Qu'en est-il de la propriété intellectuelle lors de la création d'image sous IA ?
Question d'origine :
Quelle est la limite juridique de la propriété intellectuelle lors de la création d'image via Midjourney/Dall-E/stable diffusion ou autres générateurs d'images sous IA ? Qu'en est il de la propriété du créateur via ces services qui utilisent la propriété d'autres créateurs à l'origine?
Réponse du Guichet
L'émergence et l'essor de l'intelligence artificielle bouleversent les questions du droit d'auteur. Pour l'heure, le sujet n'a pas encore été tranché et fait l'objet de vifs débats.
Bonjour,
Comme nous l’indiquions dans une réponse précédente portant sur Suis je propriétaire des contenus mis sur mon site ?, que nous vous invitons à consulter dans son intégralité, l’intelligence artificielle suscite de nombreux débats parmi lesquels le droit d’auteur. En effet l’essor de la production de contenus par l’intelligence artificielle ébranle la législation actuelle qui doit être repensée. Pour l’heure, la question ne semble pas être résolue et divise tous les acteurs.
Lors d’une interview, « Intelligence artificielle : «Le droit d’auteur protège une création précise, mais pas une manière de créer », publiée dans Liberation le 31 décembr.e 2022, la professeure de droit Alexandra Bensamoun revient sur les problèmes posés par l’usage de l’intelligence artificielle dans la création artistique :
L’utilisation des technologies d’IA dans la création artistique pose deux types de questions, qui suivent d’ailleurs le processus créatif. D’abord, en amont, on peut s’interroger sur le sort des œuvres qui vont nourrir l’IA. En effet, les IA génératives utilisent souvent la technologie du «machine learning» (ou apprentissage-machine). Il s’agit d’une technologie qui imite les réseaux de neurones ; le raisonnement y est inductif, fondé sur l’expérience acquise grâce à l’ingestion de contenus qui peuvent être des œuvres protégées par le droit d’auteur ou les droits voisins. Ensuite, en aval, se pose évidemment la question du statut de l’output, la création artistique «sortante». Est-elle une œuvre de l’esprit, à ce titre protégée par le droit d’auteur ?
Elle explique alors que, sauf exception, on ne peut pas librement utiliser des contenus protégés pour «nourrir» une IA :
Le droit européen a imposé dans sa dernière directive sur la matière – 2019 /790, dite «Digital Single Market», du 17 avril 2019) – deux exceptions de text and data-mining [fouille de textes et de données, soit le processus suivi par les IA pour extraire des connaissances ndlr], où l’application du droit est suspendue : la première est exclusivement au bénéfice de la recherche académique, la seconde est très large, pour tous les usages (y compris commerciaux) ; elle correspond justement à l’hypothèse décrite d’apprentissage [par les intelligences artificielles]. Mais son champ d’application très large a été contrebalancé par une possibilité pour les titulaires de droits d’«opt-out» [avoir le choix de retirer ses œuvres]. Ces derniers peuvent, via un procédé lisible par la machine, signifier qu’ils ne souhaitent pas que leurs contenus soient minés
(…)
On voit fleurir dans différents secteurs artistiques des créations «à la manière de», comme empruntant le style d’un auteur, par exemple The Next Rembrandt, à la manière du peintre hollandais, ou Daddy’s Car, des chansons à la manière des Beatles. Le style d’un auteur ne peut pas être réservé. Le droit d’auteur ne protège pas les idées mais les réalisations de forme. On protège une création précise, mais pas une manière de créer. De façon générale, la propriété intellectuelle ne permet pas de réserver des idées, méthodes, théories, mais seulement leur traduction dans l’univers sensible des formes. Aussi, il est tout à fait possible de réaliser des créations «à la manière de», qui se contentent d’emprunter le style sans retenir la forme d’une œuvre. C’est exactement ce que fait l’IA : dans le cadre de la fouille, elle déconstruit le contenu pour en extraire des tendances. La reconstruction ne reproduit pas les éléments de forme de l’œuvre fouillée, protégés par le droit d’auteur.
Tout cela doit cependant être nuancé : d’abord, il est possible, si l’œuvre est toujours protégée par le droit, que l’auteur se soit opposé à ce que son contenu soit fouillé en ayant exercé son opt-out ; ensuite, si le droit d’auteur n’a pas vocation à s’appliquer dans cette hypothèse, d’autres mécanismes juridiques pourraient être convoqués (mais avec moins d’efficacité), comme par exemple le parasitisme…
De même, en se basant sur l’exemple, le 26 août 2022, d’une œuvre entièrement générée par une intelligence artificielle ayant remporté le premier prix de la Colorado State Fair Fine Arts Competition, le site village-justice.com aborde la question du droit d’auteur et traite plus spécifiquement des sites DALL-E, NightCafé et Snowpixel générant des images.
L’avocate répond ainsi à l’interrogation de savoir qui est l’auteur d’une œuvre générée par une intelligence artificielle :
1) Dans le cas de la création assistée par ordinateur (CAO), c’est-à-dire les cas où la personne humaine n’est pas totalement exclue du processus créatif et utilise une machine comme moyen technique pour créer, la personne humaine est titulaire des droits d’auteur sur son œuvre. C’est ainsi qu’un artiste-interprète s’est vu reconnaître un droit d’auteur sur une œuvre musicale créée avec l’assistance d’un logiciel de composition.
2) Dans le cas d’une création générée spontanément sans intervention directe d’une personne humaine, cette production ne peut pas être qualifiée « d’œuvre » au sens du droit d’auteur, car la qualité « d’auteur d’une œuvre » est réservée aux humains en droit français.
Elle aborde également le sujet de la protection du droit d’auteur lorsque l’image a été créée à partir d’autres images :
Afin de générer une image, l’intelligence artificielle puise son inspiration dans une banque d’images préexistantes qui peuvent être protégées par des droits d’auteur. Il est également possible de demander à l’intelligence artificielle de générer une œuvre « à la façon » d’un auteur connu dont les œuvres sont protégées par le droit d’auteur.
Dans ce cas, il convient de vérifier que l’œuvre incorporée dans l’image générée par l’intelligence artificielle est libre de droits afin de ne pas risquer de se rendre responsable d’actes de contrefaçon, notamment dans le cas d’une utilisation commerciale de l’image générée. Pour rappel, en France les droits d’auteur s’éteignent 70 ans après la mort de l’auteur à l’exception du droit moral qui survit tant qu’il existe des héritiers de l’auteur.
Par ailleurs, actualitte s’intéresse au droit d’auteur dans le cadre d'un comics écrit par l’intelligence artificielle et mentionne :
L’article 4 de la directive 2019/790 du Parlement européen et du Conseil du 17 avril 2019, sur le droit d’auteur et les droits voisins dans le marché unique numérique, a mis en place une exception « fouille de données », dédiée aux usages de l’IA. Néanmoins, la directive prévoit également l’exercice possible d’un opt-out par les titulaires de droit, qui accorde un retour à la réservation.
Pour approfondir la question, nous vous laissons consulter le document – cité dans notre précédente réponse – sur l’Intelligence artificielle et droit d’auteur et vous invitons à consulter divers articles de presse :
Artistes contre intelligence artificielle/ La bataille des droits d'auteur est lancée, sur bfmtv.
A qui appartiennent les textes et les images générées par une intelligence artificielle dans Le Monde.
Enfin, radio France a consacré une émission à ce sujet : Une intelligence artificielle peut-elle être considérée comme un auteur ou un artiste ?
Deux de nos réponses pourraient également vous intéresser :
L'intelligence artificielle peut-elle créer des œuvres picturales de valeur ?
Éthique pour les intelligences artificielles
En guise de conclusion, il nous semble que ces deux ouvrages, que nous ne possédons pas, répondent aussi à vos interrogations :
Entre art et technique : les dynamiques du droit : mélanges en l'honneur de Pierre Sirinelli, 2022.