Avant l'arrivée du tabac en France, nos ancêtres consommaient-ils du chanvre ?
Question d'origine :
Cher guichet,
Avant l'arrivée du tabac en France aux XVIe siècle, nos ancêtres consommaient-ils du chanvre qui pousse chez nous et sous quelle forme (pipe, chique, prise)? Était ce le fait de minorités ?
Bien à vous.
Réponse du Guichet
En France, le chanvre a été principalement cultivé pour ses fibres utilisées dans l'industrie textile, pour fabriquer des voiles, cordages et filets employés en navigation mais aussi pour la fabrication du papier. Il fut utilisé secondairement pour ses propriétés pharmacologiques en onguents, tisanes, décoctions... Considéré comme l'herbe du diable, sa consommation à des fins thérapeutiques fut interdite dès le XIIe siècle par l’Église.
Bonjour,
Comme l'indique notre précédente réponse Que fumait-on au Moyen-Âge ? :
La façon dont André Thevet, celui qui a rapporté et acclimaté les graines de tabac en France, décrit les "cigarettes" des autochtones amérindiens montre bien que nos ancêtres ne fumaient pas le chanvre.
S'il était connu depuis l’Antiquité et faisait partie de la pharmacopée pour ses qualités analgésiques, il semble bien que ses feuilles et graines aient été le plus souvent absorbées en décoctions, tisanes, mêlées aux aliments ou brûlées en fumigations.
L'article d’Hélène Houdayer dans la revue Psychotropes Vol. 7 2001/1 évoque le Moyen-âge :
« Historiquement, le chanvre ne s’apparente pas à une drogue. Le souvenir de la culture du chanvre en France est d’abord de nature textile. Les vêtements, draperies et toiles de chanvre du Moyen Âge restent une industrie traditionnelle de l’époque. Charlemagne à la fin du VIIIe siècle ordonne partout la plantation de canava. Le commerce du chanvre entoure les principaux ports de la Méditerranée en raison des cordages et des toiles nécessaires aux navires, mais l’existence à la même époque de grandes quantités de pipes atteste sa référence en tant que drogue. »
Initialement récolté pour ses fibres et ses graines, il fut utilisé secondairement pour ses propriétés pharmacologiques qui donnèrent lieu à une double exploitation : religieuse et thérapeutique. C'est ce qu'indiquent Denis Richard et Jean-Louis Senon dans leur Que sais-je ? sur Le cannabis.
Quelques extraits choisis :
Les premiers témoignages de son usage remontent à plus de cinq mille ans avant notre ère.
Des indices prouvant l’utilisation du cannabis sont datés de quatre mille ans en Chine, de trois mille ans av. J.-C. au Turkestan.
Originaire d’Asie centrale (des versants himalayens de l’Inde), la plante s’est par la suite répandue :
- vers l’est, vers la Chine et l’ensemble du sub- continent indien notamment ;
- vers l’ouest, à la faveur de l’avancée des Scythes, vers les pays du Moyen-Orient, secondairement vers la vallée du Nil, puis vers les pays du Maghreb lors des conquêtes arabes.Dans un second temps, les Arabes envahissant l’Europe comme les croisés revenant d’Orient firent découvrir les préparations à base de résine à l’Occident.
[...]
Au Moyen Âge, alors même que la science médicale occidentale se perdait dans une longue période d’obscurantisme, les sociétés musulmanes répandirent l’emploi du cannabis apte à remplacer l’alcool interdit par les préceptes coraniques et, surtout, riche de nombreuses vertus thérapeutiques. Cette plante suivit dès lors les invasions arabes, gagnant l’Afrique du Nord, puis l’Espagne, la France et les pays périméditerranéens.
[...]
Cette période préfigura aussi les aspects plus modernes concernant le regard porté sur le chanvre.
L’Inquisition espagnole vit dans le cannabis une herbe diabolique, mais les mesures répressives envisagées ne réduisirent guère son utilisation. L’Église tout entière proscrivit le chanvre dès le XIIe siècle, sans succès, ayant peut-être constaté que les pratiques de sorcellerie voyaient mélanger cannabis, jusquiame, et autres plantes hallucinogènes.
Voici également un article du magazine Ca m'intéresse que vous pourrez relire en ligne : Cannabis : on est accros depuis 5000 ans. Un extrait :
Dans l’Europe médiévale, le peuple des campagnes se soigne allègrement au chanvre. On connaît, grâce aux ouvrages de l’humaniste italien Girolamo Cardano, la composition des onguents les plus populaires : on y trouve du cannabis, issu des fleurs femelles du chanvre, de l’opium, des solanacées, ainsi que de la peau de crapaud, qui recèle de la diméthyltryptamine, une substance psychoactive. Mais cette médecine populaire déplaît à l’Eglise, qui voit là des malfaisances de sorcières. Ainsi, quand au XVIe siècle, l’écrivain et médecin François Rabelais évoque le cannabis dans son Tiers Livre, il tait son véritable nom et le rebaptise « pantagruélion », un remède qui soigne plaies, brûlures, crampes et rhumatismes. Bref, le cannabis est partout… Mais il ne faut surtout pas le dire ! Car, depuis le XIIe siècle, l’Eglise considère que quiconque utilise des drogues à des fins thérapeutiques est un hérétique en puissance. Porteurs d’un savoir hérité de l’antiquité païenne, le droguiste et la sorcière font concurrence à la toute-puissance des évêques.
Bonne journée.