger, le temps se dilate et se contracte selon les contextes, selon notre humeur." Un article plus récent rapporte que de "faibles niveaux de dopamine sont associés à une sous-estimation du temps qui passe" mais aussi que "ce décalage de perception est dû à notre cerveau qui perd en capacités cognitives".
Bonjour,
Votre question interroge notre perception du temps. Elle appelle une réponse transdisciplinaire car elle intéresse autant les philosophes que les physiciens et les psychologues comme l'indique la présentation de la conférence filmée, La perception du temps par le cerveau, donnée en 2019 par Sylvie Droit-Volet, professeure des universités à l'université Clermont Auvergne à Clermont-Ferrand, membre et directrice adjointe du laboratoire CNRS de psychologie sociale et cognitive (LAPSCO) :
C'est aussi l'approche de l'article, Pourquoi le temps passe-t-il si vite ? de Psychologies qui propose une réponse psychanalytique, une autre biologique, une troisième philosophique et une dernière anthropologique. Celui-ci est cité dans notre réponse NOTION DU TEMPS de 2011 qui traitait déjà de cette question. De même en 2006, pourquoi ça va si vite ? nous proposions des pistes ici résumées :
D'après le physicien Etienne Klein dans Temps et vieillissement, "l’idée de la mort a sans conteste un impact sur notre temps humain, plus exactement sur notre perception humaine du temps : c’est elle qui lui donne cette odeur de sapin si particulière, ce parfum diffus qui imprègne toutes nos réflexions sur le temps."
Pour André Comte-Sponville, philosophe, si l’arithmétique pourrait suffire à expliquer que le temps semble passer de plus en plus vite en vieillissant, "ce n’est pas le temps qui s’accélère ; c’est l’avenir qui se rétrécit, c’est le passé, surtout, qui s’en va de plus en plus vite" :
Pour un enfant de 4 ans, une année, c’est le quart de sa vie. Pour un adolescent, environ un quinzième. Pour moi, qui ai 51 ans, un peu moins de 2 %. Pour un octogénaire, à peine plus de 1 %… Comme cela paraît long, pour l’enfant, et court, pour l’homme mûr ou le vieillard ! Il y a sans doute autre chose. L’enfant, hors ses moments de jeu, vit surtout dans l’attente. L’année qui compte, elle est devant lui : il en est séparé par trois cent soixante-cinq jours, qu’il faudra vivre un par un. Le vieillard vit davantage dans le souvenir. Cette année qui lui semble si brève, c’est d’abord celle qui est derrière lui. Il s’en souvient en bloc, il la porte tout entière en lui, déjà vécue, déjà passée, ou plutôt il porte tout entier en lui le peu qu’il lui en reste : quelques souvenirs, quelques regrets – presque rien.
Source : Le temps s’accélère, André Comte-Sponville, Psychologies.com.
Wikipédia donne aussi quelques clés pour comprendre la perception du temps :
Mécanismes physiologiques
On peut distinguer plusieurs mécanismes de perception du temps, selon l'échelle à laquelle on se place :
Modèles d'horloge interne
Jusqu'à présent plusieurs hypothèses s'affrontent sans pour autant être contradictoires.
- d'une part le modèle dit de pacemaker-accumulateur proposé en 1984 par Gibbon, Church et Meck. Inspiré du mouvement cognitiviste, ce modèle postule l'existence d'un pacemaker qui délivre des impulsions de manière régulière. Ces impulsions sont "stockées" dans un accumulateur. Lorsqu'il s'agit par la suite d'effectuer un jugement temporel, comparer la durée de deux stimuli par exemple, l'accumulateur communique le nombre d'impulsions comptabilisées lors de la première durée dans ce qui est appelé une "mémoire de référence". Lors de la seconde durée, le contenu de l'accumulateur est transféré en mémoire de travail et est comparé à la mémoire de référence. En fonction de la différence relative, le sujet testé peut répondre (avec une certaine erreur) si la première durée est plus longue ou plus courte que la seconde. Dans les années qui ont suivi la présentation de ce modèles, de nombreuses tentatives furent menées pour assigner des bases neurobiologiques à ces différents opérateurs intervenant dans le modèle de pacemaker-accumulateur. Dans les versions les plus courantes de ce modèle, il existerait ainsi des zones cérébrales spécialisées dans le traitement de l'information temporelle, indépendamment de la modalité sensorielle du stimulus par exemple. Meck a ainsi suggéré que le système des ganglions de la base pouvaient jouer le rôle de pacemaker-accumulateur, tandis que d'autres comme Richard Ivry défendait plutôt l'idée que le cervelet (en particulier le vermis) était central dans la perception temporelle.
- d'autre part le modèle de l'encodage spatial du temps, tenant compte de la dynamique des réseaux neuronaux. Le principe est le suivant : lorsque l'on perçoit un stimulus, il va y avoir activation d'un certain nombre de neurones au sein d'un réseau. On peut voir le réseau de neurones comme une grille. Ainsi l'information temporelle est encodée par le nombre et la position des neurones activés. Des neurones "extérieurs" peuvent décoder cette information grâce à un renforcement des synapses spécifiques des neurones détectés. Pour qu'un tel modèle soit possible, il faut cependant qu'un stimulus déclenche toujours la même cascade d'évènements, ce qui semble être le cas d'après des études de modélisation informatique.
- d'autres hypothèses sont également prises en compte, incluant des "neurones oscillateurs" ou des différences dans l'activation des neurones.
En 2009, Cerveau & Psycho publiait un article que Sylvie Droit-Volet signait, Dossier : perception du temps et illusions temporelles. Elle y écrit qu'"il y a plusieurs formes de temps selon l'échelle considérée, de quelques millisecondes à plusieurs années. Et chaque forme de temps implique des processus cognitifs différents". Pour elle, notre "horloge interne serait constituée d'une base de temps – une sorte de pacemaker". Cependant,
malgré notre maître horloger, le temps se dilate et se contracte selon les contextes, selon notre humeur. C'est l'illusion du temps. Chaque illusion est due à des mécanismes différents. Par l'accélération de nos bases de temps, parce que nous sommes plus ou moins attentifs, parce que notre mémoire n'est pas toujours fiable, nous sommes le jouet d'illusions temporelles. Étudier nos illusions permet donc de mieux comprendre les mécanismes à la base de la perception du temps.
La même année, dans La perception du temps varie selon le rythme de la vie, Sciences & Vie, les auteurs François Lassagne et Gilles Marchand citaient aussi Sylvie Droit-Volet :
L’ÂGE MODIFIE LA PERCEPTION
Sauf qu’en réalité, les rapports entre l’estimation du temps et l’âge s’avèrent plus compliqués. Parfois, les personnes âgées sous-estiment le temps… mais parfois non. Tout dépend des situations auxquelles elles sont confrontées. C’est pourquoi John Wearden, professeur de psychologie à l’université de Keele, au Royaume-Uni, estime que Ia question de savoir pourquoi le temps semble passer plus vite en vieillissant est une question très subtile, très complexe Le chercheur a conduit des expériences demandant aux volontaires soit de catégoriser les durées de stimuli comme courtes ou « longues, soit de juger la similarité entre deux durées de stimulus. Avec ces tâches relativement simples, s’il observe bel et bien une différence entre jeunes et moins jeunes, c’est plutôt celle d’une baisse significative de la sensibilité d’estimation des durées avec l’âge. Les sujets plus âgés arrivent, en moyenne, à reconnaître une durée précise. ou à classer correctement des durées courtes et longues. Seulement, leurs erreurs sont plus nombreuses et de plus grande amplitude (voir courbes p. 48) que celles des sujets plus jeunes. Mais nulle trace d’accélération – ni de ralentissement – du temps. Curieusement, cette moindre sensibilité à la discrimination de durées plus ou moins longues s’observe non seulement chez les personnes âgées, mais aussi chez les très jeunes enfants. Sylvie Droit-Volet, directrice de l’UFR de psychologie à l’université Blaise-Pascal de Clermont-Ferrand et membre du laboratoire CNRS de psychologie sociale et cognitive, a réalisé ces dernières années les mêmes expériences que le chercheur britannique avec des enfants de 3, 5 ou 8 ans. Seuls les enfants âgés de 8 ans s’approchent de la sensibilité temporelle des adultes. La capacité à mesurer le temps des plus jeunes s’apparente, elle, à celle qu’auraient des sujets de l’âge de leurs grands-parents. Comme si, au début et à la fin de la vie, on retrouvait les mêmes difficultés à évaluer le passage du temps. Faut-il y voir la signature d’un mécanisme dédié à la mesure du temps – notre « chronomètre cérébral » – qui serait encore imprécis avant 8 ans, parfaitement fonctionnel alu-delà, puis qui perdrait peu à peu sa fiabilité avec l’âge ? La chercheuse ne va pas jusque-là. Et insiste sur le fait que l’on ne peut réduire la performance à la compétence: « Comme un enfant peut très bien avoir une mauvaise note à son devoir alors qu’il avait bien appris sa leçon, il peut éprouver des difficultés à estimer le temps alors que son chronomètre cérébral lui permet de le faire correctement. Et chez les sujets âgés, l’évolution de la perception du temps est sans doute plus liée à des changements relatifs aux capacités attentionnelles. Etre capable d’estimer sans variation des durées signifie être capable de maintenir son attention de façon focalisée sur l’écoulement du temps, quelle que soit la durée. Or, avec le vieillissement, cela devient plus difficile. « Ainsi, quand les chercheurs voient passer le temps différemment chez les plus âgés, ce n’est peut-être pas tant le comptage du temps qui a changé, que l’ensemble du fonctionnement cérébral. « La diminution de la précision avec l’âge est une caractéristique observée pour quasiment toutes les tâches cognitives durant le vieillissement : que l'estimation des durées s’émousse avec l’âge n’a donc peut-être rien à voir avec un mécanisme particulier du passage du temps ! » prévient John Wearden. Comment trouver, alors, la cause des variations de la perception du temps au fil de la vie ? L’une des expériences conduites par Sylvie Droit-Volet donne de précieux indices. La chercheuse a présenté à de jeunes adultes soit des photos de visages de personnes de même âge qu’eux, soit des photos de visages de personnes âgées, pendant des laps de temps différents, leur demandant d’estimer la durée de présentation des photos.
Résultat: « La durée de présentation des photos est sous-estimée quand on présente les visages de personnes âgées, détaille la chercheuse. Nous incorporons dans notre propre perception la perception du temps des personnes qui nous ressemblent, y compris leur âge. L »horloge’ des volontaires de I expérience s’est mise à ‘battre’ à un rythme plus lent que la normale, au rythme des personnes âgées. » Cette observation et la majorité des résultats des expériences d’évaluation de durées sont mathématiquement reproductibles dans un modèle de représentation cérébrale du temps régi par une horloge interne. « C’est un modèle métaphorique explique Viviane Pouthas, directrice de recherche au Laboratoire de neurosciences cognitives ct imagerie cérébrale du CNRS. Schématiquement, il comporte un ‘oscillateur’, battant à un rythme variable, mais dont la fréquence moyenne est constante, et un ‘accumuluteur’ recevant les impulsions de l’oscillateur. Les impulsions transitent de l’un vers l’autre via un interrupteur. Oscillateur, interrupteur et accumulateur forment ‘l’horloge’, premier étage du modèle, qui compte le temps lorsque l’interrupteur est fermé.
Le contenu de l’accumulateur peut être transmis au deuxième étage du modèle: la mémoire. Le troisième étage est un comparateur, qui évalue les différences entre le contenu de l accumulateur et la mémoire. mémoire de travail ou mémoire à plus long tenue. » Que l’interrupteur s’ouwe, sous l’effet de la distraction, ou que le contenu de l’accumulateur soit mal transféré en mémoire; que la mémoire s’efface en tout ou partie, ou encore que l’oscillateur se mette à changer de cadence… et la perception du passage du temps varie (voir infographie p. 56). Malgré sa simplicité, ce modèle est le meilleur dont dispose les chercheurs pour rendre compte de leurs mesures. Et des Chercheurs de I’ENS, en France, pensent aujourd’hui pouvoir associer certaines zones Cérébrales à ses trois étages. De quoi faire passer la « métaphore » à la réalité biologique. .. Et trouver des causes tout aussi biologiques au ralentissement de l’horloge interne avec l’âge? Certains indices portent à le croire. « Quand on demande à quelqu’un de battre un rythme spontané, on voit qu’en général les jeunes adultes battent toutes les 0,6 seconde et les adultes à partir de 60-65 ans plus lentement, plutôt toutes les 0,8 seconde », observe Viviane Pouthas. Quel est le lien entre ces rythmes, ou d’autres rythmes biologiques – comme les battements du cœur, ou les variations de métabolisme avec l’alternance des jours et des nuits et l’horloge interne du modèle? « C’est extrêmement difficile à dire, prévient la chercheuse. Mais on sait que l »horloge’ accélère lorsque la température corporelle augmente. Ou quand vous êtes sous l’emprise de I’e’motion : quand vous avez un accident de voiture, vous avez impression que ça dure très longtemps, parce que votre ‘horloge’ va très vite. Or, on observe aussi que le rythme cardiaque s’accélère, et que la réponse électrodermale augmente. » Si le vieillissement peut être à l’origine du ralentissement de notre horloge interne, cela reste donc à prouver…
Plus récemment, en 2019, l'article Pourquoi a-t-on l'impression que le temps passe plus vite en vieillissant ? publié par Futura, explique que de "faibles niveaux de dopamine sont associés à une sous-estimation du temps qui passe", et ajoute une autre explication d'Adrian Bejan, professeur à l'université de Duke :
D'après ce chercheur, ce décalage de perception est dû à notre cerveau qui perd en capacités cognitives. Chaque jour, nos réseaux de nerfs et de neurones grossissent et se complexifient, ce qui allonge le trajet des signaux. De plus, au fil du temps, ces « routes » se dégradent, ce qui augmente la résistance à la circulation des signaux électriques. Du coup, lorsqu'on vieillit, « le cerveau stocke moins de souvenirs en 24 heures que lorsque nous étions enfants, nous donnant l'impression que nos journées raccourcissent...
Toujours en 2019, dans La fatigue des organismes. La mesure physiologique du temps entre corps biologique et corps social, Marco Saraceno compare l'organisme "à un « moteur animé » dont on peut mesurer la vitesse et les latences, un moteur dont toutefois le rendement baisse dans le temps" :
Dans ce contexte émerge la question de la fatigue. En particulier les recherches sur la fatigue révèlent que cette baisse marginale ne dépend pas exclusivement d’un mécanisme physiologique, mais également du rapport psychosociologique du sujet avec la tâche à accomplir. En effet, la relation au temps de l’effort varie toujours en fonction de la valeur que l’on donne à une réalisation qui s’inscrit dans le futur.
A noter que Sylvie Droit-Volet sera l'invitée de la BML dans le cadre de l'évènement Prendre le Temps qui aura lieu du 1er avril au 17 juin 2023. Détails de la rencontre ci-dessous, p. 19 du programme :
Pour finir voici plusieurs bilbiographies à explorer si vous souhaitez approfondir le sujet :
Ernst Mach et la psychophysiologie du temps, Claude Debru, ENS Lyon, 2003
Le temps des neurones : les horloges du cerveau / Dean Buonomano ; traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Michel Le Bellac, 2018
Les mécaniques du temps / Jacques Léon, 2022
Bonne journée.