comment se déroulait un mariage paysan dans les années 1920 dans la vallée de l'Arve ?
Question d'origine :
Bonjour,
je souhaiterais savoir comment se déroulait un mariage paysan dans les années 1920 dans la vallée de l'Arve (74). Cela durait-il plusieurs jours ? Y avait-il des traditions particulières ? Quel jour la cérémonie pouvait-elle avoir lieu ?
Merci d'avance de votre aide.
Réponse du Guichet
Peu de documents semblent traiter du sujet très pointu qui vous intéresse. Nous vous proposons cependant quelques pistes dont un ouvrage de 1910 qui, abordant les rites de passage en Savoie et Haute-Savoie, décrit la cérémonie du mariage entre autre dans la vallée de l'Arve.
Bonjour,
Étant donné le caractère très pointu de votre demande, les sources que nous vous proposons vous donneront des réponses un peu plus larges que celles attendues.
A cela ajoutons ce que notait A. Van Gennep en 1910 : "Il n'est pas facile de donner d'une manière suivie un scénario complet des cérémonies des fiançailles et du mariage dans les deux départements de la Savoie, d'une part à cause des lacunes d'information pour la plupart des petites vallées latérales, et de l'autre à cause des variations de détail presque d'une commune à l'autre." Cependant, son article De quelques rites de passage en Savoie paru en 1910 dans la Revue de l'histoire des religions, Vol. 62 devrait apporter quelques éléments à votre recherche.
V
LES FIANÇAILLES ET LE MARIAGE
Les régions pour lesquelles je suis le mieux renseigné grâce aux travaux des savants locaux, à mes enquêtes personnelles et aux communications de M. Cl. Servettaz (deThonon), de M. A. Dumont (de Bonneville), etc., ce sont celles du Chablais et du Faucigny. Pour les autres régions, et surtout pour les vallées latérales de la Tarentaise et de la Maurienne, où l'on peut espérer que se seraient le mieux conservés les vieux usages, on ne sait à peu près rien en dehors de ce qu'en ont dit quelques auteurs du début du dernier siècle ou de généralités sans intérêt.
[...]
L'époque des mariages ne semble réglementée que dans des cas assez rares. Dans les villes, on se marie n'importe quand. Dans les communes rurales de la vallée de Thônes, les trois quarts des mariages ont lieu en avril et en juin ; une jeune fille se croirait déshonorée si elle se mariait en mai « parce que c'est le mois de Marie » ; on ne doit pas non plus se marier en carême, et comme il tombe en février et mars, ces deux mois sont éliminés à leur tour ; pendant l'été et l'automne, les travaux agricoles occupent trop les montagnards, qui doivent compter avec la brièveté des beaux jours aux hautes altitudes; enfin, en hiver « les parents du jeune homme se soucient peu d'avoir à nourrir une bouche de plus jusqu'au printemps » . On peut donc voir ici en action deux facteurs, l'un économique, l'autre chrétien local, et datant de la recrudescence dans nos pays du catholicisme
après les missions de saint François de Sales au XVIIe siècle. Je n'ai pas trouvé de faits qui rappelleraient les périodes primitives de mariage supposées par Westermarck et Havelock Ellis, sinon peut-être la préférence des pêcheurs de Rives, dont il sera parlé plus loin, pour le jour de la Saint- Pierre comme jour du premier rite des fiançailles provisoires.En règle générale, la jeune mariée va habiter dans la maison de ses beaux-parents, et c'est à cette forme normale de mariage que s'appliquent les descriptions qui suivent. Si, au contraire, c'est le marié qui va habiter chez les parents de sa femme, il est un peu méprisé. Cette forme s'appelle « se marier en gendre » à Samoëns, « se marier en bouc 1 » dans l'Albanais, et « se marier en cul de loup » à Bonneville*, j'ignore pourquoi.
[...]
Le dimanche qui précède le mariage, les fiancés ne doivent pas assister à la messe, car c'est alors qu'ils sont criés au prône (Grand Bornand 3 ). A Thônes, les garçons et filles d'honneur allaient ce jour-là avec les fiancés dans une commune voisine dîner à l'auberge ; puis on s'amusait jusqu'au soir et on rentrait souper à la maison paternelle de la fille ; la dépense de cette journée était à la charge des garçons d'honneur».
A Val d'Isère, quelques jours avant le mariage, le fiancé accompagné de la fiancée et de la mère de celle-ci ou d'une de ses plus proches parentes va ressonâ la parentâ, c'est-à-dire reconnaître la parenté. L'expression locale montre bien le caractère rituel primitif de ces visites préliminaires à l'agrégation de deux familles.
La veille du mariage, les fiancés vont renouveler les invitations et porter les cadeaux d'usage, le fiancé aux apparentés de la fiancée et celle-ci aux apparentés du futur ; puis aux garçons et filles invités : aux premiers une cravate, aux filles un bonnet ou une coiffe*. Au Grand Bornand, ce jour-là ou le dimanche qui précède la noce, la fille offre à sa marraine un bonnet ou un chapeau, et à son parrain une chemise ; parrain et marraine embrassent leur filleule et lui donnent une pièce d'argent; ce jour-là aussi la fille donne une robe à sa future belle-mère, fait des cadeaux à d'autres parents, et au curé donne plusieurs mouchoirs 3 . Anciennement ce même
jour semblait plus important : le père de la jeune fille invitait les parents des deux familles ; la fille se cachait, et le futur devait la chercher, aidé dans cette recherche par les personnes de sa suite et au son de la musique du village ; lorsque la fille avait été trouvée, on se mettait à table, mais elle ne s'y présentait que lorsque le repas tirait à sa fin, pour être conduite à l'endroit où l'on dansait*. C'est là un simple rite préliminaire de séparation de la fille d'avec son .milieu familial, et non, comme le voudrait l'ancienne théorie, la survivance d'un mariage par rapt.Le jour fixé pour la noce, d'ordinaire un mardi ou un mercredi, les invités arrivent de bonne heure à la maison de la jeune fille. Autrefois les fiancés communiaient et par suite ne devaient pas participer à la collation préparée. A Chamonix, les garçons d'honneur, avant de rien accepter, explorent toute la maison à la recherche de la fiancée qui s'est cachée avec ses filles d'honneur ; ils engagent avec celles-ci une lutte courtoise et conduisent enfin la fiancée au milieu des invités qui saluent son entrée par des coups de pistolet. Ainsi à Chamonix le rite noté par Verneilh pour la veille du mariage est transposé au matin du grand jour, et le sens que je lui ai assigné de rite de séparation s'y marque mieux par la lutte simulée avec les filles d'honneur, c'est-à-dire avec les représentantes de la société sexuelle primitive de la fiancée. Anciennement, les invités arrivaient les uns portant des branches de laurier, les autres ornés de cocardes ou de rubans. En Chablais, chaque parent ou invité qui arrive, em- brasse la fiancée et lui remet un cadeau obligatoire, une pièce d'un franc ou davantage. Les parents et invités font ensuite honneur à la collation, tandis qu'on habille la mariée. Pendant toutes les allées et venues, la toilette de la fiancée et la collation, le fiancé doit se tenir avec réserve et rester comme perdu dans la foule, peut-être comme le pense Constantin parce que n'étant pas chef de famille dans cette mai- son, il doit montrer qu'il s'efface devant le chef réel. . Toutes les pièces du costume des fiancés doivent être neuves 8 c'est-à-dire pures, au sens magico-religieux. La toilette de la fiancée achevée, on appelle le jeune homme; celte toilette est blanche; la tête nue ou couverte d'un bonnet est ceinte d'une couronne en fleurs naturelles ou artificielles, suivant les localités; de cette couronne tombe un flot de rubans multicolores, la plupart rouges, mais bleus en cas de deuil . De nos jours, la couronne teud à être remplacée par un bouquet de fleurs artificielles et de préférence de fleurs d'oranger. De même, les gros bouquets ou les grosses fleurs que les mariés portaient sur la tête ou le chapeau, au côté ou à la boutonnière, se perdent et sont tout au plus remplacés par des rubans, lesquels eux-mêmes sont de plus en plus délaissés au profit des cocardes. La distribution de tous ces insignes était autrefois plus ou moins réglementée \ On croit communément que bouquets et couronne étaient un signe de virginité; il n'en est rien, ou du moins celte interprétation est très récente ; la couronne a, dans les rites du mariage, le sens d'un signe de royauté temporaire (c'est-à-dire d'une condition sociale anormale et transitoire, étant donnés les personnages en scène), puis le sens d'intronisation, d'investiture, bref de passage d'un état à un autre, passage définitif que marque la forme même de la couronne comme cercle magique. L'autre procédé pour exprimer ce même ensemble d'idées est fourni par la ceinture ou écharpe à longs pans traînant à terre et appelée selon les régions le fian ou le fien, mot dont j'ignore l'étymologie. Le port du fian lie matériellement la fiancée au futur au même titre, et avec la même force, que l'anneau que bénira ensuite le prêtre; aussi la coutume primitive voulait-elle que ce fût au fiancé en personne à placer le ruban autour de la taille et à nouer le fian\ il en coupait ensuite un morceau à l'aide de ciseaux que lui présentait la fille d'honneur, et le fixait solidement au gros bouquet que lui avait donné d'abord sa fiancée, et qu'il portait à l'endroit du cœur ; il devait bien prendre garde à ne pas perdre ce bout de ruban en chemin ; c'eût été un très mauvais présage, que n'aurait pu annuler ou conjurer qu'une perte équivalente faite par la fiancée, celle par exemple de sa jarretière (autre objet en forme de cercle).
Ces échanges de fleurs, le fian et les nœuds sont donc nettement des rites d'union individuelle, extérieurs au christianisme et peut-être antérieurs à lui et même à l'influence romaine : carie christianisme n'a fait qu'adopter, en leur laissant leur sens de magie effective, mais en modifiant la valeur et la théorie de leurs sanctions, les vieux rites du mariage romain. Pendant la collation offerte dans la maison de la jeune fille celle-ci devait, ainsi que sa mère, paraître très affligée et faire semblant de pleurer en s'essuyant sans cesse les yeux. Les hôtes consolaient de leur mieux les parents éplorés, rite manifeste de séparation .
La mariée habillée, on se rend à l'église. L'ordre du cortège varie peu. Le plus souvent de nos jours, la fiancée est en tête, au bras de son père et le marié ferme la marche avec sa belle-mère'. Dans quelques communes, la fiancée est escortée par deux de ses parents, tels que son père et un de ses frères, suivis du fiancé et de ses amis. Après la cérémonie à l'église, la mariée donne le bras, non pas comme dans les villes à son époux, mais au plus proche parent de celui-ci ou à deux proches parents 6 . On ne saurait mieux marquer le caractère social restreint de toute la cérémonie, qui transporte un individu d'une famille dans une autre. Là où l'époux donne le bras à la mariée, elle est tenue de l'autre côté par l'une des plus proches parentes du marié , ce qui indique l'entrée dans une Douvelle société sexuelle restreinte. On remarquera que la mère de l'époux ne joue encore aucun rôle : on ne la voit paraître que vers la fin, dans un ensemble de rites d'une portée définitive.
En Haute Tarentaise, ce sont les deux garçons d'honneur qui conduisent la mariée à l'autel; la cérémonie finie, ils viennent la prendre, la mènent hors de l'église et la présentent au mari en disant : « Voici ta femme » ; après quoi ils doivent la garder toute la journée.
La plupart du temps, les cortèges vont à pied; cependant aux Gets en Chablais on se rendait à l'église achevai si le temps était mauvais; de toute façon, deux chevaux conduits en laisse ouvraient la marche, l'un pour le curé, l'autre pour le vicaire ; au Grand Bornand on allait toujours à cheval ; la plus belle jument était pour la fiancée et le promis chevauchait à son côté, puis venaient les parents et invités, chaque cavalier ayant sa dame en croupe. Il ne semble pas que la chevauchée nuptiale ait été en usage dans beaucoup de localités.
Tout en tête marchait autrefois le ménétrier, muni de son violon; à peine hors de la maison, il jouait sans arrêt une vieille chanson aujourd'hui oubliée :
Pleura, pleura, ma poura epeusa,
Pleura, pleura, malheureusa, • ;
Dé coups de pi, dé coups de ju, dé coups de poing,
T'en are bin.
« Pleure, pleure, pauvre épouse; pleure, pleure, pauvre malheu-
reuse; des coups de pied, des coups d'œil, des coups de poing, tu en
auras bien »'. »
Le ménétrier au violon est remplacé de nos jours par un quelconque joueur d'accordéon qui ressasse des danses banales.
- Quant à la coutume, aujourd'hui en voie de disparition, de tirer, au départ et au retour du cortège, des boîtes (sortes de petits mortiers), des pétards, des coups de fusil et de pistolet, elle n'a, en dehors de son caractère de réjouissance, d'autre but que de faire connaître à la société générale, commune et vallée, un événement intéressant deux familles et entraînant, sinon une rupture d'équilibre, du moins un nouvel arrangement de rapports déterminés entre certains individus et groupements.
[...]
Après la bénédiction religieuse, le père du jeune homme conduit l'épousée d'abord au banc ou à la place dans l'église de sa nouvelle famille, puis au cimetière sur les tombes de celle-ci (Chamonix, Saint-Paul en Chablais). Aux Gets et dans d'autres communes du Chablais, le lendemain du mariage, tous les participants à la noce s'habillent de deuil et vont assister à un service funèbre pour le repos des âmes défuntes des deux familles \ Ces deux rites sont d'une interprétation aisée. Le premier a pour objet d'agréger l'épouse à sa nouvelle famille en bloc, et le second marque la jonction de deux collectivités restreintes.
Le rite suivant qui s'exécutait à la Chapelle d'Abondance en Chablais, il y a une cinquantaine d'années, n'est au contraire qu'individuel : aussitôt après la messe, on jetait sur les épaules des nouveaux mariés le drap mortuaire, el l'on entonnait le Libéra me... s A défaut de renseignements plus complets, il est difficile de décider si ce rite n'a pas été institué anciennement en commémoration de quelque événement local, par exemple à la suite d'une épidémie; il pourrait être aussi une sorte de rite de compensation destiné à écarter les influences malignes. Cependant, l'interprétation qui me semble la plus plausible serait qu'il s'agit d'un rite de mort et de renaissance du même ordre que ceux que j'ai énumérés ailleurs ; les rites de ce genre dans les cérémonies du mariage sont d'ailleurs d'une certaine rareté.
A Messery, en sortant de l'église, on jette aux enfants assemblés des caramels, des bonbons plies dans du papier, et on continue ces distributions tout le long delà roule. A première vue, ce rite semble n'être qu'un transfert au mariage du rite analogue bien connu du baptême. Mais le nom du rite à Messery et dans la région montre que cette forme locale est récente ; on l'appelle Tri la pirra à Barnada, tirer la pierre à Bernarde. Ce nom de Pierre à Bernard on à Bernarde désigne de l'autre côté du lac de Genève, en pays de Vaud : 1° un rite de barrage dont je reparlerai plus loin ; 2° un rite d'aspersion : quand la nouvelle épousée arrive devant la porte de son futur domicile, une vieille femme surnommée pour la circonstance la Bernada s'avance, portant un plat de grains et un trousseau de clefs ; la vieille jette sur la mariée trois poignées de froment et lui attache le trousseau
de clefs ; d'autre part, la fête de l'été des montagnes aux chalets d'Aï s'appelle la Bernausa, et comporte une distribution, à tous les visiteurs, de crème et de séré. Le même rite est signalé, mais sans nom spécial, comme ayant existé anciennement en Savoie propre : la jeune mariée est amenée à son futur domicile par son beau-père et accueillie par sa belle-mère ; à ce moment les dragées, bonbons, noix et noisettes pleuvent sur elle et sur l'assistance. En Chablais, après la cérémonie à l'église, tout le cortège, mais plus spécialement les jeunes époux, sont assaillis d'une pluie de dragées et de grains d'anis, et à Saint-Gingolph d'une pluie abondante de froment. Il est évident que ces aspersions constituent un rite de fécondation du type le plus simple et le plus universel....
___________
1) Parce qu'on mène le bouc à la chèvre, au lieu qu'on mène la vache au taureau.
Nous vous laissons consulter en ligne la suite de ces extraits qui commencent p. 19 du livre et 23 du format pdf.
Nous avons également parcouru Sept siècles de mariage en pays gavot / Folklore de France ; No 227, 1991, p. 9-14 mais cet article ne porte pas sur les questions qui vous intéressent.
Au-delà de l'époque précise que vous spécifier, les documents suivants pourraient vous plaire :
Métral Henri. Mœurs et coutumes de Passy (Haute-Savoie) au XIXe siècle. In:Le Monde alpin et rhodanien. Revue régionale d'ethnologie, n°3-4/1976. pp. 137-144 :
Une fille pour avoir la chance de faire un bon mariage, devait savoir tiller le chanvre et bien filer, aussi, à sa noce, les parents lui offraient un fuseau ou un rouet pour qu'elle puisse recevoir un bon accuei chez son mari. p. 139
Paysans des Alpes : les communautés montagnardes au Moyen Age / Nicolas Carrier, Fabrice Mouthon, 2014
Bonne journée.