Question d'origine :
Bonjour,
J'ai visité le chateau de Gizeux (aux confins de l'Anjou et de la Touraine).Sur la tour d'honneur , j'ai vu un blason ,décrit comme les "armoiries des Coutades".Ce blason représente une aigle. Les Coutades étaient originaire de Narbonne , puis ils sont venus en Touraine. Je n'ai vu ce blason que sur la tour. L'autre blason est celui des Du Bellay.
Je pensais que les personnes faisant figurer des aigles sur leurs blasons étaient originaires des contrées germaniques Mais mes connaissances en héraldique sont limitées...Pouvez-vous me donner une explication ?
Merci ! Bluduck2
Réponse du Guichet
L'aigle (toujours au féminin) est une figure héraldique très répandue et très ancienne, qui remonte aux Hittites fut très utilisée dans la Rome antique. Si vous la rattachez instictivement au monde germanique, c'est peut-être en raison de sa reprise par les empires romain germanique et austro-hongrois à partir du XVè siècle. Mais elle n'est en aucun cas un indicateur d'origine.
Bonjour,
La page Wikipédia consacrée à la famille Contades montre en effet un blason D'or à l'aigle éployé d'azur, becqué de gueules :
Le blason auquel vous faites allusion est d'ailleurs visible sur le site du château de Gizeux.
Les ouvrages sur l'héraldique que nous avons consultés sont unanimes à considérer l'aigle comme une des figures les plus répandues et les plus anciennes :
L'aigle d'or est connue comme symbole dans plusieurs empires occidentaux dont parmi les plus mémorables : Rome, l'Allemagne, l'Autriche, la Russie, etc. Les aigles figuraient au sommet de leurs enseignes ou de leurs étendards. Posées sur fonds d'azur ells constituèrent des sortes d'insignes propres à de grands personnages : CHARLEMAGNE et NAPOLÉON I notamment. On appelle "IMPÉRIALE" l'aigle BICÉPHALE toujours (?) représentée EPLOYÉE.
D'origine hittite, elle se répandit en Asie Mineure, en Egypte, en Grèce. On la trouve aussi au Mexique. C'est Constantin le Grand qui l'adopta en Occident pour symboliser l'unité d'un pouvoir réparti entre Rome et Constantinople, entre l'Orient et l'Occident. Les Turcs Seldjoukides en firent également usage. Charlemagne n'utilisa jamais l'aigle éployée monocéphale. C'est l'empereur Sigismond qui, en 1437, reprit l'usage de l'aigle à deux têtes pour affirmer sa PRÉTENTION au pouvoir suprême. Il convient de noter que, jusqu'à leur couronnement, les rois des Romains ne portaient que l'aigle éployée à une tête. L'aigle bicéphale demeure le symbole de la double monarchie austro-hongroise, pâle héritière du Saint Empire Romain Germanique et celui de l'Empire Russe s'étendant sur l'Europe et l'Asie. De nombreuses familles nobles portent, en CHEF les armes du Saint Empire de même que la ville d'Amiens.
(Source : Dictionnaire héraldique Georges de Crayencour, préface de Michel Pastoureau)
Voici également ce qu'en dit l'ouvrage Les blasons : art et langage héraldiques de Pierre Jaillard ; préface Michel Pastoureau :
L'aigle est un des animaux les plus fréquents en héraldique, après le lion et avec la merlette. Son nom est toujours féminin, comme celui de l'étendard ou de l'enseigne militaire représentant un aigle, notamment dans l'armée romaine. Sa représentation très stylisée indique une grande antiquité : le corps et la queue posés de face en pal, la tête normalement tournée, le vol ouvert (c'est-à-dire les deux ailes ouvertes, une seule aile étant donc appelée un demi-vol), normalement abaissé, les membres tendus de côté, les serres écartées. De fait, rendue bicéphale, et dotée alors de deux têtes adossées, l'aigle reproduit fidèlement un symbole d'autorité et de puissance déjà en usage chez les Hittites au IIIè millénaire avant Jésus-Christ. L'adjectif éployée désigne un vol étendu, les rémiges en éventail.
Le site blason-armoiries.org propose une page intéressante consacrée à l'aigle, citant de nombreux ouvrages, dont le Dictionnaire archéologique et explicatif de la science du blason : origine des emblèmes et des symboles héraldiques d'Alphonse Comte O'Kelly de Galivay, lisible en ligne sur Numelyo, qui nous offre un aperçu historique de l'histoire de l'aigle héraldique, expliquant notamment que l'aigle bicéphale a remplacé la monocéphale sur les armes de l'Empire d'occident vers 1345 :
Ce seraient des princes flamands qui en auraient emprunté l'usage, pendant la dernière croisade, aux monnaies ou aux étendards des Turcomans, alors maîtres de l'Asie Mineure. Ceux-ci l'avaient adoptée comme symbole de toute puissance, peut-être en souvenir du Hamca, oiseau fabuleux des traditions musulmanes, qui enlève le buffle et l'éléphant comme le milan enlève la souris. « Ainsi, fait observer M. Perrot, dans son livre : L'Art dans l'Antiquité, se serait transporté dans notre Europe moderne un symbole appartenant primitivement à un culte asiatique de la plus haute antiquité ; et, par un jeu singulier de la fortune, la race turque s'est vue, à Belgrade et à Lépante, interdire l'entrée de l'Occident par cet Aigle qui l'avait gardée triomphalement sur les rives de l'Euphrate et du Bosphore. »
Peut-être les Turcomans avaient-ils eux-mêmes emprunté ce symbole aux sculptures taillées par leurs mystérieux devanciers sur les rochers d'Euiuk et de Jasili-Kaia. Mais il est également possible qu'ils l'aient reçu par l'intermédiaire des Perses. On rencontre, en effet, dans la collection de M. de Gobineau, une intaille qu'il fait remonter à l'époque des Arsacides, et où l'on trouve gravé le type traditionnel de l'Aigle à deux têtes, tenant, comme à Euiuk, un lièvre dans chaque serre. Dans cette intaille, l'Aigle a le vol abaissé, tandis que dans le bas-relief de l'Asie Mineure, l'Aigle bicéphale a les ailes éployées.
Les Grecs qui adoptèrent l'image de l'Aigle tenant un serpent entre les serres comme symbole de victoire, remplacèrent quelquefois le serpent par un lièvre, ce qui rentrait dans les données bettéennes. L'Inde, par contre, semble avoir accepté sans hésitation le type bicéphale que lui transmit probablement la Perse. On y trouve l'Aigle à deux têtes sur d'anciennes monnaies où il tient un éléphant, au lieu d'un lièvre, non plus seulement dans chaque serre, mais aussi dans chaque bec. Moor y voyait une représentation du Garouda, l'Aigle solaire, monture de Vishnou ; en tout cas, on se rapproche singulièrement ici du Hamca des Turcs ; peut-être même ceux-ci ont-ils emprunté leur légende sur l'oiseau fabuleux à quelque représentation de ce genre, où le rôle du lièvre était tenu par un éléphant ou un buffle.
L'Aigle à deux têtes apparaît en 1217 sur les monnaies turcomanes de la Palestine. En 1228 a lieu l'expédition de Frédéric ii. Or, on retrouve le symbole sur des monnaies d'Othon, comte de Gueldre, comte de Looz, et de Robert de Thourotte, évêque de Liège, à partir du second tiers du xiiie siècle. (Comte Goblet d'Alviella, président de la Société d'archéologie de Bruxelles. — La Migration des symboles ; Paris, 1891).
D'après les sources à notre portée, il est donc très douteux que l'utilisation d'une figure comme l'aigle soit, en héraldique, d'une quelconque utilité pour déterminer l'origine d'une famille, a fortiori dans le cas d'un symbole aussi ancien et populaire. Le choix d'une figure tient souvent plus aux qualités prêtées au référent de la figure, sans autre souci de cohérence... figures et couleurs sont également souvent à mettre au compte d'effets de mode ou d'une possible opposition au symbole du voisin, comme le suggère la Société française d'héraldique et de sigillographie :
L’examen de la fréquence des couleurs comme le rouge (gueules), qui fut la couleur préférée des populations médiévales, a peu à peu été supplanté dans ce rôle par le bleu (azur) entre le XVe et le XVIIIe siècle – bleu qui demeure aujourd’hui la couleur préférée de la grande majorité des Européens. De la même façon, l’analyse de la fréquence des figures a permis de souligner plusieurs habitudes dépassant de beaucoup le seul cadre du blason. Citons pour exemples l’opposition politique entre l’aigle et le lion dans l’Europe des XIIe et XIIIe siècle, l’ancien rôle de roi des animaux tenu par l’ours dans toute l’Europe du Nord, le « snobisme » dans le choix de certaines figures aux XVIIe et XVIIIe siècles (lévrier, léopard, fleur de lis, licorne).
Bonne journée.