Quand Pierre-Daniel Huet parle-t-il des Martegalles dans son Traité de l'origine des romans ?
Question d'origine :
Bonjour,
J'aimerais connaître à partir de quelle édition Pierre-Daniel Huet développe quelques lignes sur les "Martegalles" dans son Traité de l'origine des romans.
"Martegalles, que l'on a ridiculement appellées Martingalles ; & d'où selon ma conjecture, etc."
Je trouve ce développement p. 159 dans l'édition Jean Mariette 1711, présentée comme la "huitiéme édition", mais il est absent de l'édition princeps (parue en préface de La Zaïde en 1670), absent de la seconde édition (1678), comme de la sixième (1685) ou septième (1693).
Le problème, c'est que Gilles Ménage cite la phrase étendue de l'édition de 1711 dans un ouvrage de 1685 (Le Origini Della Lingua Italiana, p. 513), en affirmant l'avoir trouvé dans la dernière édition. Me voilà donc perdu.
Avez-vous une suggestion de recherche ?
Je vous remercie par avance.
Réponse du Guichet
Il semble que Gilles Ménage cite un exemplaire complété par des notes manuscrites, ajoutées par Pierre-Daniel Huet lui-même entre 1678 et 1685. Ces annotations ne seront imprimées que plus tard, dans l'édition de 1711.
Bonjour,
Vous indiquez une variante parue entre deux éditions du Traité sur l’origine des romans de Pierre-Daniel Huet. L’ouvrage a en effet connu une histoire éditoriale mouvementée, du vivant de Huet qui n’a cessé de le retoucher et de l’augmenter. Concernant le passage sur lequel vous vous interrogez, on relève au moins 3 variantes. Avant de nous pencher sur le passage précis que vous citez, il convient de rappeler les différentes éditions retrouvées de cet ouvrage.
Pour cela, je m’appuie sur l’édition critique de Françoise Gégou: Lettre-traité sur l’origine des romans de Pierre-Daniel Huet, parue en 1971, qui donne une liste de 8 éditions au XVIIe siècle et de 10 éditions au XVIIIe sièce. Je ne cite ici que les 11 premières jusqu’à 1711.
- Edition séparée, entre 1666 et 1669, opuscule introuvable aujourd’hui ;
- En tête du premier tome de Zayde, édition de 1669, mentionnée dans un catalogue de la librairie Lucien Gougy (on sait que la première partie porte un achevé d’imprimer au 20 novembre 1669) ;
- Inséré dans Zayde, édition princeps complète, Paris: Claude Barbin, 1670-71 ;
- Inséré dans Zayde, édition d’Amsterdam: Abraham Wolfgang, 1671 ;
- Edition séparée, Paris: Sébastien Mabre-Cramoisy, 1678 (indiquée «seconde édition» car, selon Mme. Gégou, seconde en édition séparée après celle de 1666) ;
- Edition séparée, Paris: Thomas Moette, 1685 (indiqué «sixième édition», ce qui semble juste si on compte toutes les éditions précédentes, séparées de Zayde ou non) ;
- Edition séparée, Paris: Thomas Moette, 1693 (indiqué «septième édition»)
- Puis dans Zayde, 1699 ;
- Dans Zayde, 1700 ;
- Dans Zayde, 1705 ;
- Edition séparée, Paris: Jean Mariette, 1711.
Selon les éditions, les textes du passage que cite Ménage diffèrent.
- La plus courte, et vraisemblablement la première indique :
«débitant leurs Romans, & leurs Fabliaux composez en langage Romain».
On la trouve dans l’édition de Zayde de 1670, p. 70.
- La seconde développe :
«débitant leurs romans et fabliaux, leurs tragédies, comédies et pastorales, leurs chants, chansons, et chantarels, leurs sons et sonnets, leurs lais et virelais, leurs mots et motets avec les gloses, leurs soulas, sextines et sirventés, leurs départs, moraux et tensons, leurs ballades, aubades et martegalles; & plusieurs autres sortes d’ouvrages, composez en langage romain…»
On la trouve dès l’édition de 1678, et elle est reprise dans les éditions de 1685 et 1693 (indiquées sixième et septième édition), p. 134.
- La dernière reprend la seconde mais ajoute le commentaire sur l’origine du mot madrigal :
«débitant leurs romans et fabliaux, […] leurs ballades, aubades et martegalles, & d’où selon ma conjecture, s’est formé le mot de Madrigal; terme dont l’origine a esté jusqu’icy plus inconnuë que celle du Nil. Et ces Martegalles, & Madrigaux, ont pris leur nom des Martegaux, peuples montagnards de ¨Provence: de mesme que les Gavots, peuples montagnards du païs de Gap, ont donné le nom à cette dance, que nous appellons Gavotte.»
On la trouve en effet pour la première fois dans l’édition de 1711 (indiqué huitième édition), p. 159-160.
- Le livre de Gilles Ménage, Le origini della lingua italiana, est paru à Paris en 1685. Page 513, dans les ajouts, il cite la troisième variante du texte de Pierre-Daniel Huet in extenso pour compléter sa définition de « Madrigal ». Il indique qu’il trouve ce texte p. 124 de la dernière édition de son Traité des romans. On retrouvera exactement le même texte, en français, dans son Dictionnaire etymologique, paru en 1694.
Le passage se trouve en effet p. 124-125 dans l’édition de 1678 et dans l’édition de 1685. Nous l’avons vu toutefois, ces éditions ont la seconde variante, mais ne donne pas le passage sur l’étymologie de Madrigal.
Gilles Ménage indique ce passage dans la partie «Giunta» de son livre, c’est-à-dire dans une partie rédigée une fois l’impression du livre débutée voire terminée. Il est donc probable qu’il cite l’édition qui vient de sortir, à savoir celle de 1685, et non pas celle de 1678, quoiqu'il soit difficile d'être complètement affirmatif sur le sujet. Nous avons vu que le passage en question débute bien page 124.
Mais alors, comment se fait-il qu’il puisse citer une partie du texte dans une version qui n’est pas parue en 1685 ? Le problème demeure bien entier.
A partir de là, on peut imaginer deux hypothèses :
- Gilles Ménage a eu accès à un autre tirage qui avait déjà ce complément étymologique. Il est toujours possible qu’une édition en français du Traité des romans ait disparu, ou une édition de Zaïde avec la préface. Toutefois, étant donné le sujet, cela reste assez peu probable.
- La seconde hypothèse, et sans doute plus probable, serait que Gilles Ménage ait eu accès à une version annotée de Pierre-Daniel Huet.
En effet, Gilles Ménage et Pierre-Daniel Huet se connaissaient, s’appréciaient et entretenaient une correspondance. Il est probable qu’ils se tenaient au courant de leurs travaux respectifs. Or, on sait que Huet annotait beaucoup son Traité des romans. Françoise Gégou parle ainsi des «légions de notes manuscrites qu’il ajouta sans cesse à son ouvrage». De même, dans l’édition de 1711, le libraire indique dans sa préface : «on m’en a fait avoir un exemplaire chargé de beaucoup de corrections & d’additions, semées en differens endroits de l’Ouvrage, & toutes de la main de l’illustre Auteur.». Ces ouvrages annotés circulaient au moins dans le cercle proche de Huet. Ils pouvaient être sinon prêtés, du moins consultés voire copiés, sous forme manuscrites, avec les ajouts réalisés par Huet. C’est sans doute à un de ces exemplaires qu’a pu consulter Gilles Ménage.
Concernant l’étymologie de «Madrigal», on a la preuve que Huet avait déjà fait l’hypothèse d’un lien avec «Martegalles» dans des notes ajoutés à son exemplaire de l’édition de 1678. Celui-ci, comme toute sa bibliothèque et ses archives, est conservé à la BnF. Il est disponible sur Gallica.
L’exemplaire est interfolié et, après le mot «Martegalles» p. 125, Huet ajoute à la main :
«(ainsi nommées des Martegaux, peuples montagnards de Provence; d’ou selon ma conjecture, nous est venu le nom de Madrigaux: de mesme que les Gavots, peuples montagnards du paÿs de Gap, ont donné le nom a cette espece de dance que nous appellons Gavotte.)»
Ce n’est pas le texte exact cité par Ménage, ni celui de l’édition de 1711, aussi je ferais plutôt l’hypothèse que Ménage cite une note écrite sur l’édition de 1685 que nous n'avons pas pu consulter.
En espérant que ces recherches vous seront utiles.
Complément(s) de réponse
PS : une troisième hypothèse et piste de recherche serait que Ménage cite une édition en langue étrangère, que nous n'avons pas consulté.