Qu'est-ce que la vanité ?
Question d'origine :
Qu'est-ce que la vanité ? Pourquoi ce mot est-il tombé en désuétude alors que notre société est saturée de vanité ? Quels liens faire avec les vanités de peinture ?
Réponse du Guichet
Vanité : "caractère de ce qui est vain, de ce dont la réalité ou la valeur est illusoire"
Bonjour,
Pour caractériser ce qu'est la vanité, nous commencerons par une approche linguiste et nous nous réfèrerons à la définition apportée par le Centre national de Ressources textuelles et lexicales :
. − [À propos d'une chose]
1. Caractère de ce qui est vain, de ce dont la réalité ou la valeur est illusoire. Synon. futilité, insignifiance, néant, vide.Vanité de la gloire militaire; vanité du monde, du siècle, des choses humaines; universelle vanité. Vous n'êtes sensible qu'aux espérances dont vous auriez dû depuis longtemps reconnaître la vanité. À quoi sert de chercher le bonheur où il n'est pas? Vous vous raidissez contre l'ordre éternel (Lamennais, Lettres Cottu, 1819, p. 58).La faute est pour une part de se lier par le rien; la vanité « qui s'est étendue sur toutes choses » est cette captivité dont nous sommes à la fois les geôliers et les détenus (Ricœur, Philos. volonté, 1949, p. 94).
− [P. allus. biblique] Tout n'est que vanité. Pour un titre ils vendraient leur âme, en vérité! Vanité! vanité! tout n'est que vanité! (Hugo, Hernani, 1830, IV, 1, p. 99).
2. Caractère de ce qui est inutile, de ce qui ne peut rester que sans effet. Synon. inanité, inefficacité.Vanité des efforts, des prétentions. Je voudrais dans le cours insister sur une question qui les comprend toutes, la vanité des classifications, montrer que l'histoire du droit est impossible sans celle des religions, qui non seulement s'y enlace et s'y mêle comme cause, mais encore s'y engendre elle-même à son tour (Michelet, Journal, 1842, p. 840).
− De vanité. Chacune de ses paroles était de vanité, et il me parut avoir, comme la plupart de ces hommes, un cerveau d'enfant dominé par des mots de spécialiste (Barrès, Jard. Bérén., 1891, p. 78).
3. Gén. au plur. Choses vaines et futiles; en partic., propos vains. Synon. futilité.Dire des vanités. Je vous arrache, parures! Elle arrache ses parures et les jette à terre. Tout, tout! reprenez tout! je vous dépouille, vanités, et je sortirai d'ici toute nue! (Claudel, Tête d'Or, 1901, 2epart., p. 254).
4. BEAUX-ARTS. Représentation picturale évoquant la précarité de la vie et l'inanité des occupations humaines. C'est (...) une « Vanité » [le tableau des Âges de la femme (1544) de Hans Baldung Green] comme l'étaient à la fin du Moyen Âge ces revers de tableaux opposant des trépassés, des « transis », à l'effigie d'un homme, d'une femme ou d'un couple en pleine jeunesse, comme l'étaient les danses des morts et comme le seront au XVIIesiècle ces innombrables natures mortes de « Vanités » (H. Haug, L'Art en Alsace, Paris, Arthaud, 1962, p. 123).
B. − [À propos d'une pers.]
1. Caractère d'une personne satisfaite d'elle-même et étalant complaisamment son plaisir de paraître. Synon. complaisance, fatuité, orgueil, suffisance.Basse, mesquine, petite, sotte vanité; flatter, ménager la vanité de qqn. Le frère de Pierre Gérard était un être d'une intelligence bornée, et très occupé de lui-même, des qualités qu'il pensait posséder. Il avait la secrète vanité d'être doué de tous les mérites et aurait voulu qu'on ne lui parlât que de lui, qu'on le régalât continuellement de son éloge (Duranty, Malh. H. Gérard, 1860, p. 35).
♦ Sans vanité. Sans vouloir se vanter. C'est que, sans vanité, ou avec vanité, notre maison passe pour la première de Koenigsberg (Stendhal, Nouv. inéd., 1842, p. 32).
♦ Faire vanité de (littér.)/tirer vanité de qqc. S'en glorifier, s'en enorgueillir. Mais il se tenait pour un chimpanzé méditatif. Et il en tirait vanité (A. France, Mannequin, 1897, p. 161).
2. Littér. Parole, acte de vanité. [L'orgueil] consume les petitesses et simplifie la personne même. Il la détache des vanités, car l'orgueil est aux vanités ce que la foi est aux superstitions (Valéry, Variété II, 1929, p. 172).
Prononc. et Orth.: [vanite]. Att. ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. A. 1. a) 1remoit. xiies. « ce qui est vide, de vaine apparence » (Psautier d'Oxford, éd. Fr. Michel, IV, 3: Purquei amez vus vanitet [...]? [Ut quid diligitis vanitatem]); cf. ca 1120-50 (Grant mal fist Adam, éd. H. Suchier, 119 c: Tot est vanité); b) 1170 plur. (Rois, I, XII, 21, éd. E. R. Curtius, p. 22: Laissez de cest siecle les vanitez); 2. 1remoit. xiies. « mensonge » humes de vanité [cum viris vanitatis]; parler vanité [vanitatem loqui] (Psautier de Cambridge, éd. Fr. Michel, XXV, 4; CXLIII, 8); 3. xiiies. [ms. xives.] « caractère de ce qui est vain, vide, néant » (Ms. Bibl. nat. fr. 15392 [Bible Guiart des Moulins], fol. 197 ds Trénel, p. 510: Vanité des vanitez). B. 1580 « caractère d'une personne satisfaite d'elle-même et qui désire paraître » (Montaigne, Essais, II, 10, éd. P. Villey et V.-L. Saulnier, p. 419: narration pure [...] exempte de vanité parlant de soy). Empr. au lat.vanitas, -atis « état de vide, de non réalité; vaine apparence, mensonge; tromperie, fraude; frivolité, légèreté; vanité, jactance ». Les premiers ex. du sens A, sont exclusivement empr. à la lang. chrét. (cf. Blaise Lat. chrét.). Fréq. abs. littér.: 3 472. Fréq. rel. littér.: xixes.: a) 7 176, b) 4 421; xxes.: a) 3 781, b) 3 999.
Pour une approche philosophique, nous commencerons pas citer un extrait de l'article de Barbara Carnevali sur cette notion de « Vanité » (publié dans Passions sociales) :
La vanité est la plus essentielle et propre qualité de l’humaine nature » ; « nous ne vivons que par relation à autrui ; nous ne nous soucions pas tant tels que nous soyons en effet, et en vérité, comme quels nous soyons en la connaissance publique. Tellement que nous nous defraudons souvent, et nous prisons de nos commodités et biens, et nous gehennons pour former les apparences à l’opinion commune » (De la sagesse, I, ch. XXXVIII). Comme le suggère ce passage de Pierre Charron, une voie originale pour parcourir l’histoire des passions sociales modernes est celle qui traque les vicissitudes de la vanité. Notion morale d’ascendance classique (le terme vient du latin vanitas) mais surtout biblique (outre le célèbre adage de l’Ecclésiaste, I, 2 et XII, 8, qui proclame « vanité des vanités, tout est vanité », le thème renvoie aux Psaumes), elle désigne le vide et l’inconsistance d’un être, l’homme, dont les aspirations et sa propre autoreprésentation dépassent sa réalité effective ; et sous cette forme elle est devenue, avec une connotation toujours fortement négative, un concept fondamental de la théologie chrétienne de la fin de la période antique et du Moyen Âge, et particulièrement de la théologie augustinienne. Bien que ces racines chrétiennes aient conditionné profondément la problématique moderne, c’est avec l’anthropologie de l’âge classique que la vanité a commencé à avoir un rôle spécifiquement social et politique, en tant que passion du sujet narcissique et égocentrique qui se compare aux autres avec une attitude compétitive – rôle qu’elle a conservé pendant toute l’histoire de la philosophie classique du sujet jusqu’à la fin du xxe siècle. Dans les limites restreintes de ces pages, sans oublier le fond métaphysique et théologique qui en constitue l’indispensable généalogie, nous ne considérerons la vanité que dans cette optique anthropologique spécifiquement sociale et moderne.
Comprise comme une passion, comme un attribut et un mobile du sujet social, la vanité peut être définie comme l’amour pour sa propre image sociale : attitude qui porte un intérêt intense, et surtout constant et toujours présent comme une basse continue, à la façon dont on apparaît aux yeux des autres. Elle est donc dérivée essentiellement de celle que, s’inspirant de Rousseau (qui reliait la vanité au « désir de plaire ») et de Mandeville (qui avait forgé le concept de self-liking), nous pourrions appeler « volonté de plaire », version séductrice de la moderne volonté de puissance. Comme le veut le mythe classique, la vanité est une passion narcissique et égocentrique, mais non solipsiste, dès lors que sa nature structurellement réflexive comporte un intense et frénétique échange social. Le sujet vaniteux, « moi-miroir » à la Charles H. Cooley, dont le rapport à lui-même se fait non en mode immédiat mais à travers sa propre image socialement réfléchie, a besoin d’un terme de comparaison pour pouvoir se juger et s’évaluer : ce miroir et cette échelle de mesure ce sont les autres, qui lui renvoient les réactions, les attestations, les signes de reconnaissance (gestes et paroles explicites d’évaluation, mais aussi simples regards et gestes expressifs), qui à leur tour sont constitués de manière relative et positionnelle par rapport à la valeur des autres sujets sociaux. Le je se regarde dans ses semblables et se compare à eux, avec l’espoir d’en sortir rassuré sur sa propre valeur et, dans sa soif d’auto-affirmation distinctive typiquement moderne, de pouvoir se complaire de soi, se sentir le meilleur, le plus désiré, le plus envié. De là naît le paradoxe de la vanité qui, comme aimait à le rappeler Georg Simmel dans sa Sociologie, « a besoin des autres pour pouvoir les mépriser ». C’est pourquoi la vanité doit être considérée, en même temps, comme la passion sociale et la passion asociale par excellence, le mobile auquel remonte en dernière analyse cette condition ambivalente qui caractérise la société humaine selon la pensée moderne, et que Kant appelait « l’insociabilité sociable ».
Jean-Maire André, « Le divertissement, la vanité et l’ennui chez Pascal à la lumière de Jacques Darriulat [1]. Les trois premiers moments de la tragédie de l’être humain à la recherche de son salut », Hegel, 2022/2 (N° 2), p. 166-173.
Pour La Rochefoucauld, contemporain de Pascal, la vanité est le ressort principal, sinon unique, de toutes les actions humaines. Son analyse, d’une extrême perspicacité, était morale, tandis que celle de Pascal était théologique car pour lui la vanité est un mal radical de notre nature, nous rendant aveugles devant l’incompréhensible tout en nous détournant du travail de la pensée. Elle a perverti intimement notre nature, nous portant à nous imaginer que nous étions au centre de l’univers et qu’ainsi celui-ci était à notre propre mesure. Cette obnubilation est une conséquence de la révolte de la Créature, qui a entrepris de se rendre autonome, et indépendante de son Créateur, se croyant ainsi capable d’être à elle-même son propre centre. C’est un fait de notre nature : où que j’aille, je ne verrai jamais le monde sensible que de mon propre point de vue avec cette vanité de la « perspective », qui, au cours du XVIIe, devint le « décor illusionniste » du théâtre. Mais l’illusion de la vanité ne vaut pas seulement pour le monde sensible et pour la seule perspective de la sensation ; elle vaut plus encore pour le monde moral, nous incitant à considérer toujours le monde de notre propre point de vue, nous incitant encore à juger toujours autrui à l’aune de notre propre intérêt. Dans le monde sensible comme dans le monde moral, l’intérêt de l’amour-propre se fait le centre de tout, voire le juge suprême....
Les lectures suivantes vous permettront d'enrichir vos réflexions sur la vanité :
MAGNARD Pierre, « Pascal ou la vanité de l'ego », Études, 2008/12 (Tome 409), p. 631-642.
SPICA Anne-Élisabeth, « La Vanité dans tous ses états », Littératures classiques, 2005/1 (N° 56), p. 5-24.
WALRAEVENS Benoît, « Vanité, orgueil et self-deceit : l’estime de soi excessive dans la Théorie des Sentiments Moraux d’Adam Smith », Revue de philosophie économique, 2019/2 (Vol. 20), p. 3-39.
De la vanité des hommes suivi d'une Lettre sur le bonheur / Matias Aires Ramos da Silva de Eça ; trad. du portugais par Claude Maffre ; préf. d'Eduardo Prado Coelho, 1996.
Enfin, nous vous suggérons une toute autre approche avec l'ouvrage Les arrogants / Sophie de Mijolla-Mellor, 2017 : "Propose une approche psychanalytique de l'arrogance, considérée comme une pathologie du narcissisme, mais aussi comme le révélateur des relations de domination".