Pourquoi les hommes sont-ils si navrés de voir s'installer la calvitie ?
Question d'origine :
BONJOUR :)
Grâce au moteur de recherche, j'ai pu lire toutes vos réponses aux questions sur la calvitie. Merci. Reste un point ; l'aspect psychologique. Pourquoi les hommes (pour les femmes le problème est différent) sont ils si navrés de voir s'installer la calvitie ? D'autant que certains se rasent totalement le crâne, et que la rumeur atteste le côté sex appeal des mâles chauves ?
Sans compter l'aspect économique : plus de shampooing, plus de coiffeur ... :) Bonne journée à vous.
Réponse du Guichet

Cette répulsion de la calvitie est historique et culturelle. Dans les mythes, la perte de ses cheveux, généralement symboles de force et de vitalité, est vécue comme une sorte de castration symbolique, un signe de faiblesse. Aujourd'hui, l'image que l'on renvoie aux autres est importante : nos cheveux reflètent notre niveau socio-culturel, notre âge, etc. L'alopécie peut alors devenir synonyme de rupture identitaire et devient le symbole du temps qui passe contre lequel on est impuissant.
Bonjour,
Cet article du magazine Philomag indique qu'il s'agit d'une peur millénaire :
La crainte de devenir chauve est millénaire. Si l’on s’en réfère à la Bible, l’homme devenant chauve perdrait une part de sa virilité. Cette histoire capillaire masculine commence vers le XIIe siècle avant J.-C., avec un certain Samson. D’une puissance extrême, ce héros biblique terrasse tous ses ennemis jusqu’au jour où sa femme, Dalila, lui coupe ses sept tresses. Privé de ses cheveux, il est dépossédé de sa puissance : c’est une castration symbolique. Pendant des siècles, la longueur de la chevelure masculine sera ainsi associée à une forme de sauvagerie et d’inquiétante puissance vitale : celle des Vikings ou des envahisseurs. Théophile Gauthier l’appellera la « chevelure à tout crin ». Elle causera à elle seule « la terreur du bourgeois glabre et chauve ».
Un homme qui perd ses cheveux perdrait donc également une partie de sa vitalité, de sa vigueur naturelle. Les cheveux des hommes, surtout s’ils sont longs, renvoient en effet à une forme de naturalité. Comme le rappelle la philosophe Sonia Dayan-Herzbrun : « Chez Aristote comme chez Pline se trouve exprimée la conviction que les hommes “chevelus” détiennent plus de puissance sexuelle, et que la perte des cheveux et la calvitie sont liées à une perte de semence. » La fertilité du cheveu qui pousse renverrait ici à la fécondité du sperme. Un homme chauve, ou en passe de le devenir, serait un homme infertile. C’est en tout cas ce que laissent entendre les philosophes antiques.
En perdant ses cheveux bien malgré lui, l’homme perd aussi une partie de son pouvoir de contrôle, de sa volonté de maîtrise sur son propre corps. Car l’alopécique ne choisit pas quand il perd ses cheveux. Pour Aristophane, une peau lisse « plus polie que la coquille de Vénus » renvoie donc à une forme de féminité. Comme les menstruations qui coulent de l’utérus sans que l’on ne puisse les contrôler, les cheveux tombent quand ils veulent, et en dépit de la volonté.
Une mise à nu
En perdant ses cheveux, l’individu quitte une forme de protection et d’enveloppe. La graduelle perte capillaire est un moment de mise à nu, qui laisse petit à petit place à la peau. Et pas n’importe laquelle : c’est celle du crâne parfois irrégulier, couvert de grains de beauté, d’inégalités dans le teint ou de marques de sécheresses. Cette chute est d’autant plus sensible que la perte des cheveux dévoile non seulement le haut de la tête mais dégage aussi le visage, qui cesse d’être encadré par la chevelure. Dans Les Mots (1963), Jean-Paul Sartre dira par exemple de son crâne « tondu » qu’il a dévoilé au grand jour « l’évidence de sa laideur ». La perte des cheveux signale en l’occurrence un moment de choc, de révélation. L’individu rend soudainement visible une nouvelle facette de lui-même.
Ainsi, la perte des cheveux signe parfois la fin d’une forme d’innocence. Là où les cheveux en bataille évoquent un côté juvénile et une force vitale littéralement débordante, croissant tous azimuts, le crâne chauve possède une forme de gravité. Celui qui n’a plus de cheveu ne peut plus changer de coiffure au gré de ses fantaisies, en variant leur couleur et leur coupe au cours des périodes de la vie. La calvitie renvoie non seulement au passage du temps, mais aussi à l’entrée dans un style capillaire définitif. Quelque chose d’immuable se dégage du crâne glabre.
Le magazine Psychologie répond à cette question : Pourquoi la calvitie fait-elle souffrir les hommes ?
Les cheveux comme marque d’appartenance
Notre rapport aux cheveux, en effet, est plus complexe et profond qu’il n’y paraît. C’est là, d’ailleurs, le propos de l’exposition « Cheveux chéris », présentée au Musée du Quai Branly il y a quelques années, qui s’attache à démontrer qu’il ne relève pas d’une simple frivolité [...]. « Partout, de tout temps, la coiffure permet de situer l’individu dans son groupe social », y apprend-on. « Un changement de coiffure marque un passage d’un âge à un autre, d’un statut à un autre. Il donne à l’individu une nouvelle identité ».
Perdre ses cheveux serait ainsi synonyme de rupture identitaire. Et sans doute, pour beaucoup, de passage dans un autre âge – plus avancé – avec tout ce que cela implique en termes de pouvoir de séduction. « Je n’ose plus regarder une femme qui me plaît en face car je me sens laid, poursuit ainsi Unselfconfident. Je pense ne plus pouvoir séduire, rencontrer une nouvelle compagne ».
Un signe de force
Pas de vie à deux sans cheveux ? Pas de confiance en soi possible quand on est chauve ? Le raccourci peut sembler absurde mais les traditions d’autres temps et d’autres cultures soulignent au contraire le pouvoir qu’on prête depuis des siècles aux cheveux. Un exemple ? Les scalps, qui étaient des trophées prisés des Indiens d’Amérique précisément parce qu’ils étaient censés faire circuler l’énergie et permettaient au vainqueur de s’approprier l’énergie vitale de son adversaire.
Symboliquement, donc, l’homme en perdant sa chevelure se retrouverait faible, fragile. « On pense ici à Samson qui, privé de ses tresses, se retrouve complètement désarçonné », rappelle quant à elle la psychanalyste Marie-Louise Pierson. De quoi comprendre pourquoi la seule idée de devenir chauve peut se révéler source d’angoisse.
Un symbole de vitalité
Pour Marie-Louise Pierson, la symbolique de la perte des cheveux va même au-delà. « Prenez les Chinois : eux se laissaient pousser de longues nattes qui, dans leur mythologie, servaient aux Dieux à les arracher aux enfers pour les emmener au ciel. Les cheveux renvoient donc aussi à l’éternité. Ne sont-ils pas, d’ailleurs, imputrescibles ? Ne continuent-ils pas à pousser après notre mort ? Voilà ce que sont vraiment nos cheveux : le symbole de ce qui pousse. Le symbole de la vie. »
De la chute des cheveux à la perte de l’élan vital, il n’y aurait donc qu’un tout petit pas… d’autant plus facile à franchir que nous vivons une époque très narcissique. « Notre image sociale repose sur un certain nombre de signes de reconnaissance, poursuit la psychanalyste. Des signes qui nous classent dans différentes catégories que sont l’âge, l’appartenance sociale, etc. Or les plus importants d’entre eux, aujourd’hui, sont justement les signes de vitalité ! Ils comptent bien plus que l’âge à proprement parler ».
Difficile, donc, de se sentir homme et sûr de soi quand on est privé de ce qui représente, plus ou moins consciemment, la force et la vitalité.
Nous invitons donc nos usagers en souffrance à lire l'Eloge de la calvitie écrite par Sinesius de Cyrène. Nous ne pourrons pas ici retranscrire l'ensemble des arguments de cette joute rhétorique, seulement quelques extraits. Nous vous invitons toutefois à la consulter dans son intégralité.
"Mon discours prouvera que les chauves ont moins de raisons que quiconque d'avoir honte.
En vérité, pourquoi rougir d'avoir la tête lisse, du moment qu'y poussent autant d'idées que dans celle, célébrée par Homère, du héros Achille ? Lequel ne se soucie guère de ses cheveux puisqu'il va jusqu'à les offrir à un mort ! [...]
Si l'homme est à la fois le plus intelligent et le moins velu des être vivants, de l'aveu de tous, le mouton - qui est le plus stupide de tous les bestiaux - est aussi celui dont la toison est la moins clairsemée et la plus épaisse. Conclusion : la pilosité est ennemie de l'intelligence puisque toutes deux refusent de coexister. [...]
L'argumentation qui précède nous amène à la réciproque ; à savoir : tout sage est chauve, et, donc, qui n'est pas chauve n'est pas sage. [...]
Maintenant nous avons la preuve que là où est l'intelligence les cheveux désertent, de même que l'intelligence déserte là où sont les cheveux. Voilà pourquoi même Socrate, le fils de Sophroniscos, homme si modéré par ailleurs et peu enclin à se louer lui-même auprès de qui que ce soit, ne pouvait pas ne pas regarder comme un honneur sa ressemblance avec Silène. En effet, il ne désirait rien d'autre que de faire de sa tête un réceptacle de l'intelligence. Aussi était-ce lui-même qu'il glorifiait quand il célébrait le Silène, mais, comme bien des aspects de l'esprit de Socrate, cela est resté caché aux sots.
Et de ceci que dis-tu ? Que la chevelure s'épanouisse tout particulièrement sur la tête des jeunes enfants, à l'âge où on ignore la raison, et qu'en revanche elle s'étiole sur celle des vieillards et disparaisse quand l'âge apporte intelligence et tempérance ne pousse-t-il pas à condamner les cheveux pour leur nature irrationnelle ? [...]
Si le public [fait bon accueil à ce discours] ; si, saisis de honte, ceux qui prennent soin de leurs cheveux se décident à les couper d'une façon plus modeste et réservée et se mettent à envier ceux qui ont la chance de n'avoir plus à les couper, ce n'est pas à moi qu'il faudra en savoir gré, mais plutôt à mon sujet, grâce auquel le plus piètre des orateurs a pu paraître quelqu'un à côté du meilleur. En revanche, si mes propos ne persuadent personne, c'est bien à moi qu'on pourra reprocher de n'avoir pas été, avec tous mes arguments, à la hauteur de Dion et de sons style aussi brillant qu'un crâne chauve.
Souhaitons toutefois que ceux qui auront eu cet ouvrage entre les mains en tirent quelque profit.
Bonne journée.
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