Question d'origine :
C'est quoi un humain ?
Réponse du Guichet

Nous vous proposons quelques définitions et une bibliographie.
Bonjour,
Qu’est ce qui définit un humain ?
La réponse à votre question ne sera pas la même selon l'angle sous lequel on l'aborde. Les réponses d'un zoologue, d'un paléoanthropologue ou d'un philosophe ne seront pas les mêmes.
L'humain est une branche terminale parmi des millions d’autres, au sein de l’arbre généalogique du vivant nous dira le zoologue. L'humain fait partie de la classification scientifique du vivant.
Pour les philosophes,
le concept d'humanité s'est construit en opposition à celui d'animalité. Selon Descartes, par exemple, il existe une différence de nature entre l'homme et l'animal, et non une simple différence de degré. Seul l'homme est capable de pensée, c'est-à-dire de conscience et de langage (Descartes, Lettre au marquis de Newcastle). Du point de vue anthropologique et sociologique, cette capacité fonde la possibilité de la culture et de l'histoire.
source : La philosophie de A à Z / Elisabeth Clément, Chantal Demonque, Laurence Hansen-Love, Pierre Khan
A la notion d'hominisation proposée par les anthropologues, Nicolas Go,philosophe, ajoute la notion d'humanistation. Il tente d'apporter quelques éléments de définition dans un article dont nous tirons ces extraits :
L’humain, du latin humanus, de homo qui signifie « homme », renvoie également au grec anthropos, de même sens, et recouvre l’ensemble des dérivations sémantiques de ces mots : l’anthropologie, comme branche de l’ethnologie ou comme l’ensemble des sciences de l’homme, appartient à la catégorie de l’humain, de même que les notions de philanthropie, d’anthropocentrisme ou encore d’anthropophagie, à l’exception peut-être de l’anthropoïde et de l’anthropopithèque, qui se définissent néanmoins en référence à l’homme.
Comme substantif, il est simplement défini, dans le Petit Robert par exemple, comme « ce qui est humain ; l’homme et ce qui appartient à l’homme », avec comme exemple « réduire le monde à l’humain », puis comme « être humain » (l’humain, c’est l’être humain, c’est-à-dire l’homme). Nous sommes au rouet, et simplement renvoyés à la définition de l’homme.
Comme adjectif, humain fait l’objet de trois distinctions, comme « propre à l’homme » (nature humaine), comme ce qui est « compréhensif ou compatissant » (par opposition à impitoyable), et en parlant d’une personne, en qui se réalise pleinement la nature humaine en ce qu’elle a d’essentiel et d’universel. Les dictionnaires ou vocabulaires philosophiques, quant à eux, négligent la notion, et, outre le concept d’homme, préfèrent signaler ceux d’ « humanité », ou d’ « humanisation ». Faut-il comprendre de l’« humain » qu’il n’est qu’un pauvre être grammatical, un substitut indigent de l’homme, une sorte d’élément de composition pour ses dérivés sémantiques ? A quoi bon dès lors s’interroger sur l’humain ? Ne ferions-nous pas mieux de nous en tenir au concept usité d’homme ? Tentons néanmoins quelques pas plus avant.
S’il est vrai que l’humanité est le caractère de ce qui est humain, il n’est peut-être pas inutile d’aborder cette notion en premier lieu. L’humanité comme espèce est le résultat d’un double processus, celui d’hominisation, et celui d’humanisation.
L’hominisation, comme chacun sait, signale un long processus biologique d’évolution par lequel l’espèce humaine s’est constituée comme telle, se séparant progressivement des espèces dont elle est issue : classe des mammifères, ordre des primates (au même titre que les singes anthropoïdes), famille des hominiens (australopithèques et hominidés), espèce des hominidés dont il est le seul représentant (ou genre homo, espèce sapiens), voilà l’appartenance de l’homo sapiens au règne animal. L’hominisation, c’est le devenir homme d’une lignée de primates, au sein de l’évolution.
Par ailleurs, l’humanisation est généralement comprise comme le devenir humain de l’homme. A la différence de l’hominisation, celle-ci s’entend aussi bien pour l’individu que pour l’espèce ; de sorte que, si l’on conçoit, en un sens normatif, la possibilité d’humaniser l’individu, il serait absurde d’employer de façon analogue le verbe d’ « hominiser ». Si hominisation et humanisation ont en commun d’être de fait, au sens descriptif, et pour l’espèce tout entière, le résultat d’un processus, l’humanisation seule peut prétendre, au sens normatif, à la qualification de valeur. Et bien que l’une et l’autre s’impliquent mutuellement (quelle absurdité que l’humanisation sans homme, quelle bizarrerie que l’homme sans humanité), le primat du devenir humain de l’homme, pour la question qui nous occupe, tombe sous le sens. Ecartons l’hypothèse des éventuels déterminismes génétiques de ce processus, que nous laissons aux neurosciences, pour nous en tenir à l’idée des conditions culturelles, et en particulier, s’agissant de l’individu, à celle de l’éducation : éduquer un enfant, c’est, dit-on parfois, instituer l’humanité en lui ; s’éduquer soi-même, dès lors, c’est grandir en humanité, faire croître en soi « le caractère de ce qui est humain ». L’humain est l’objet, non seulement d’une évolution, mais surtout d’un devenir. Et l’homme, de par l’ensemble des déterminismes culturels, historiques dont il est tissé et auxquels il contribue par son action, et de par ce qu’il fait de lui-même, participe de ce devenir. En un premier sens, l’humain, c’est ce que l’homme, héritier de l’humanité, fait de lui-même en tant qu’il est en devenir.
Bien que l’on ait effectué un premier pas en direction d’une certaine compréhension de l’humain, on s’accordera sur le caractère insatisfaisant de l’idée. L’homme en devenir peut bien faire de lui-même ce qu’il veut, sans que le problème de l’éducation, dont on accordera la visée normative, soit pour autant convoqué. La déchéance, la violence, la destruction ou la barbarie sont autant de faits en lesquels l’humain se reconnaît. Il y a donc bien une distinction entre la notion générale de l’humain, à laquelle la réalité de fait de l’homme historique et de ses œuvres suffit, et l’idée normative d’un devenir humain de l’homme, qui engage l’éducation. L’humanisation, du point de vue de l’espèce, caractérise le processus historique et culturel qui accompagne et prolonge celui de l’hominisation ; l’humanité ne signale pas seulement le résultat de l’évolution (ce que désigne le terme d’hominisation), mais également l’état d’un processus à un moment donné de son devenir (l’humanisation conduisant à un « état présent de l’humanité »), auquel cette humanité elle-même contribue. Elle est toujours en même temps ce qu’elle fait d’elle-même. Elle contribue par ses œuvres à sa propre institution. Elle y contribue dans l’action politique, historique, économique etc. par l’effort de maîtrise des déterminismes complexes qui la font et qu’elle fait, à la fois instituante et instituée. Ainsi, forte de cette histoire, elle se donne des fins et des valeurs, des objectifs et des normes, lesquels participent du processus plutôt qu’ils ne l’initient, mais elle se forme autant par le heurt des conflits d’intérêts et des luttes de domination. L’humanité se donne à elle-même l’art et la guerre, la justice et la violence, la culture et la destruction, la fraternité et l’oppression, non pas schématiquement opposés ou alternés, mais perpétuellement tissés et mutuellement déterminés.
source : GO Nicolas, « L'humain », Le Philosophoire, 2004/2 (n° 23), p. 57-69.
Quelques pistes de lecture pour aller plus loin :
* Dans L'humain et ses limites, Claude Birman tente de répondre à cette question : Qu'est-ce que l'humain ? aux pages 137 à 142. Plus globalement, les auteurs tentent de délimiter les contours de l'humain :
On peut bien évidemment tenter de rechercher la ligne de partage, la "différence spécifique", qui permet de reconnaître jusqu'où on a bien affaire à de l'humain, et partir de quand c'est autre chose qui nous fait face. Cette altérité peut prendre plusieurs figures ; il nous semble qu'on peut les ramener principalement à trois tendances :
- l'animal, dont la proximité parfois troublante avec nous ne peut manquer d'interroger.
- la machine, humaine par sa conception, mais faisant sortir l'humain des limites qui lui semblent naturellement assignées et au nom desquelles nous pensons pouvoir dire ce que l'humain est "par lui-même".
- l'inhumain, par quoi l'humain quitte sa propre humanité sur un plan moral, et qui met en valeur une dimension essentielle de son existence : le fait qu'elle s'articule fondamentalement à des exigences éthiques.
* L'ouvrage intitulé Être humain ? publié sous la direction de Jean Birnbaum réunit plusieurs contributions issues du Forum philo, proposant une réflexion sur l'art d'être humain, de le devenir ou de le rester. Il interroge l'humanité sous l'angle de l'étique.
* Dans l'ouvrage intitulé Devenir humains, Yves Coppens explique comment nous sommes devenus humains et quelle est la place de l'homme dans le vivant au XXIe siècle. "Être humain et le rester est une aventure, une énigme, un défi qui nous concernent tous."
Voici d'autres documents qui pourront également vous intéresser :
- Nature humaine, une précédente réponse du gds (attention, certains liens sont cassés)
- Que reste-t-il du propre de l'homme ? / une table ronde réunissant Georges Chapouthier, Jean-Gabriel Ganascia, Lionel Naccache... [et al.] ; animée par Aude Damy, Pauline Husseini et Catherine Jacob
- Qu'est-ce que l'humain ? / Université de tous les savoirs ; sous la dir. d'Yves Michaud
- L'identité humaine / Elisabeth de Fontenay
- Les humains, mode d'emploi : nouveaux regards sur la nature humaine / Jean-François Dortier
- L'animal que je ne suis plus / Étienne Bimbenet
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Une vidéo d'une conférence de Pascal Picq : Qu'est-ce que l'humain ?
Une vidéo de Francis Wolff : Qu’est-ce qu’un être humain ?
Une émission de la radio France Culture : Épisode 1/4 : Qu’est-ce qu’un humain ?
Quelques écrits philosophiques et scientifiques :
- Humain, trop humain / Nietzsche
- La nature humaine / D.W. Winnicott
- L'origine des espèces / Charles Darwin
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Bonne journée.