Qu'est-ce qui peut expliquer la popularité de Saint Martin de Tours ?
Question d'origine :
Bonjour! Madame, Monsieur,
Ma requête concerne Saint Martin de Tours.
Qu'est-ce qui peut expliquer l'immense popularité de ce saint dans la France entière et même au-delà, au point que des centaines de communes (internet dit 500) portent ce nom en France, sans compter les lieux-dits.
Saint Laurent et Saint Maurice patronnent eux aussi bien des communes, mais pas à ce point.
D'avance, merci de votre réponse.
J'apprécie toujours votre promptitude et votre précision remarquables.
RS
Réponse du Guichet
Si le souvenir de Saint Martin est aujourd'hui discret, il a été l'objet d'un culte très important dans les Gaules du Ve au IXe siècle. De nombreuses Églises ont été fondées sous son patronage à cette époque, ce qui peut expliquer sa prédominance dans les toponymes de France.
Bonjour,
Vous nous interrogez sur les raisons qui expliquent la prédominance de saint Martin dans les toponymes de France.
Olivier Guillot, dans sa biographie de Saint Martin de Tours, confirme en effet cette popularité, à la fois pour les noms de personnes et de lieux :
Que l’on regarde, rien qu’à Paris, dans l’annuaire alphabétique du téléphone, les noms de famille: pour s’en tenir aux patronymes les plus courants, il y a presque trois fois plus de Martin (environ 2900) que de Dubois ou de Durand (environ 1100 chacun).
C’est plus spectaculaire encore pour les noms de lieux – la toponymie. En France, sur environ 36000 communes, il y en a une sur 7 (environ 5100) qui portent encore un nom de saint. Dans ce lot, Saint Martin de Toursest le vocable le plus courant (environ 230 communes), avec, venant ensuite, saint Jean- tant le Baptiste que l’évangéliste (environ 180 communes). À quoi l’on peut ajouter plus de 50 communes dont la dénomination se termine par «saint Martin». Martin, dans les noms de communes, est donc, à beaucoup près, le saint dont le vocable a été le plus souvent conservé.
Saint Martin semblait jouir d’une aura importante de son vivant, en tant que thaumaturge, ermite et évêque. Si son mode de vie, qui dénotait avec celui des évêques de son temps, ne lui attira pas que des alliés parmi les autorités religieuses, il semble lui avoir valu une grande renommée tant auprès de la population que des puissants, impactant la société, du IVe au IXe siècle. S’il semble ainsi connaître une éclipse après sa mort, le culte de Saint Martin va prospérer à partir du Ve siècle, portés par les nombreux miracles attribués à l’évêque de Tours ou reliés à son tombeau. Cette renommée lui vaudra les attentions du pouvoir royal mérovingien, alors en quête de légitimité. Ainsi, c’est lors d’une visite de la basilique Saint-Martin de Tours que Clovis aurait été convaincu de la vérité de la foi Chrétienne, et c’est à lui qu’il rendra hommage pour sa victoire décisive contre la royauté Wisigoth. Cet évènement fondateur inaugurera les liens privilégiés qu’entretiendront l’ensemble des souverains mérovingiens avec saint Martin, qui seront maintenus par Charlemagne et ses successeurs.
Un autre indice de la postérité exceptionnelle de saint Martin se trouve dans l’origine du mot «chapelle» et son lien avec le pouvoir royal mérovingien et carolingien. En effet, celui-ci est directement dérivé du manteau militaire, ou pallium, que Saint Martin aurait partagé avec un pauvre. La mémoire de ce manteau partagé est restée tellement attaché à la mémoire de saint Martin, qu’on a considéré que la vertu du saint reposait non seulement dans ses restes physiques, mais aussi dans un manteau placé sur sa tombe et qui en aurait ainsi été imprégné.
Grégoire de Tours rapporte ainsi que deux rois mérovingiens, Sigebert Ier et Chilpéric Ier,auraient péri pour avoir invoqué saint Martin puis méconnu les engagements solennels qu’ils avaient pris devant lui. D’où l’habitude prise par les rois du VIIe siècle de placer dans l’oratoire de leur palais itinérant un manteau à capuche du type de celui de Martin (appelé alors capella de saint Martin).
Olivier Guillot décrit le rôle de cette relique :
Désormais, au cas où, à la cour du roi – et spécialement devant le tribunal du roi – un serment devait être prêté, on le ferait prêter, chose redoutable, «sur la chapelle du seigneur Martin», c’est-à-dire en touchant de la main droite cette relique en tissu, en sorte que celle-ci apparut dès lors comme la plus caractéristique de cet oratoire royal. Tant est que, dans les premières décénies du règne de Charlemagne (commencé en 768), on se mit à désigner par le mot de capella – c’est-à-dire «chapelle» - non plus seulement le manteau, relique de saint Martin, placé en cet oratoire royal, mais l’oratoire royal lui-même, inhérent au palais de Charles, et y incluant l’ensemble des clercs desservant cet oratoire, appelés désormais «chapelains». Bientôt, dès les années 800 environ, des oratoires non royaux commencèrent à être appelés eux aussi «chapelle», sans que, désormais, cela [n’] impliquât aucune présence de la relique martinienne dans de tels oratoires. Ainsi naquit l’usage qui voulait qu’on appelât «chapelle» un sanctuaire qui n’était ni une paroisse ni une cathédrale, la plus illustre «chapelle» étant, dès le règne impérial de Charles, après l’an 800, sa chapelle d’Aix, fixée dans la capitale de l’Empire.
Ce détour, s’il nous éloigne un peu du cœur de votre question, éclaire néanmoins la grande postérité de saint Martin de Tours. En effet, la référence des pouvoirs mérovingiens et carolingiens à saint Martin pour assoir leur pouvoir est à la fois un indice du prestige de celui-ci et un facteur ayant permis de le maintenir et de l’augmenter.
Le culte de grande ampleur dont a bénéficié ce saint du Ve au IXe siècle, et la bienveillance du pouvoir royal, vont être à la source d’une profusion de lieux de cultes dédiés à saint Martin, dont la toponymie actuelle de la France semble constituer l’héritage discret mais bien présent.
Vous souhaitant bonnes lectures,
Le département civilisation