Question d'origine :
Bonjour,
A quand et ou remonte l'utilisation du parfum par l'espèce humaine?
Merci,
AD
Réponse du Guichet
Le parfum est employé dans l'Antiquité et relève essentiellement du divin
Bonjour,
L’histoire du parfum est liée au sacré, un attribut essentiel du divin en Egypte, en Grèce à Rome et dans d’autres contrées.
Ainsi, Annick Le Guérer dans Parfum (Le). Des origines à nos jours (2005) le relie aux pratiques rituelles et évoque la légende de rapportée par Ovide au 1er siècle de notre ère soit Médée qui remplaçant le sang anémié du roi Eson par un filtre aromatique lui redonne la vie.
Elle rappelle ainsi que la conception antique assimile le parfum à un véritable principe vital et combien de l’antiquité à l’orée du XIXe siècle, la parfumerie « reste profondément marquée par son interpénétration avec les fonctions vitales » (…) « les senteurs ne sont pas faites uniquement pour l’agrément du corps. Leur rôle ne se borne pas à une action de surface. Elles sont censées agir en profondeur, capables de pénétrer jusqu’au tréfonds de l’être en lui communiquant les vertus dont elles sont porteuses » puis précise :
La parfumerie occidentale a ses racines dans celle du monde greco-romain qui est fille de la parfumerie égyptienne. Considérés dans tout le bassin méditerranéen comme les maîtres incontestés de cet art, les Egyptiens ont marqué de leur empreinte le développement des compositions odorantes et de la cosmétique. Si l’Egypte a été le berceau de la parfumerie, c’est d’abord parce que sa religion et ses pratiques rituelles lui font une place considérable. L’ânti, parfum primordial, est la « sueur des dieux », et c’est la science des embaumeurs qui assure le passage d’un défunt dans une autre vie en faisant de lui un « parfumée. Mais cette civilisation a engendré une culture du parfum qui déborde largement le domaine du sacré pour s’étendre à la vie quotidienne.
(…) Les végétaux à parfum qui font partie de la flore égyptienne sont en nombre limité et certains d’entre eux comme le narcisse, le lys ou l’iris n’ont été utilisés qu’à une époque tardive. En revanche, les fleurs de lotus bleus sont, très vite, largement employées et fournissent un élément décoratif récurrent des célèbres cuillères à fard et des précieux vases à onguent où elles s’incrustent en motifs de pâte colorée sur l’albâtre translucide.
(…) Les Eygyptiens chercheront d’ailleurs à diversifier les productions locales en acclimatant certaines plantes étrangères. C’est ainsi que le lotus rose, à la fleur très parfumée, sera introduit au moment de l’occupation perse et que la rose, originaire d’Asie centrale, sera cultivée dans la région du Fayoum, à l’époque ptolémaïque, pour fabriquer l’essence ou huile de rose…
Sur la base de données persee.fr est publiée une recension de l’ouvrage « Parfums et aromates dans le monde antique » de Paul Faure lequel étudie la place tenue par les parfums et les aromates dans « les civilisations matérielles ainsi que dans les cultures religieuses et morales des peuples, qu’il s’agisse des riches Egyptiens embaumant leurs morts, du Cantique des cantiques citant de nombreux parfums et aromates, de l’existence de plusieurs routes des épices de l’Inde à la Méditerranée, de la salle de bain de Darius, garnie de burettes et de flacons précieux…. Tout, en grande partie, relève du sacré.
L'article "Parfums", rédigé Brigitte Munier et Paul Teisseire sur Encyclopædia Universalis, fait état de semblables constats :
La découverte par Marcel Detienne d'une mythologie de l'aromate dans la Grèce antique renouvela le regard sur l'anthropogonie en lui adjoignant la dialectique évoquée : quand Prométhée, instaurant le sacrifice, donne aux dieux la fumée parfumée montant de l'autel, et aux hommes la viande, le partage entre immortalité et mortalité ne s'opère point par le corps, mais par l'alimentation : la fumée ou l'ambroisie, substances intangibles et embaumées dévolues aux dieux, leur épargnent les contraintes d'une corporéité physiologique pour leur assurer une jeunesse perpétuelle et aromatisée ; la consommation de chairs corruptibles voue les hommes à la viscéralité, aux mauvaises odeurs et à la mort. L'oblation de senteurs confirme l'immortalité divine ; en revanche, les odeurs corporelles humaines, seulement masquées par le parfum et promises à régner en maîtresses outre-tombe, symbolisent l'impureté et la mortalité. Le vocabulaire confirme l'interprétation, sacrifier, thuein, instaure le lien et la distance entre dieux et hommes, et l'encens, connu en Grèce vers le vie siècle avant J.-C., aura nom thus, (tus en latin). Rome renforcera la vocation lustrale et asséchante de l'aromate et lui prêtera une fonction d'immortalisation : des vases de parfum dans les tombes doivent combattre la décomposition puante et l'humidité ténébreuse.
La référence plus ancienne à la pratique égyptienne de l'embaumement n’est pas moins démonstrative. Outre l'éviscération du corps et son aromatisation, le rituel conservé par Le Livre des Morts établit une constante homonymie entre l'impureté et la puanteur, la pureté et le parfum. L'Osiris N honnit d'une même voix excréments et péchés ; sa rédemption équivaut à une lustration parfumée, conversion de l'impureté malodorante, charnelle, viscérale et morale, en pureté encensée, corporelle et spirituelle. Le parfum est l'envers de la honte, l'oubli de l'ignoble lié à la puanteur, à la putréfaction et au mal. L'odeur, suspecte, s'associe à l'humide, au pourri et au ténébreux, et contredit la sécheresse, l'incorruption et le solaire alliés aux aromates.
Durant l'Antiquité, les pratiques thérapeutiques et de pure civilité, rejoignent l'usage religieux du parfum aggravant la partition sociale en raison du prix élevé des parfums. Hippocrate professa l'aromathérapie qui, transmise par Galien, se maintiendra en Europe jusqu'au xviiie siècle, et même après, notre temps l’ayant vue renaître. L'effluve balsamique diffusé par la fumée des brasiers purifie l'air, en nettoie les miasmes, et le parfum respiré « recrée merveilleusement le cerveau » (Jean de Renou, 1626, cité par Georges Vigarello, 1985) ; à l'inverse, la puanteur est indice de pourriture et d'épidémie (le verbe empester datant de 1575 renvoie à la peste comme à l'empuantissement).Par ailleurs, l'emploi croissant d'aromates durant l'Antiquité contribua à l'édification d'une civilité élitiste et raffinée. Le partage du parfum, au théâtre ou chez un hôte, instaure une commensalité comparable à celle du vin bu en commun. Le parfum purifie et unit, tout comme la puanteur éloigne, et l'odeur du pauvre inquiète tel un rappel de la corruption prochaine du corps. Les civilisations décadentes amalgamèrent les trois usages du parfum, cultuel, médical et social ou érotique, en une mimétique d'immortalisation dont Pline l'Ancien, Martial, Tacite ou Pétrone dénoncèrent différemment les excès à Rome. Les pouvoirs de métamorphose (Les Métamorphoses d'Apulée), et de jouvence (les histoires de Leucothoé, d'Idothée, de Phaon, de Phénix, les Fables d'Ésope, etc.), prêtés au parfum, euphémisation de l'immortalité divine, confirment son impact social et culturel.
Magalie Gobet et Emmeline LE Gall dans l’article , « Parfums et parfumeurs : un lexique, des désignations », (Éla. Études de linguistique appliquée, 2013/3 (n°171), p. 335-353) étudient elles aussi l’usage du parfum mais pour une période plus tardive. Nous n’en présentons, ici qu’un extrait et vous laissons poursuivre la lecture :
Au Moyen Âge, où le parfum était associé aux puissances occultes, les parfumiers – tels qu’on les nommait à l’époque – n’étaient autres que des alchimistes et astrologues, élaborant leurs senteurs selon des recettes secrètes.
Au XVIe siècle, Catherine de Médicis répandit l’usage du parfum, devenu synonyme de luxe et de raffinement. Dès lors, le commerce des parfums fut réglementé, et les premiers à en détenir le monopole furent les maîtres-gantiers. Mais sous ses airs de séduction, de luxe et de raffinement, le parfum pouvait se transformer en une arme mortelle pour celui qui le portait…
Marcellin Berthelot propose à ses lecteurs un angle d’observation peu traité par ses confrères lexicographes : l’usage du parfum par les femmes et les bénéfices que celles-ci peuvent en tirer.
On apprend ainsi que l’usage des parfums en France et en Europe occidentale daterait des croisades. Aux XVe et XVIe siècles, cet usage fut abusif. Puis il fut moins utilisé sous le règne du roi Henri IV, avant d’être de nouveau utilisé sous la « belle et coquette Anne d’Autriche », pour atteindre son apogée à la cour de Louis XIV et surtout à celle de Louis XV, qui fut surnommée la cour parfumée.
(..)
Comme le rappelle Pierre Larousse, l’usage des parfums en France fut généralisé par Catherine de Médicis et son parfumeur, Renato Bianco, qui la suivit en France lors de son mariage avec le futur Henri II. Renato Bianco, appelé également « René le Florentin », établit sur le pont au Change une boutique où se pressait tout le beau monde parisien. Il était possible, pour ces personnes élégantes, d’y acheter aussi bien des parfums que des poisons, deux choses qui marchaient alors de pair.
(..)
Après avoir rappelé au lecteur que l’histoire européenne des parfums prenait sa source en Grèce et à Rome, Duckett décrit leur usage en France, tout en insistant sur les excès des temps anciens, et notamment sous la Renaissance. On apprend ainsi qu’autrefois, les parfums les plus courants en France étaient l’ambre et le musc. Le lexicographe va même citer un écrivain de l’époque, Nicolas de Montaut, afin d’étayer son propos.
En complément, vous pourriez aussi consulter notre réponse sur le Parfum de la reine de Hongrie et consulter les dernières publications abordant ce sujet :
Parfums d'histoire : du soin au bien-être / préfaces Jean-Pierre Barbier, Géraldine Mocellin, 2022 : "Une exposition consacrée au parfum, qui retrace son histoire depuis l'Antiquité où il était utilisé avant tout comme médicament. Les fonctions médicinales du parfum jouent également un rôle au Moyen Age, période au cours de laquelle se développe l'aromathérapie".
La grande histoire du parfum / Elisabeth de Feydeau, 2021 : "L'histoire du parfum depuis ses origines sacrées jusqu'à l'industrie des notes de synthèse, illustrée d'affiches publicitaires d'époque et de documents d'archives. Des portraits de maîtres verriers, des premiers parfumeurs et de créateurs sont également proposés".
Parfums de Chine : la culture de l'encens au temps des empereurs : [exposition, Paris, Musée Cernuschi, 9 mars-26 août 2018] / [organisée avec la collaboration du Musée de Shanghai] ; ouvrage publié sous la direction d'Éric Lefebvre, 2018 : "catalogue de l'exposition consacrée à l'encens dans la civilisation chinoise, du IIe siècle avant J.-C. jusqu'au début du XXe siècle. Sont présentés les objets liés à l'encens (brûle-parfums, tables, vases), les représentations dans l'art (peintures sur soie, parchemins), son utilisation comme parfum, lors de la méditation ou dans les rituels".
La civilisation des odeurs : XVIe-XVIIIe siècles / Robert Muchembled, 2017 : "Pourquoi l’odorat, ce sens primordial d’adaptation au danger comme de repérage du meilleur partenaire sexuel, demeure-t-il si méconnu ? Son histoire paradoxale, pour peu qu’on s’y attache, est des plus captivantes. Dans cette synthèse sans équivalent, Robert Muchembled mène l’enquête et présente les extraordinaires mutations de l’odorat en Occident, de la Renaissance au début du XIXe siècle".
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