Avez-vous de la documentation sur les "margoulins" de la vallée du Gier ?
Question d'origine :
Bonjour,
A existé au XVIIIème siècle, un canal dit "des Deux Mers" (mais qui ne reliera jamais le Rhône et la Loire) dans la vallée du Gier, entre Givors et la Grand'Croix, et qui a surtout servi a acheminer le charbon de la vallée du Gier vers Lyon avant l'arrivée du train. Il a ensuite été abandonné (est parlé aussi d'une mauvaise gestion), et pas mal de ses ouvrages détériorés.
j'ai quelques liens que je vous livre ici et qui relatent de ce canal
http://www.patrimoineaurhalpin.org/cartes/le-canal-de-givors-a-la-grandcroix/
http://www.goirand.org/canal/accueil.htm
http://projetbabel.org/fluvial/rica_givors-canal.htm
http://pierre.goirand.pagesperso-orange.fr/Canal/SuiteCanal2.htm
Mais si je me permet de vous contacter, c'est parce que j'ai constaté que les définitions des dictionnaires évoquent les "margoulins" comme des personnes de petites affaires. Hors, à l'époque, les Margoulins étaient les tâcherons qui tiraient les barges chargées sur ce canal de leurs seules forces humaines, et de cela les dictionnaires ne font pas mention.
Alors que si ça se trouve - j'en suis personnellement quasi convaincu - le mot "margoulin" lui-même a pour origine ces forçats sans doute méprisés qui cherchaient leurs vie (des chaussures, à manger, une grange pour dormir...) le long de ce canal de la vallée du Gier.
Une documentation locale publique conte toutefois une partie de l'existence de ces braves travailleurs à l'écluse de la Roche percée, sur la commune de Tartaras, que je vous invite à visiter si vous passez par là.
À l'heure ou les souvenirs commencent à émerger, et ou le canal se voit redécouvert, ma question est donc simplissime: disposez-vous de documentation susceptible de rendre par là-même et à cette occasion, justice à ces braves travailleurs ? :)
En vous remerciant par avance
Réponse du Guichet
Aucun document que nous avons consulté ne permet d'affirmer que les haleurs du canal de Givors sont à l'origine du mot "margoulin". Il est probable que ce nom leur ait été attribué à cause de la pauvreté de leur condition de vie, que vous décrivez bien d'ailleurs. Vous trouverez ci-dessous quelques documents de la Bibliothèque municipale de Lyon qui évoquent ces margoulins.
Bonjour,
Vous avez raison, les définitions des dictionnaires, notamment des dictionnaires d'argot, évoquent les "margoulins" comme des personnes de petites affaires. Le CNTRL donne cette étymologie : "issu du verbe margouliner usité dans le Bas-Maine au sens de «aller vendre de bourg en bourg, surtout en parlant des femmes qui vendent des mouchoirs» (Dottin, Glossaire des parlers du Bas-Maine, Paris, 1899), lui-même dér. de margouline «bonnet»". Le Dictionnaire du patois du Dauphiné de Nicolas Charbot est une exception ; il donne cette définition "malotru, faible, de mauvaise constitution, chétif, pâle, blême".
Il semble que ce terme se soit diffusé au XIXe siècle. Une recherche sur Gallica donne 2 occurrences du nom "margoulin" au XVIIIe siècle et plus de 400 au XIXe siècle. Les deux occurrences du XVIIIe siècle correspondent à des livres en ou sur le patois languedocien. "Margoulin" y revoie à la pauvreté. L'utilisation la plus éloquente se trouve dans le dictionnaire Languedocien-François :
Margoulin : Pauvre & mauvais ouvrier : deux qualités qui vont souvent ensemble, & dont la première est l'effet, l'autre la cause.
Le Dictionnaire étymologique du patois lyonnais de Nizier du Puitspelu, s'il développe une étymologie renvoyant à la définition traditionnelle d'homme de rien, indique en fin de définition, un second sens à margoulin semblable à celui du Dictionnaire du patois du Dauphiné.
MARGOULIN (margoulin) s. m. - Terme péj. Colporteur ; par extens. homme grossier. Wal. argoulet, homme de rien; margouler, frauder ; margoulète, fraude. Etym. inconn. Grandg. l'identifie av. fr. marjolet, rch. mariaule, homme de rien ; it. mariuolo mariolo, fripon, vaurien. Mais marjolet ne se rapporte nullem. comme sens, et g dur, qui appartient à. notre rad. ne pourrait avoir passé à ij devant o. Mariaule peut venir de mariole « poupée », de Marie, comme à toute rigueur marjolet (cp. wal. mariolaine à côté de marjolaine). Quant à margoulin, le sens de colporteur fait penser au rad, marg, boue (v. margagni), b. dph margaule. A Chabeuil les enfants fout des pelotes de terre grasse en disant patingaule margaule. Margoulin peut avoir été formé sur margaule. Margoulin, " celui qui patauge dans la margaule ». Le sens du wal. margouler, frauder, serait ensuite dér. de margoulin, colporteur, à cause des fraudes qui leur étaient habituelles. Le voironn. margoulin, faible, chétif, se rattache à macrum.
Aucun dictionnaire ne donne pour "margoulin" de définition relative aux tâcherons qui tiraient les barges sur les canaux ; l'utilisation de ce terme dans ce contexte semble d'autre part très locale. Le lien entre ces margoulins du canal de Givors et les définitions ci-dessus, en particulier les plus anciennes, renvoie essentiellement à la pauvreté de ces travailleurs.
Plusieurs documents de la Bibliothèque municipale de Lyon font mention des margoulins, il s'agit le plus souvent d'une petite phrase à leur sujet. La plupart insistent sur la pauvreté de ces hommes et la pénibilité de leur travail.
Véritable tour de Babel, la ville connaît ces margoulins, ou haleurs du canal, ces crocheteurs qui, bien mieux rétribués que les anciens charretiers, entreposent dans les magasins du port, le charbon arraché aux mines !
Dans Ceux du Lyonnais, du Beaujolais et du Forez, types et coutumes de Louis Pize p.50 :
Les barques remorquées par des hommes de peine appelés margoulin, qui tiraient sur la maille, devaient franchir quantité d'écluses par des manœuvres compliquées. il fallait 18h pour ce trajet. mais, en dix ans, l'importance du trafic centupla.
Dans Lyon, de l'Encyclopédie au Préromantisme, tome 1 de Louis Trénard p.9:
Quotidiennement, les margoulins, bricole sur l'épaule, tiraient sur la maillette attachée à l'avant de la barque pour faire avancer le convoi ; la marche paresseuse était retardée par la nécessité d'écluser, les plans d'eau étaient nombreux. Il fallait environ dix-huit heures pour aller de Rive-de-Gier à Givors.
Dans La Société Française de 1815 à 1848 : le peuple des villes et des bourgs de Jean Vidalenc :
[à propos des modérés] Il leur arrivait de cesser le travail à onze heures du matin malgré les nombreux clients qui les attendaient, et de faire passer les bâtiments non selon leur ordre d'arrivée mais selon la générosité de leur propriétaire.
Ce n'était pas les modestes margoulins qui tiraient à la corde les bateaux de houille sur le canal de Givors qui aurait pu se permettre une telle attitude.
Dans La navigation à vapeur sur la Saône et le Rhône de Félix Rivet p.32
Et à Givors dont le canal connaissait une incroyable prospérité, des barques (chargées, elles, de 65 à 75 tonnes) remorquées jusque-là par des équipes d'hommes, les margoulins venaient à leur tour apporter la houille, le minerai de fer et les bouteilles dont le tonnage presque égal (il était évalué à 77000 tonnes) aller sur 4 lieues, accroître le trafic rhodanien.
Enfin, il est fait mention, dans l'article sur François Pitiot du Maitron d'une Compagnie des crocheteurs à Rive de Gier sur lesquels "les conducteurs de bateaux, dits « margoulins »," prirent modèle".
Pour compléter, quelques documents sur le canal de Givors :
- R. Fournel & F. Lardon, Le canal de Rive-de-Gier à Givors : 1750-1878, Gier collection, 1997.
- Rolland Fournel, "L'exploitation du canal de Givors entre 1784 et 1786", in. Mémoire des pays du Gier ; No 17, novembre 2004, p. 17-39.
- Christian Épalle, Un canal oublié, de Givors à La Grand-Croix, Atramenta, 2012.
- Claude Crétin, "Le canal de Givors : l'ambition de joindre la Loire au Rhône", in. La Loire et ses terroirs : le magazine du fleuve et des hommes ; No 29, automne 1998, p. 53-58.
- Gilbert Gardes, "La Construction du canal de Givors vue par un contemporain, Sain de Manevieux", in. Mémoire des pays du Gier ; No 3, décembre 1994, p. 26-37.
- F. Lardon, "Heur et malheur d'un corps de métier privilégié : les crocheteurs du canal", in. Mémoire des pays du Gier ; No 4, juin 1995, p. 4-15.
- Comte R. Palluat de Besset, Les Zacharie et les intéressés au canal royal de Givors : 1745-1820, Brassart, 1922.