Comment prendre de la distance avec le patient lors de son auscultation ?
Question d'origine :
Bonjour.
Quand on est étudiant.e en médecine et qu'on se spécialise vers une discipline qui ausculte les attributs sexuels du patient (généraliste, gynécologue, sage femme homme ou femme, andrologue, sexologue), comment fait-on pour être sûr de ne pas se laisser emporter par la pulsion sexuelle que pourrait susciter la vision de ses attributs sexuels ? Faut il gérer sur sa discipline personnelle ou est ce que ça s'apprend ? Est ce que ça peut s'apprendre ?
J'ai posé la question à une infirmière qui m'a répondu qu'elle avait une éthique de vie où le patient reste le patient et un amant potentiel reste un amant potentiel. C'est une réponse valable comme une autre. Mais à mon avis, avoir une éthique personnelle suppose une certaine culture générale, une certaine éducation, une certaine discipline que tout le monde n'a pas ou que tout le monde n'a pas eu l'opportunité de recevoir non plus. L'infirmière m'a dit que par l'expérience, ca devient de plus en plus gérable et on finit par ne plus s'en rendre compte.
Oui mais ma question est aussi: comment faire les premières fois quand on a justement pas d'expérience et qu'on ne fait que commencer les stages pratiques sur les patients ?
Est ce qu'il y aurait des documents PDF sur les techniques pratiquées ?
Réponse du Guichet

Les premiers stages pratiques seront forcément éprouvants mais vous devrez adopter une posture professionnelle induisant une certaine mise à distance physique et psychique, un respect de sa pudeur et de la vôtre, une grande faculté de communication avec votre patient.e afin d'expliquer quels soins intimes vous pratiquez et le suivi d'un protocole médical. Formations, conseils d'autres professionnels et debriefings seront de précieuses aides pour que petit à petit vous vous sentiez plus à l'aise dans vos pratiques professionnelles. Ces compétences s’acquièrent effectivement avec l’expérience auprès des patients mais aussi beaucoup au travers d’échanges entre soignants.
Bonjour,
Rassurez-vous, il est tout à fait normal pour un.e jeune soignant.e de ressentir des difficultés à adopter la bonne attitude ou à trouver la bonne réaction.
Votre formation et les stages que vous allez suivre auront pour fonction de vous apprendre ces deux notions clés : gestion des émotions et posture professionnelle adéquate.
Une certaine distance doit effectivement être observée entre soignants et soignés :
Il ne serait pas étonnant que « dépersonnaliser » les patients soit un réflexe inconscient chez les soignants, car il apporte plusieurs bénéfices.
Il permet de garder la bonne distance avec son patient.
Cette distante est importante pour éliminer toute ambiguïté dans les gestes pratiqués (qui peut se poser par exemple à l’auscultation des parties intimes d’un patient).
Cette distance les protège également d’émotions qui pourraient empêcher leur décision ou leur geste dans des situations parfois difficiles.
source : L’intimité des patients, un sujet trop souvent sous le tapis ! / Lucie Gueyffier
Quelques conseils sont apportés dans cet article. Ils parlent du métier d'infirmier mais sont valables pour tout métier de soignant.e :
Le métier d’infirmier s’attache au corps du patient ; l’infirmier agit sur les chairs, la peau du patient, sur le dedans, le dehors, il regarde, entend, sent, touche ce corps pour secourir, apaiser, choyer, panser, médicamenter, stimuler. Le corps du patient est un objet de soin.
Et c’est très complexe, car ce corps est habité par toute la dimension affective, émotionnelle et pulsionnelle du patient. Ce dernier est un corps et sujet pensant de ce corps. Les gestes infirmiers et les soins du corps sont particuliers et toujours soumis aux fantasmes du patient et du soignant. Mais dans cette asymétrie relationnelle, inéluctable du soin, on compte sur le soignant pour en prendre conscience et garder la bonne distance sans pour autant déshumaniser le soin. Bien-sûr, le patient est lui aussi soumis aux règles sociales de respect de l’autre et au règlement intérieur du service dans lequel il est accueilli.
Ainsi, tout l’enjeu de ce métier est de faire la liaison entre ces différentes dimensions qui nous constituent tous :
- à la fois, prodiguer des soins corporels, dans une relation d’intimité, de confiance et de proximité sans érotiser la situation ;
- et être suffisamment proche et soigner l’autre sans séduire.Le positionnement des soignants se doit d’être très subtil, sans ambiguïté. Mais parfois, malgré nous, s’instille des incompréhensions, des malentendus, de mauvaises interprétations de la part des patients mais également des soignants. Car le soin est avant tout une rencontre entre deux êtres humains, porteurs d’affects.
[...]
Il est important de rester dans son scénario professionnel, ce qui est prévu par les protocoles de soins, l’équipe et le règlement intérieur du service. Une mise à distance physique et psychique est toujours nécessaire (blouse et gants) pour tous les soins intimes. Lorsque l’on a dû faire face à une situation qui nous a mise à mal avec un patient, recourir à l'équipe qui jouera un rôle de tiers avec le patient trop entreprenant est important pour ne pas se sentir isolé.
source : Corps infirmier, corps du patient : quelle prise en compte la sexualité des patients en tant qu’infirmier ? / Catherine TROADEC et Dr Arnaud ZELER
La communication avec le patient et la pudeur semblent également être la clé. Le respect de la pudeur de l’autre ne s'opère que par une prise de conscience de sa propre pudeur :
Le succès de cette rencontre repose précisément sur la nécessité d’être comprise comme telle : doit s’y déployer une mutuelle attention, car le soin – par définition intrusif – ne réussit qu’en tant qu’il est partagé. Les oppositions sont nombreuses dans les textes – du bébé au vieillard – pour résister à cette intrusion. Parfois mises en mots, les résistances sont souvent moins immédiatement interprétables : cris, silences, regards énigmatiques qui transpercent le ou la soignante par la marque douloureuse d’un refus catégorique à se laisser faire par lui ou elle, qui s’en trouve alors blessé. Car c’est bien toujours elle, à ce moment-là, sa personne, qui est sur la sellette. Et c’est elle, ou lui, qui devra finalement apprendre comment et jusqu’où s’exposer elle-même, ou lui-même, dans le soin. Dans l’un des récits, un monsieur tente de contrôler l’intrusion de son intimité par une nouvelle personne – une de plus, sans doute – par un flot de questions inappropriées sur la vie personnelle de la soignante, qui s’affole devant cette symétrisation de la mise à nu. Chacun se défend comme il peut. Les sourires tant appréciés des soignantes semblent la plupart du temps se passer de mots pour attester du consentement des personnes à leur soin, au moins autant que de leur contentement. Les sourires sont l’encouragement qui permet de recommencer ce qui jamais ne va tout à fait de soi, ou du moins perd sa valeur de soin, le jour où il se routinise, devient indifférence, instrumentalisation ou chosification de l’autre, devenu objet d’un soin.
[...]
De façon étonnante, inédite, jamais décrite, la pudeur des soignants joue un rôle approché avec finesse par le truchement de cet ensemble combiné de textes où ce motif revient à de nombreuses reprises. [...] Regarder le corps est aussi – parfois avant tout – évité par pudeur. La pudeur prend donc une valeur éthique peu commune. Elle sert en même temps à voiler la nudité affolante de l’autre, et à respecter ce que la soignante, dans un premier temps, ne saurait regarder de ce corps sans que sa propre pudeur en soit affectée. La pudeur conjure ainsi effroi et affolement devant le risque d’un débordement pulsionnel ; certains corps sont séduisants, ils attirent le regard, s’en protéger est une nécessité interne pour continuer à faire le métier. Il est frappant que le toucher à tâtons, déconnecté du regard, est moins compromettant dans un premier temps, moins bouleversant. Le soin ne devient naturel qu’à partir du moment où le ou la soignante a pu ajuster son regard à sa pudeur, regarder sans impudeur tout en conservant la faculté de voir « un être humain, vulnérable et dépendant ». Il semble inapproprié de parler de détachement, en effet, puisque celui-ci comporte le risque de l’oubli et de la mécanisation ; il s’agirait plutôt d’une domestication du regard, au sens où celui-ci est à la fois dompté, rendu docile, et protégé dans sa fonction d’observation, comme le dit l’une des élèves, afin de voir l’autre comme un tout dans le moindre détail.
source : MOLINIER Pascale, « « Une première toilette, c’est comme une première fois » », dans : Catherine Deliot éd., La pudeur des soignants. Emois et résonances de la première toilette des élèves aides-soignants. Toulouse, Érès, « Trames », 2023, p. 11-20.
Voici quelques extraits d'un article qui pourra certainement vous intéresser : La place de la sexualité dans le travail infirmier : l’érotisation de la relation de soins / Alain Giami, Pierre Moulin et Émilie Moreau :
4.2. Les limites à ne pas franchir : « rester professionnelles »
Mais cette proximité agréable, cette intimité avec certains patients ne doit pas dépasser certaines limites : il faut trouver et maintenir une certaine distance avec les patients afin que l’infirmière puisse rester dans son rôle professionnel et donc contribuer à aider le patient :
« Ben, pour nous, il faut faire attention parce que... il faut quand même qu’on reste des professionnelles, quoi, parce que des fois, ils auraient tendance à essayer d’aller plus loin et déjà, il y en a qui... bon, pas tous, mais quand ils sont plus jeunes, bon, ils essayent de nous tutoyer et puis après, de faire copain-copine. Et nous, on est... on leur sert à rien si on devient leur copain. On n’a plus le même regard, on n’est plus professionnelles » [P19, infirmière, 58 ans].
Nous voyons bien ici toute la difficulté qu’expriment les infirmières à rester à la fois proches des patients sans s’identifier totalement à eux, à trouver cette « bonne distance thérapeutique » qui constitue un scénario dominant chez les professionnels de santé (médecins, infirmières et autres soignants) et du travail social. Ce scénario interpersonnel est enseigné dès l’école d’infirmières, répété par les professionnels sur le terrain clinique, et vient encadrer le colloque singulier avec le patient. Cela dit, ce script se trouve aussi être largement critiqué par les infirmières qui se trouvent tiraillées entre leur propre subjectivité et la nécessité de rester « d’authentiques professionnelles » :
« C’est pas évident de... le relationnel patient. Surtout que je dirais qu’on a... Alors, maintenant, je sais pas qu’est-ce qui est enseigné au niveau des écoles, mais nous, vous savez, on nous a toujours dit : “Attention, il faut savoir mettre des barrières, entre le patient et le professionnel. Vous n’êtes pas un bon professionnel si vous vous laissez trop aller. Si vous faites part de vos sentiments, si vous...” voilà » [P06, cadre infirmière, 48 ans].
L’expression d’une forte implication personnelle et de sentiments positifs envers les patients, ou envers certains d’entre eux, expose les infirmières à deux types de risques : d’une part, perdre la dimension professionnelle de leurs interventions (si la distance affective envers le patient est abolie) et d’autre part, s’exposer au risque du harcèlement et des abus sexuels. Comme on peut le noter à partir des extraits précédents, le premier danger de l’érotisation réside dans la proximité et l’implication affective et émotionnelle avec le patient qui ont un effet déstabilisant.
4.3. La survenue involontaire du sexe dans la relation de soins
L’expression sexuelle des patients peut déstabiliser l’infirmière (surtout en début de carrière) mais cette expression peut être excusée ou même tolérée quand elle est perçue comme involontaire de la part du patient, non intentionnelle ou accidentelle. Dans certains cas, les infirmières trouvent ainsi les ressources pour intégrer des situations imprévues dans le script interpersonnel du soin. C’est le cas notamment des érections réflexes qui peuvent survenir durant les examens, des soins tels que les toilettes intimes ou les massages et notamment chez de jeunes patients atteints de cancer testiculaire ou de patients souffrant de priapisme pathologique et qui peuvent mettre mal à l’aise les infirmières les moins expérimentées ; ce malaise se dissipera ensuite avec l’expérience, avec l’acquisition de stratégies d’adaptation et de compétences relationnelles permettant de faire face à ce type d’imprévu
Pour aller plus loin, nous vous recommandons la lecture des documents suivants :
- La pudeur des soignants : Emois et résonances de la première toilette des élèves aides-soignants / Sous la direction de Catherine Deliot, Christine Matherat dont vous pourrez consulter le sommaire sur cairn
- La posture soignante entre équilibre et adaptation / PERRIN Delphine
- La bonne distance de l’exercice infirmier / Émilie Moreau, Nadia Flicourt
- Quelle distance doit-on garder pour rester professionnel / Collectif AMP AES AVS
- Les soignants face à l’intimité et à la sexualité / Alain Giami
- Intimité, sexualité et soins [Dossier] (2018)
- Infirmières et sexualité, entre soin et relation / Alain Giami, Emilie Moreau et Pierre Moulin
Dont voici quelques extraits :
La nécessité de pouvoir effectuer un « travail sur soi » pour améliorer l’existant est évoquée par un petit nombre d’infirmières qui disent éprouver des difficultés personnelles manifestes, une gêne pour parler de sexualité avec les patient(e)s. Ces difficultés ont parfois été explicitées et en général elles ont fait référence à une éducation familiale rigide et marquée par de stricts préceptes religieux (chrétiens ou musulmans) mettant à distance le corps et la sexualité.
Dès lors, ces infirmières considèrent qu’il serait nécessaire d’effectuer un « travail sur soi » pour « être au clair » avec sa propre sexualité (son identité, ses propres fantasmes, ses envies, ses inhibitions et limitations, ses difficultés à communiquer) – « Faut se connaître, quand même, pour parler de ça. » (P07, infirmière, 25 ans) – et pouvoir ainsi ne plus se sentir gêné(e) si un malade aborde ce sujet, être capable de l’entendre, être suffisamment à l’aise pour dialoguer et lui apporter une réponse adaptée à ses besoins spécifiques, sans projeter ses propres problèmes sur le patient. [...]
Cette demande de « travail sur soi » prend aussi la forme d’une maïeutique, d’un « travail personnel d’interrogation » ; il est souvent question d’une « remise en cause de soi », amenant à réfléchir à des situations problématiques, subjectivement « interpellantes » (état de tension, fuite), au pourquoi ont-elles posé problème, à quelles réponses ont été apportées afin de trouver soi-même les solutions qu’il aurait été préférable de mettre en œuvre dans ces cas-là.
Certaines infirmières ont évoqué clairement le dispositif du « groupe de parole » (« facultatif » et « sans chef ») ou « table ronde », un « travail de supervision » animé par un psychologue, et réunissant des professionnels de santé qui vivent des situations similaires (décès en série, difficultés à trouver un sens dans des contextes émotionnellement très lourds, etc.). Un tel dispositif, évocateur des groupes de réflexion « Balint » (en référence au psychiatre et psychanalyste hongrois), doit permettre de dépasser le simple « soutien de couloir » tel qu’il se pratique déjà de manière informelle entre soignants d’un même service, et de bénéficier d’un regard compétent et extérieur aux équipes (l’extériorité étant pensée comme garante d’une plus grande objectivité/lucidité sur les situations à analyser) afin de comprendre et dépasser ce qui fait problème dans le collectif de travail.GIAMI Alain, MOREAU Émilie, MOULIN Pierre, « 7. Perspectives : propositions de travail formulées par les infirmières »
L’expérience professionnelle aidant, une infirmière en arrive à considérer que des situations de contact touchant les organes génitaux peuvent être désexualisées et intégrées de façon non contradictoire dans les scripts professionnels.
"Oui, au début, je mettais la distance professionnelle, quand j’étais étudiante en médecine… Et puis… ben c’est aussi parce qu’on n’était pas du tout en rapport avec le… enfin, pas trop… avec le corps des gens. Et le fait de… de faire les toilettes et tout ça, justement, ça met beaucoup plus à l’aise et… Ben, je trouve ça… enfin, c’est un rapport qui est… avec l’intimité, la nudité qui… qui est quand même… les gens sont complètement… ils se mettent à nu physiquement mais psychologiquement aussi, c’est quelque chose de… qui est pas… de l’ordre de la confiance… Ouais, c’est un contact qui est vraiment… qui est essentiel… Enfin, qui est essentiel… qui est très important voilà. (P01, infirmière, 40 ans)"
La désexualisation des actes et des relations potentiellement sexuels apparaît comme le produit d’un processus acquis lentement au fil de l’expérience et qui permet une proximité plus grande avec le patient. Cette proximité, empreinte de sympathie, apparaît liée à l’identité de genre.
[...]
Ce respect de l’intimité se conjugue de différentes manières, puisqu’il s’agit à la fois de : frapper à la porte avant d’entrer ; expliquer au patient le soin qui va lui être prodigué ; ne pas fouiller dans ses affaires ; ménager la pudeur des patients que l’on dénude lors d’un examen, un soin, une toilette (limiter le nombre d’intervenants dans la chambre, ne jamais découvrir totalement les personnes lors d’une toilette corporelle faite au lit, etc.). [...]
Il s’agit aussi d’observer une certaine retenue dans le regard (désexualisé) porté sur le corps malade mais aussi de réfréner ses émotions négatives (dégoût, effroi, horreur) que les dégradations corporelles peuvent parfois susciter spontanément
GIAMI Alain, MOREAU Émilie, MOULIN Pierre, « 4. L’érotisation du soin : l’infirmière, ses patients, ses collègues et les autres… »
Bonne journée.