De 1094 à 1279, c'est pas moins de huit croisades qui ont été lancées par les papes sur l'Asie mineure. Si la première est connue pour son succès notamment par la prise de Jérusalem, et la dernière pour être un désastre total, plusieurs de ces "pèlerinages armés" furent des succès pour les "latins" à un degré ou à un autre : on pense à la troisième croisade, en 1189, menée par Richard coeur de lion, ou à la sixième, en 1228 et sous l'égide de Frédéric II du Saint-Empire qui eut la grande originalité d'être menée sans violence.
Bonjour,
L'entrée "Croisade" du dictionnaire Larousse en ligne offre un aperçu clair et accessible de la chronologie des croisades. L'auteur y rappelle que "Seules les trois premières croisades, qui se déroulent au XIe et XIIe siècles, sont réellement des expéditions rassemblant toute la chrétienté occidentale pour conquérir, défendre ou délivrer la Terre sainte selon la volonté pontificale." Pour autant, le phénomène ainsi que l'idéologie nouvelle qui l'accompagne, aura des répercussions bien postérieures - et ne concernant pas uniquement la guerre contre des musulmans.
C'est que la religiosité chrétienne comme la civilisation occidentale étaient en pleine évolution : d'une part, les pèlerinages en "terre sainte" (Syrie-Palestine, et notamment Jérusalem) devenaient des preuves de piétés importantes ; d'autre part, l'expansion des Turcs, concurrençant l'Empire byzantin en Asie mineure, poussait les papes à inciter les seigneurs chrétiens à cesser de se faire la guerre pour affronter un ennemi commun.
C'est dans ce contexte que les premiers appels à la guerre sainte sont lancées à la fin du XIè siècle : dès 1074 le pape Grégoire VII "prépare une expédition qui n'aboutit pas". En 1095, au concile de Clermont, Urbain II lance un nouvel appel, lui adjoignant une promesse d'indulgence plénière pour les guerriers tombés au combat. Les premiers à partir vers la terre sainte ne sont pour autant pas des chevaliers, mais de simples pèlerins qui, traversant l'Europe centrale, se livreront à divers déprédations et massacres contre les populations locales, notamment les juifs - "parvenues quelques mois plus tard en Asie, ces bandes de pèlerins, conduites par Gautier Sans Avoir, sont massacrées par les Turcs".
Pas de victoire décisive à ce moment-là donc. Dans les années qui suivent cependant, "quatre armées" de chevaliers venues de France et de Sicile se rejoignent à Constantinople. Cette "croisade des barons" sera notre "première croisade". Après quelques différends avec l'empereur de Constantinople Alexis1er Comnène, moins intéressé par la conquête de la Palestine que par une aide contre ses ennemis turcs, un compromis est trouvé et les croisés prennent quelques places importantes, dont l'antique Nicée. Edesse est prise en 1097 et Antioche en 1098 puis, en 1099, c'est l'invasion de la terre sainte : Jérusalem est prise après huit jours de siège en juillet 1099.
Les royaumes chrétiens d'Asie mineure vont ensuite se renforcer et se structurer notamment grâce à des politiques de coopération méditerranéenne :
Au début du XIIe siècle, grâce au concours intéressé et efficace des Génois et des Pisans arrivés en renfort, l'expansion chrétienne s'étend à de nombreuses autres villes côtières de Syrie-Palestine. Raimond de Saint-Gilles prend Tortose, au nord de Tripoli, et fait édifier la citadelle du Mont-Pèlerin. Le royaume latin de Jérusalem s'enrichit d'Arsouf, de Césarée, d'Acre, de Beyrouth et de Sidon, dont la défense est confiée à l'ordre militaire des Templiers.
Une coalition musulmane reprend cependant Edesse dès 1144, ce qui "décide le pape EugèneIII à appeler à une deuxième croisade". Le roi de France Louis XII ainsi que l'Empereur romain-germanique Conrad III prennent la croix. Cette expédition sera un désastre et les deux rois rentrent en 1048 sans avoir repris Edesse. D'autant que, côté musulman, des stratèges avisés s'entraident pour harceler les principautés chrétiennes :
Cette entreprise se solde par un échec, d'autant plus préjudiciable aux États latins du Levant que la mobilisation musulmane trouve deux ardents artisans : Nur al-Din (fils de Zangi), prince fatimide de Syrie, et Salāh al-Dīn (→ Saladin), sultan ayyubide d'Égypte ; le premier s'attaque à la principauté d'Antioche qu’il réduit à une petite frange côtière entre mer et Oronte, puis il fait tomber ce qui reste du comté d'Édesse. L'action de Saladin est encore plus décisive ; il libère l'Égypte de l'emprise fatimide et l'unifie à la Syrie ainsi qu'à la haute Mésopotamie.
Saladin s'empare d'ailleurs de Jérusalem, "puis de quasiment toutes les possessions latines d'Orient ; seules Tyr, Tripoli et Antioche – du reste privées de communications entre elles par voie terrestre – échappent à sa domination" !
A cela un nouveau pape, Grégoire VIII, répondra en 1189 par l'appel à une troisième croisade, qui, elle, obtiendra quelques succès. Philippe Auguste de France,Richard coeur de lion, roi d'Angleterre et Frédéric 1er du Saint-Empire, dit Barberousse, l'entreprennent ensemble. Malgré la mort accidentelle de ce dernier en Cilicie, l'expédition entraîne de nombreux succès. Jérusalem n'est pas reprise mais Richard réussit au moins à négocier la liberté d'accès à la ville aux pèlerins chrétiens :
Les deux autres souverains, partis de Vézelay en juillet1190, empruntent la voie maritime par la Sicile –en chemin Richard conquiert l'île de Chypre–, et vont s'associer au siège d'Acre, établi depuis deux ans par les Latins du Levant. Après la capitulation d’Acre le 12juillet1191, Philippe II Auguste regagne la France, et Richard Cœur de Lion assume seul la direction de la croisade.
Vainqueur de Saladin à Arsouf et à Jaffa (septembre1191 et août1192), Richard Cœur de Lion reconquiert la totalité du littoral d'Acre jusqu'à Ascalon, mais ne peut s'écarter de ce dernier pour reprendre Jérusalem, en raison des menaces qui pèsent sur ses communications. Aussi signe-t-il avec Saladin, le 3septembre1192, une trêve de trois ans qui assure aux chrétiens la possession de la côte de Tyr à Jaffa ainsi que la liberté du pèlerinage à Jérusalem, en échange de facilités analogues reconnues par les chrétiens aux musulmans se rendant à La Mecque.
Les lieux saints étant toujours aux mains des "infidèles", l'Europe chrétienne va développer un véritable prurit de croisade au XIIIè siècle. Celles-ci se produisent dans un contexte de tension sans cesse grandissante entre les "latins" - catholiques romains - et les Byzantins, avec massacres et pillages mutuels. Au point qu'en avril 1204, c'est... Constantinople qui devient latine, pour une soixantaine d'années. Ce qui peut être considéré comme une victoire, mais pas contre les ennemis initiaux.
Une cinquième croisade désastreuse est réalisée en 1217-1219, passant par l'Egypte et n'arrivant nulle part. C'est alors qu'en 1229 a lieu une victoire d'autant plus stupéfiante qu'elle est emportée pacifiquement, par le simple jeu diplomatique d'un souverain chrétien et d'un souverain musulman s'estimant personnellement sans égard pour le pape :
Afin de contraindre l’empereur Frédéric II à accomplir le vœu de croisade qu'il a formulé en 1215, le pape Honorius III fait prêcher une sixième croisade. Mais, ne cessant de repousser son départ sous des prétextes divers, Frédéric II est finalement excommunié, et ses États sont frappés d'interdit par le pape Grégoire IX en 1227.
Frédéric II s’embarque alors en juin 1228 et, avec une habileté extrême, se fait céder les Lieux saints par le sultan d'Égypte al-Malik al-Kamil, à titre personnel et sans tenir compte des droits de l'Église. Par le traité de Jaffa (11 février 1229), qui institue entre les deux souverains une trêve de dix ans, il acquiert en effet Jérusalem, préalablement démilitarisée, Bethléem, Nazareth ainsi que les routes et les hameaux permettant d'accéder à ces villes depuis Saint-Jean-d'Acre.
Mais Jérusalem est reprise en 1244. Commence alors la septième croisade, menée par Louis IX dit Saint-Louis, et qui n'aboutira qu'à une précaire prise de Damiette avant que le roi soit fait prisonnier et doive rétrocéder celle-ci. Il s'élance à nouveau quelque vingt ans plus tard, mais seulement pour mourir devant Tunis. Ce sera la fin des croisades.
Comme nous le rappelle l'article de Jean Richard de l''encyclopédie Universalis, le bilan est pour le moins mitigé, et certaines réactions franchement hostiles:
En Occident, c'est l'échec de la deuxième croisade et, plus tard, celui de la cinquième croisade qui suscitèrent les plus vives réactions de scandale, en faisant douter que la croisade fût voulue par Dieu. Saint Bernard en tira la leçon en soulignant que le fait de participer à une croisade, en raison des sacrifices et des souffrances qu'il entraînait, était en lui-même une œuvre de sanctification, quel que fût le résultat de l'entreprise. Plus tard, des doutes s'élevèrent sur la légitimité d'opérations visant à répandre le sang des infidèles et à prendre leurs terres; d'aucuns blâmèrent les croisés d'abandonner leurs familles et leurs sujets envers lesquels ils avaient des devoirs à accomplir. On attaqua l'avidité de l'Église à propos du système de financement des croisades; en outre, on lui reprocha de les avoir détournées de leur but initial: la défense de la Terre sainte.
Le terme de "croisade" va également être utilisé dans des contexte n'ayant rien à voir avec la terre sainte : d'une part une partie de l'Europe (notamment l'Espagne) est musulmane à l'époque, et
En 1147, les privilèges de croisade furent étendus de même à ceux qui combattraient en Espagne et à ceux qui iraient défendre la frontière allemande contre les Slaves païens. Mais Innocent III précisa au début du XIIIe siècle que ceux qui défendraient les jeunes chrétientés des pays baltes contre les retours offensifs des païens de cette contrée ne recevraient que les indulgences acquises par les pèlerins de Rome ou de Compostelle et non celles des pèlerins du Saint-Sépulcre. L'invasion des Mongols en Pologne et en Hongrie décida Innocent IV à organiser contre ces envahisseurs une croisade (1241), qui fut à nouveau proclamée par son successeur Alexandre IV.
Toutes ces expéditions partageaient avec les croisades d'Orient le même caractère: c'étaient des guerres menées contre des non-chrétiens, non pour les soumettre au christianisme (la croisade se distingue, en effet, fondamentalement de la « guerre sainte» visant à la conversion forcée des infidèles, notion qui n'était pas étrangère à l'Occident carolingien, cependant que les canonistes refusaient de l'admettre), mais pour défendre la «patrie des chrétiens» et les chrétiens en danger. Mais d'autres furent dirigées contre des hérétiques ou des schismatiques. Telle la croisade contre les albigeois, qu'Innocent III se décida à proclamer à la suite de l'assassinat par les cathares du légat Pierre de Castelnau (1208): destinée à protéger contre les hérétiques les catholiques du Languedoc, elle aboutit à la conquête de la France du Midi par les barons du Nord [...].
Pour aller plus loin :
Les croisades [Livre] / Zoé Oldenbourg
La première croisade [Livre] : libérer Jérusalem, 1095-1107 / Jacques Heers
Croisades [Livre] : origines et conséquences / Claude Lebédel
Les croisades vues par les Arabes [Livre] / Amin Maalouf
Orient et Occident au temps des croisades [Livre] / Claude Cahen
Il était deux fois... les croisades émission de France Culture
Les Croisades par la BNF
Bonne journée.