Question d'origine :
Cher Guichet,
les fonctionnaires sont soumis à un devoir de réserve, c'est-à-dire qu'ils n'ont pas à exprimer leurs opinions personnelles dans le cadre de leur travail, ni là où ils travaillent ni même en dehors. Aussi, un fonctionnaire doit-il faire attention à ce qu'il posterait en ligne.
Un fonctionnaire occupant des fonctions d'autorité est plus encore soumis à cette obligation. Première question : comment celui-ci l'est-il plus puisque ce devoir de réserve n'est pas défini par degrés mais semble être un absolu ?
Où commence l'expression d'une opinion personnelle ? Parfois ne se confond-elle pas avec de la "mal-pensance" ? Exemple, un fonctionnaire rappelle le référendum de 2005 en disant que le peuple n'a pas été entendu et qu'il s'agit donc d'un déni de démocratie : en quoi ce rappel des faits constituerait-il une opinion personnelle ? Le qualifier ainsi n'est-ce pas fixer les limites de ce que doit dire (et penser ?) un fonctionnaire ?
Aussi ma question principale est la suivante : quelles sont les limites concrètes du devoir de réserve du fonctionnaire ? Quels sont les sujets (parce qu'il semble bien qu'il y en ait et que cette liste ne soit pas clairement définie noir sur blanc) qu'on ne doit pas aborder (ou en tout cas, avec extrême prudence) au-delà de la religion ou de l'appartenance à tel ou tel parti politique ?
Un grand merci pour votre réponse sans langue de bois (si votre statut ne vous en empêche pas, bien sûr ;)).
Réponse du Guichet

Après des vérifications sur le devoir de réserve, nous pouvons vous certifier, sans langue de bois, que vous avez bien le droit de dire que... le ciel est bleu :)
Bonjour,
Le devoir de réserve s'est effectivement complexifié avec l'usage des réseaux sociaux et la limite entre ce que l'on peut dire ou non n'est pas toujours évidente. En parcourant les documents ci-dessous, vous verrez qu'il importe de faire preuve de prudence et de retenue.
Le site service-public.fr explique ainsi :
Un salarié qui participe à une mission de service public doit, comme tout fonctionnaire, respecter le devoir de réserve, y compris en dehors de son service. C’est ce que vient de rappeler la Cour de cassation dans l’arrêt rendu par la chambre sociale.
Un conseiller d’insertion sociale et professionnelle engagé par une mission locale est mis à disposition d’une commune pour y exercer ses fonctions dans le cadre du dispositif « seconde chance ». Son employeur le licencie pour faute grave pour avoir publié sur son compte Facebook, accessible à tous, des propos incompatibles avec l’exercice de sa mission. En effet, sur le réseau social, le salarié critique ouvertement l’action du gouvernement et certains partis politiques. Il y exprime également un prosélytisme religieux virulent. La cour d’appel d’Aix-en-Provence considère ce licenciement comme nul et prononce la réintégration du salarié. En dehors de son travail, le collaborateur d’un service public doté de la liberté d’expression peut librement critiquer l’État. Il a aussi le droit d’émettre des opinions politiques.
La Cour de cassation casse et annule l’arrêt rendu par la cour d’appel. Elle rappelle que tout salarié collaborant à une mission de service public est tenu, même en dehors de son service, à un devoir de réserve. Il doit s’interdire de manifester une opinion de nature à jeter le discrédit sur le service public qui l’emploie.
La Gazette des communes revient sur l'obligation de réserve en dix points :
L’obligation de réserve s'impose à tout agent public territorial. Y compris dans sa vie privée, sur internet, les réseaux sociaux... Son appréciation varie suivant les fonctions et le contexte dans lesquels l’agent s’est exprimé, notamment la publicité des propos. Un manquement à cette obligation peut constituer une faute disciplinaire.
(...)
le devoir de réserve impose aux fonctionnaires, même en dehors de leur service, de s’exprimer avec une certaine retenue. Cette obligation ne concerne néanmoins pas les opinions, la liberté d’opinion étant reconnue aux fonctionnaires, mais la façon dont ils les expriment.
Afin de respecter le principe de subordination hiérarchique et de neutralité du service public, ils doivent éviter, de manière générale, toute manifestation d’opinion de nature à porter atteinte à l’autorité de la fonction. Le devoir de réserve interdit, par exemple, de tenir publiquement des propos outranciers visant les supérieurs hiérarchiques ou, plus largement, dévalorisant l’administration.De même, constituent, par exemple, un manquement à l’obligation de réserve :
•la publication par un fonctionnaire de police d’un dessin offensant le président de la République ;
•la participation d’un fonctionnaire à un congrès préconisant l’indépendance des départements d’outre-mer ;
•ou, plus récemment, la prise à partie des parents d’élève par un employé de cantine sur de prétendus manquements aux règles d’hygiène
(..)
Certains agissements ne sont pas considérés comme portant atteinte à l’obligation de réserve. Il en va ainsi, par exemple, du fait pour un fonctionnaire de police de n’avoir pu empêcher des gestes et des cris hostiles au gouvernement lors d’une manifestation autorisée ou encore du médecin territorial qui s’exprime sur le sort d’un enfant, dans le respect du code de déontologie médicale
Face à cette problématique récurrente, soulignée d'ailleurs par Emmanuel Aubin (dans Rapport d'information sur la déontologie des fonctionnaires et l'encadrement des conflits d'intérêts), professeur de droit public qui note "une augmentation significative du contentieux disciplinaire lié notamment à la violation du devoir de réserve par des écrits sur des réseaux sociaux de fonctionnaires internautes s’affranchissant notamment sur leur blog de ce devoir de réserve dont ils ne connaissent pas bien les exigences", l'Inserm a mis en ligne un guide expliquant aux agents le droit de réserve et la liberté d'opinion.Il indique :
L’idée centrale est que ni nos opinions ni celles de nos collègues ou des usagers ne doivent interférer dans le service public. La fonction publique se refuse à toute discrimination. Et par suite, à toute propagande comme à tout affichage ostentatoire des opinions politiques ou religieuses. La préservation de la laïcité des services publics procède du même principe.
Quelle différence y a-t-il entre devoir de réserve et devoir de discrétion ?
P. A. : Le devoir de réserve est un instrument de la neutralité autant que de la dignité de la fonction publique. Il n’est pas défini par les textes, mais par de nombreuses décisions convergentes des juridictions administratives. C’est un devoir de mesure et de prudence dans l’expression. Parce que les propos outranciers ou injurieux tenus par un fonctionnaire constituent un comportement excessif qui rejaillit sur l’image de toute la fonction publique. D’autant plus si l’agent s’exprime au titre de sa fonction (comme directeur de recherche ou chercheur Inserm, par exemple).
Un pamphlet, signé d’un agent public, qui mettait en cause les fonctionnaires – dépeints sous les traits « d’abrutis » – a ainsi pu être considéré comme un manquement au devoir de réserve (justifiant une sanction disciplinaire). De même pour des tribunes ou prises de position publiques dénigrant son institution de rattachement, ses collègues, sa hiérarchie ou la fonction publique dans son ensemble. L’affichage ostentatoire d’opinions politiques ou religieuses fait courir le même risque.(...)
S’exprimer publiquement à titre personnel ne délie pas du devoir de réserve : les fonctionnaires en dehors de leur service y restent tenus.
Dans son expression publique, le fonctionnaire respecte en outre l’obligation de discrétion professionnelle. Elle consiste à ne pas divulguer de faits, informations ou documents non communicables aux usagers et dont on a connaissance dans l’exercice de ses fonctions.
(..)
Dans la période électorale qui s’ouvre (présidentielle, puis législative) une vigilance accrue s’impose.
En dehors de leur service, les fonctionnaires participent comme ils le souhaitent aux élections et à la campagne qui précède. Leur liberté d’opinion est entière, mais leur expression publique doit se concilier avec le devoir de réserve.(..)
•Un chercheur Inserm est interrogé par un média en tant que scientifique sur son domaine d’expertise. Dans ce contexte, le journaliste lui demande de se prononcer sur le programme Recherche d’un candidat particulier. À une telle question, il convient évidemment de ne pas répondre pour ne pas se mettre en situation de manquer à l’obligation de neutralité.
•Un élu est invité à ouvrir un colloque scientifique organisé par un chercheur Inserm. Il convient d’anticiper pour que cette prise de parole ne se transforme pas en tribune électorale. Et si un dérapage est constaté, de prendre courtoisement ses distances avec les propos tenus, qu’on y adhère ou non personnellement.
Mais on doit évoquer aussi une situation beaucoup plus proche du quotidien qui est l’expression sur les réseaux sociaux.
Divers articles reviennent sur des sanctions disciplinaires suite à ce qui a été considéré comme un manquement au devoir de réserve. Ainsi, en 2010, Le Figaro consacre un article, Une haute fonctionnaire poursuivie pour un pamphlet, à ce sujet et évoque l'exclusion de cette haute fonctionnaire qui, suite à l'écriture d'un récit incisif intitulé Absolument dé-bor-dée! ou Le paradoxe du fonctionnaire avait été sanctionnée pour manquement à son devoir de réserve et de discrétion.
Rebelote en 2013 avec cette fois-ci l'ouvrage caustique Abruti de fonctionnaire évoqué aussi par Le Figaro,
Un fonctionnaire risque la mise à pied pour un livre.
Nous pourrions aussi évoquer la révocation d'une conservatrice des bibliothèques qui avait tenu des propos critiquables sur sa page facebook. L'histoire est évoquée sur les blogs d'un maître de conférence et d'un juriste et bibliothécaire.
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