Quelle est la part de déterminisme dans nos comportements ?
Question d'origine :
Est-ce que l'on est guide dans notre comportement d'une part par les codes sociaux mais aussi par ce que l'on ressent vraiment?
Réponse du Guichet
La part de déterminismes sociaux, mais aussi psychologiques, et de liberté dans nos actions est âprement débattue par les philosophes et les scientifiques.
Bonjour,
La question que vous abordez - quelle est notre part de liberté dans nos actions, vis-à-vis des codes sociaux qui nous façonnent - revient à nous interroger sur le libre-arbitre, que nous avons déjà traité ici. Le moins qu'on puisse dire est que les chercheurs s'interrogent :
- Un nouveau libre arbitre : à la lumière de la psychologie et des neurosciences contemporaines, Krystèle Appourchaux
Le « libre arbitre », cette capacité à choisir librement ou encore à déterminer notre propre volonté, semble menacé par les avancées de la psychologie et des neurosciences contemporaines. Or, certaines interrogations philosophiques doivent être résolues avant de tirer les conséquences de ces résultats empiriques : le déterminisme causal, qui est au fondement de toute démarche scientifique, est-il compatible avec la notion de libre arbitre ? Quel type de relation entretiennent l’esprit et le cerveau ? L’examen de ces problèmes fondamentaux constitue le préalable à l’interprétation des données issues des neurosciences, en particulier des expériences de Benjamin Libet qui ont semblé remettre en question l’efficacité causale de nos décisions conscientes. Par ailleurs, il est légitime de se demander si les limites de la conscience et le rapport qu’elle entretient avec les processus inconscients, qu’ils relèvent de l’Inconscient freudien ou de l’ « inconscient cognitif » mis en lumière par les neurosciences, constituent un frein à l’exercice de notre liberté.
Cet ouvrage esquisse une solution nouvelle à ces questions. Il montre comment la psychologie et les neurosciences, bien que menaçant la conception traditionnelle du libre arbitre, permettraient de concevoir en leur sein même une redéfinition de cette notion, envisagée comme une capacité relative et non plus absolue, nécessitant un apprentissage.
- Matière à décision, Thomas Boraud
Et si notre faculté à prendre des décisions relevait plus du hasard que d'un processus rationnel ? On a longtemps admis que, chez l'homme, la prise de décision résultait d'un processus cognitif et psychologique : l'esprit décide, le corps obéit. Or, le schéma est inverse : le mécanisme décisionnel est produit par la matière cérébrale. C'est un phénomène aléatoire qui résulte de processus de compétitions au sein d'un réseau dont l'architecture a peu évolué depuis les premiers vertébrés. L'extraordinaire développement du cortex, qui a rendu possible le développement de grandes capacités d'abstraction, n'a pas modifié la structure initiale du réseau de la décision : le processus conserve sa nature aléatoire, ce qui limite la capacité de l'homo sapiens à raisonner de façon rationnelle. Il en résulte que lorsqu'un individu pèse le pour et le contre, il ne fait ni plus ni moins que de s'en remettre au hasard de dés virtuels. Apprendre consiste dès lors à piper ces dés en sa faveur... Mais ce qui, selon des critères purement économiques, n'est qu'une rationalité limitée, est peut-être le prix à payer pour conserver la grande capacité d'adaptation, principale spécificité de l'espèce humaine. Un livre pour mieux comprendre comment fonctionne notre cerveau et comment s'opèrent nos choix.
- Pierre-Henri Gouyon : génétique et évolution (DVD)
Sommes-nous le produit de nos gènes ? Quelle est notre part de libre arbitre ? Qu’en ont pensé les chercheurs des siècles derniers ? Le grand généticien, spécialiste des OGM, sème en nous la graine du doute.
Par ailleurs, nous trouvons quelques travaux de scientifiques rattachés au CNRS :
Angela Sirigu, directrice de recherche au CNRS et responsable de l’équipe « Neuropsychologie de l’action » a participé au séminaire « Perspectives scientifiques et légales sur l’utilisation des sciences du cerveau dans le cadre des procédures judiciaires » : Neurosciences de la décision et libre arbitre, consultable sur HAL.
Benoît Le Blanc est MCF-HDR à l’École nationale supérieure de cognitique (Institut polytechnique de Bordeaux). Intégré à l’IMS (UMR 5218, Bordeaux) et prenant part à l’ISCC (CNRS, Paris), il travaille sur la place de l’humain dans la modélisation des systèmes d’information (interfaces hommes-machines, partage d’autorité, gestion des connaissances, etc.). Ses travaux entrent dans le champ de la cognitique, c’est-à-dire dans l’adaptation de la technologie aux capacités, limites et préférences humaines. Vous pouvez lire un de ses articles sur Cairn : La (non) place de l’altérité dans les sciences cognitives.
Pour approfondir vos recherches et trouver d’autres documents, nous vous invitons à consulter le site de l’Institut des Sciences Cognitives.
Une autre réponse abordait le problème par l'angle philosophique :
La table des matières de Qu’est-ce que la liberté? de Robert Misrahi en ligne sur Gallica vous donnera une idée de l’ampleur des débats philosophiques et de ses multiples directions.
Voici quelques titres ou articles qui pourraient néanmoins éclaircir la notion :
Thierry Hoquet: devenir libre là où le vertige naît, Le Monde, 20/11/2022
«Ce qui m’intéresse dans le concept de liberté, c’est la manière dont il articule le sentiment de notre puissance et le sentiment des contraintes qui pèsent sur nous. C’est dans cette dialectique que la liberté s’éprouve. On voit bien qu’un désir sans bornes, qui ne rencontrerait pas de résistance, ne serait peut-être même pas un désir réel. C’est en épousant les contraintes, en les affrontant, qu’on devient libre. Or c’est là que le vertige naît – dans cette rencontre entre la puissance et la contrainte, entre le sentiment d’un déterminisme qui existe, mais qui, justement, ne dit pas le dernier mot de l’expérience humaine, et notre désir fou, illimité.»
La liberté ou le pouvoir de créer, Robert Misrahi
«Mais l’aliénation n’est donc pas un fait qui s’oppose à la liberté ?
Il n’en est rien, seul un être déjà libre peut contester la situation dépendance et de souffrance où il se trouve, et imaginer une situation encore inexistante où il serait indépendant et heureux. C’est pour rendre compte de cette situation que je propose l’affirmation de deux niveaux de la liberté: d’abord la liberté spontanée et ensuite la liberté réflexive.
Il est donc clair pour moi que l’existence d’un être humain qui parle et agit et en outre parle et agit pour l’avenir, implique par elle-même ces deux niveaux de la liberté. Exister, pour un être humain, c’est par essence être libre (dans la dépendance ou l’indépendance) et pouvoir agir pour un «monde meilleur», c’est-à-dire pour une liberté heureuse et un désir accompli.»
La liberté intérieure : une esquisse, Claude Romano
«Claude Romano brosse les contours de la liberté intérieure comme autonomie, celle qui ne dépend que de nous. Le livre bataille contre une conception qui traverse toute l’histoire de la philosophie, qui associe la liberté à une maîtrise, à un contrôle de soi sur soi[…]
L’auteur, lui, entend réhabiliter la sphère de l’affectivité : lorsqu’une question existentielle nous taraude, il s’agit de mettre en balance des critères objectifs (est-ce opportun, est-ce moral ?) et des critères plus subjectifs (est-ce que cela me correspond ?). Quand les deux pôles d’égale dignité de la raison et de la sensibilité se rejoignent, quand les tempêtes sous un crâne cessent, se manifeste alors la liberté intérieure. Loin de se décréter, celle-ci se cherche, donc, et c’est dans le plein «accord avec soi-même» qu’elle se trouve.»
Recension de Martin Duru sur Philosophie magazine en ligne. Voir aussi sur le même site cet autre article.
Beaucoup plus ardu, Généalogie de la liberté d’Olivier Boulnois fait le tour de la question et conclut:
«L’homme ne naît pas libre, mais il peut le devenir»
L’auteur s’explique dans un article d’AOC Liberté éthique ou liberté métaphysique ?, ou dans une petite vidéo de présentation.
Bien sûr, l’incontournable passage La dialectique du maître et de l’esclave de la Phénoménologie de l'esprit de Georg Wilhelm Friedrich Hegel vient aussi à l’esprit.
Enfin voici deux ouvrages beaucoup plus abordables :
A nous la liberté ! , Christophe André, Alexandre Jollien, Matthieu Ricard
«Comment progresser vers la liberté intérieure, celle qui nous permet d'aborder sereinement les hauts et les bas de l'existence et de nous affranchir des causes de la souffrance ? Dès l'enfance, nous sommes entravés par les peurs, les préjugés et mille et un conditionnements qui nous empêchent d'être heureux. Se lancer dans l'aventure de la liberté intérieure, c'est défaire un à un tous ces barreaux, ceux que nous avons forgés nous-mêmes et ceux que la société de la performance, de la consommation et de la compétition nous impose. Ce livre, écrit à trois voix par un psychiatre, un philosophe et un moine, nous invite à un itinéraire joyeux pour nous extraire de nos prisons et nous rapprocher des autres». (source éditeur)
Pourquoi philosopher ?: les chemins de la liberté, Laurence Vanin
"A l'heure de la télé-réalité, d'Internet, du fast-food, de la course à la consommation et d'une existence à grande vitesse, est-il possible de prendre le temps d'une pause pour philosopher ? Cet ouvrage, par la justification du philosopher, invite à conquérir ou re-conquérir sa liberté intellectuelle et son indépendance dans l'action. Cette liberté permet ensuite à l'homme de décider, d'agir en conscience, d'être responsable de ses choix pour être créateur de son projet de vie. Ce livre s'adresse à tous ceux qui souhaitent aujourd'hui prendre le temps d'une sereine réflexion pour mieux appréhender les contingences du monde moderne". [source éditeur]
Bonne journée.