Question d'origine :
Depuis quand les français portent barbe, moustache et dans quels milieux socio-professionnels ?
Merci pour votre travail
Réponse du Guichet
Au gré des époques, barbes et moustaches apparaissent puis disparaissent mais, dans un temps long, elles restent un marqueur social d'autorité et de puissance.
Bonjour,
Dans l’ouvrage Barbes et moustaches - Comment les tailler au poil !, Sarah Daniel Hamizi (2013) dresse un historique du port de la barbe et de la moustache : adulées ou au contraire interdites, barbes et moustaches apparaissent et disparaissent au gré des périodes et des injonctions émanant des «autorités». Elle mentionne ainsi :
Dans la très haute Antiquité, bien des siècles avant notre ère, la barbe est très souvent un attribut divin. Elle est donc réservée aux personnages les plus illustres. C’était le cas en Mésopotamie, où elle faisait partie des emblèmes de la royauté, et en Egypte, où les pharaons, femmes inclues, portaient une barbe postiche longue et mince. A une période plus récente, les grecs y voient encore un signe distinctif réservé à la noblesse et aux guerriers, tandis que leurs dieux et leurs héros sont eux aussi souvent représentés avec une barbe. Ce n’est qu’avec les romains que les choses commencent à changer, et que le port de la barbe devient plus «démocratique». Selon les périodes, Rome aima ou dédaigna les visages poilus: habituelle jusqu’au Ve av. J-C., la barbe est ensuite souvent rasée, jusqu’à ce que le visage glabre, épilé, s’impose comme la norme … après l’invasion de la Gaule par les Romains, les peuples vaincus d’Europe ont abandonné leurs impressionnantes barbes et moustaches, faisant ainsi allégeance à l’envahisseur. Symbole de force et de liberté, la barbe était rasée ou coupée voire interdite, chez ceux que l’on voulait punir (… ) Clovis, premier roi des Francs, rétablit l’usage de la barbe courte, puis Charlemagne, baptisé «l’empereur à la barbe fleurie» (entendez «fournie»), essayera tant bien que mal d’imposer les moustaches à ses sujets (…) Mais, jusqu’à la Renaissance, la tendance dominante est plutôt de se raser.
[Au XVIe siècle] Les rois de France n’hésitent plus à arborer des barbes et des moustaches plus ou moins longues: François Ier, Charles IX, Henri IV, Louis XIII …
En outre, fréquemment sollicitées sur la question des barbes, des moustaches et plus généralement des poils, nous nous servirons de certaines de nos réponses pour vous apporter d'autres éléments d’informations toutes aussi intéressants.
Dans Comment est perçu le port de la barbe dans les différentes cultures ? nous citions l’ouvrage de Marie-France Auzépy, Histoire du poil, qui revenait sur la question insolite mais non moins intéressante de la barbe et de la moustache chez les présidents :
Tous nos présidents de la République portaient barbe et moustache avant la guerre de 1914, puis, entre les deux guerres, ils ont abandonné la barbe pour ne plus porter que la moustache, et, depuis 1945, ils sont obstinément imberbes, de même que leurs Premiers ministres. [...] Nicolas Sarkozy n'a-t-il pas dit aux journalistes qui le harcelaient pour savoir s'il allait être de nouveau candidat à la présidentielle : "Vous le verrez bien à mon menton" ? S'il apparaissait rasé de près, cela signifiait qu'il entrait dans la course politique. Impossible donc de se présenter à l'élection présidentielle si on n'était pas rasé. Certes, Emmanuel Macron ne déroge pas à la règle et présente aux caméras un beau menton lisse, mais voilà que son Premier ministre est barbu ! C'est de fait une première. Qui n'apprend rien sur Edouard Philippe mais en dit long sur l'évolution de la société. [...] Le Premier ministre peut montrer qu'il est moderne - ce qui convient à la ligne politique du jeune président - et que, à cette haute fonction, il garde son identité, en tant qu'individu - ce qui sied bien aussi à la nouvelle idéologie de la compétence de la société civile versus l'ankylose de l’État.
(…)
A la même époque, dans un article de l'Obs, l'ethnologue Christian Bromberger, auteur du livre Le Sens du poil, renchérit en disant que dans le monde politique la barbe courte et bien taillée est surtout portée par "des libéraux", "de centre droit", qui "se retrouvent dans l'image du stat-upper dynamique", même si un industriel du rasage nuance ses propos en affirmant que dans la société la barbe est très distribuée... puisque jusqu'à 92% des 25-34 ans la portaient
En 2017, vous nous aviez interrogées sur la barbe et la moustache et voilà ce que nous avions répondu à l’interrogation suivante :
Quand l'interdiction a t-elle été levée ? Quand le port de la barbe n'a plus été considérée comme vulgaire ?
« Mais tous les français ne sont pas égaux devant la barbe et la moustache. Les lois de la monarchie de Juillet qui survivront encore sous le Second Empire, interdisent aux avocats, aux notaires, aux comédiens et aux gens de service de porter barbe ou moustache. Il s’agit de raisons purement hygiéniques lorsqu’il s’agit des gens de maison, mais au-delà, apparait bien la volonté de distinguer certains types de professions. » in Les poils, histoires et bizarreries de Martin Monestier.Pareillement, dans Un idéal masculin, qui ne couvre malheureusement pas le XIXe siècle, on peut cependant lire : « Les avocats militent entre 1844 et 1868 pour pouvoir porter la moustache dans des tribunaux où elle est proscrite. »
En 2022, vous nous avez posé une question sur la barbe et les cheveux courts ; notre réponse comprend des renseignements qui devraient vous intéresser.
Pour revenir sur les catégories socioprofessionnelles, en 2014, L’ifop a lancé une Enquête sur les différentes formes de pilosité faciale masculin. Cette enquête révèle :
A peine 4% des hommes âgés 18 ans et plus portent habituellement une moustache ;
On recense en revanche 40% de barbus, dont 24% d'hommes portant une barbe de trois jours, 8%
une barbe de dix jours et 6% une barbe complète (courte ou longue) ;La confrontation de ces résultats avec les rares données antérieures confirme un retour en forcede la barbe : la proportion de barbus en France étant passée de 33% à 40% en moins de 2 ans ...
– 1 –Le retour du poil, un marqueur social et générationnel
Les résultats de cette enquête confirment qu’en 2016, la barbe et la moustache sont des aspects incontournables de la mode masculine. Toutefois, l’apparence pileuse étant toujours un puissant marqueur de différenciation, ce retour en force du poil est un phénomène qui est loin de toucher toutes les générations et les classes sociales avec la même ampleur...
Le boom du poil : un phénomène difficile à évaluer Evolution de la proportion de Français portant « la barbe »
entre juillet 2014 et octobre 2016
Disparue après la première guerre mondiale avant de réapparaître chez les hippies des années 1960/70 comme un symbole du refus de la norme et de l’ordre établi, la barbe était devenue quasimentdésuète dans les années 1990, notamment avec la vogue des métrosexuels qui imposa le modèle de l’homme rasé de près à la virilité discrète. Après un début de XXme siècle très glabre, la barbe est revenue en force dans les dernières années de la décennie 2000, portée par la mode des hipsters qui, de Brooklyn à Berlin en passant par Paris, en firent un élément caractéristique de leur image.
(...)si on confronte les résultats de cette étude avec les seules données disponibles, on note une indéniable progression du nombre de barbus en France : leur proportion étant passée de 33% en 2014 à 40% en 2016, soit une hausse de 7 points en 2 ans.
La barbe, un marqueur de différenciation sociale (...) Il n’en reste pas moins que ce retour en force de la barbe est loin de toucher toutes les générations et les classes sociales avec la même ampleur.
En effet, le port de la barbe apparaît étroitement corrélé à l’âge des personnes interrogées : la proportion de barbus étant deux fois plus forte parmi les jeunes de moins de 35 ans (52%) que chez les seniors de plus de 60 ans (24%). Et c'est au sein des trentenaires âgés de 25 à 34 ans que le port de la barbe est le plus répandu (55%). Toutefois, il s’étend aussi à la génération suivante (50% chez les 35-50 ans), signe que le port de la barbe n’est pas ou plus l’apanage de la jeunesse.
On observe aussi que le port de la barbe concerne avant tout les catégories supérieures du salariat, en premier lieu desquels les cadres et professions intellectuelles supérieures (54%) comme les enseignants, les journalistes ou les artistes.A l’inverse, il est plus faible dans les milieux populaires (44%), sans doute soucieux de ne pas afficher ce qui pourrait être perçu comme un signe de laisser-aller les faisant paraître pour des personnes défavorisées (ex : SDF) ou désœuvrées (ex : chômeurs) au point d’en négliger leur hygiène. De même, le port de la barbe est faible chez les dirigeants d'entreprises (40%), par nature plus réticents à l'égard d'un attribut dont le caractère subversif ou l'image de laisser-aller peut s'avérer antinomique avec leurs fonctions de représentation et l'image de respectabilité qui y est associée
Par ailleurs, France Culture consacre une émission sur Le pouvoir social de la moustache au cours de laquelle il est décrit :
On la porte désormais comme un attribut décalé, surtout lors du mois du Movember. Mais par le passé, la moustache était un symbole de domination sociale.
Instrument de virilité, certes. Mais la moustache fut, à partir du XIXe siècle, dotée d’un autre sens symbolique, celui d’affirmer sa position sociale.
“L’homme qui est en position de force, parce qu’il est chef de famille, parce qu’il est chef d’entreprise, parce qu’il est bourgeois, aristocrate, porte une moustache pour montrer sa position dominante”, résume Lise Antunes Simoes, romancière historique passionnée du XIXe siècle. En France, elle fait figure d’exception : Henri III l’arbore fine, comme Louis XIII puis Louis XIV.Le XIXe, siècle de la moustache
Mais au XIXe siècle, tout va changer. Si les Vikings échevelés, les Gaulois hirsutes ou les princes italiens barbus avaient porté le poil comme attribut de leur masculinité, la moustache seule apparaît sur le tard.
C’est Louis-Napoléon Bonaparte, au pouvoir à partir de 1848, qui la réhabilite. Elle se diffuse au reste de la société par le corps militaire, l’aristocratie et la bourgeoisie. Elle était déjà imposée chez les militaires depuis 1832, et sa taille réglementée. Elle sera tour à tour obligatoire ou pas, au gré des va-et-vient réglementaires du XIXe. Sa présence était perçue comme un moyen pour les soldats et gendarmes de faire autorité.
À l’inverse, elle est interdite dans d’autres corps de métiers.
“C’était le cas pour tous les métiers de service, comme les domestiques, explique Lise Antunes Simoes. C’était une manière de montrer leur rang social par rapport à leur maître. C’est le maître qui porte la moustache et celui qui le sert n’en porte pas”. L’appellation infantilisante de “garçon de café” prend alors tout son sens.Une grève de la moustache
Les garçons de café se mettront d’ailleurs en grève en 1907 pour réclamer un jour de congé... et le droit de porter la moustache, qu’ils finissent par obtenir.
Épaisse mais entretenue, elle est le signe d’une animalité contrôlée. Elle habille tous les visages connus de la fin du XIXe siècle, de Nadar à Aristide Briand en passant par Maupassant, qui lui consacre d’ailleurs un éloge en 1883, dans une lettre fictive :
Vraiment, un homme sans moustache n’est plus un homme (...) La moustache, ô la moustache ! est indispensable à une physionomie virile. Guy de Maupassant, “La Moustache”, Gil Blas, 31 juillet 1883
Elle est arborée fièrement par les soldats de la Première guerre mondiale, certains boxeurs, les coureurs des premiers Tours de France.
“À ce moment-là, tous les hommes de pouvoir portent des grosses moustaches et on se retrouve avec des Staline, avec des Hitler, des dictateurs sud-américains qui portent des grosses moustaches proéminentes.”
Connotée négativement, elle commence à décliner. Elle se fait plus rare, perd sa symbolique et change de forme : dans les années 1940, l’acteur Clark Gable la porte en version “stylo”, tandis qu’Errol Flynn la porte en “trait de crayon”.
Elle devient ensuite un signe de marginalité, mêlée au bouc des beatniks ou à la barbe des bikers dans les années 1970. Puis la “moustache chevron” est reprise comme marqueur d’originalité dans les années 1980, par Freddie Mercury ou Tom Selleck dans “Magnum”. Démodée, elle est reprise par la fondation Movember depuis 2003, pour attirer l’attention sur des maladies masculines.
Pour finir, vous pourriez jeter un coup d’œil au catalogue d’exposition (que nous ne possédons pas), « Des cheveux et des poils », exposition qui a été présentée au musée des Arts décoratifs à Paris du 5 avril au 17 septembre 2023.
Enfin, nous ne pouvons résister à vous partager le fruit de nos recherches : les jeux olympiques des moustaches et des barbes ... il y a de beaux palmarès !
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