Quel vin Claude Brosse, viticulteur à Charnay-les-Macon a offert au roi ?
Question d'origine :
J'ai lu avec intérêt l'histoire de Claude Brosse, viticulteur à Charnay-les-Macon, qui a emmené du vin à la cour de Louis XIV en 1680 et est devenu célèbre, ainsi que les vins de la région. Cependant, je n'arrive pas à trouver quel vin cet homme a offert au roi, Gamay, Pinot, Chardonnay... Chasselas? Mercie de votre réponse. Avec mes sincères salutations.
Réponse du Guichet
Nous n’avons trouvé aucun texte historique mentionnant quel(s) vin(s) Claude Brosse aurait apporté(s) à Louis XIV. Partant, si ces vins étaient bien des mâcons, il semble qu’il pouvait s’agir de chardonnay, de petit gamay ou de pinot noir, et pourquoi pas d’un assortiment ! Mais sans certitude …
Bonjour,
Nous avons lu de nombreuses versions de cette histoire, parfois qualifiée de «légende», tant en ligne que dans les livres d’histoire du vin ou du mâconnais (ou par exemple dans Cosmos, revue des sciences et de leurs applications, volume 9 sur Google Livres). Jamais n’est mentionnée la nature des vins offerts à Louis XIV, le plus précis étant la mention «vin de mâcon» ou «ses meilleurs vins».
Il faut dire qu’à l’époque, il n’y avait pas encore d’appellation précise hors celle du nom de la ville la plus importante et tous les vins du Mâconnais étaient nommés vins de Mâcon.
Nous nous sommes donc penchés sur l’histoire des cépages mâconnais.
A vrai dire, il semble que les cépages produisant le mâcon étaient à peu près les mêmes au XVIIe qu’aujourd’hui :
« Le mâcon est un vin français d'appellation d'origine contrôlée, produit en Saône-et-Loire (Bourgogne), dans le Mâconnais.
Cette appellation comprend pas moins de 27 dénominations géographiques (exemples : mâcon-lugny, mâcon-chardonnay, mâcon-loché, mâcon-péronne, etc.), ainsi que plusieurs produits (blanc, rosé et rouge).
Sa superficie est de 3345,82 hectares avec trois cépages plantés, qui sont le chardonnay pour le vin blanc, et le pinot noir et le gamay pour les vins rouges et rosés. »
Article Mâcon (AOC), Wikipedia
Or dans l’article Philippe le Hardi, le duc qui a fait du pinot noir le roi des bourgognes, on peut lire :
«Philippe le Hardi prit une mesure radicale par une ordonnance de 1395 : l’interdiction du « déloyal gamay » et de tous les cépages autres que le pinot ! Le pinot fut ainsi sacré cépage emblématique de la qualité bourguignonne. Mutant également en pinot blanc et chardonnay, la Bourgogne des vins fins, en blanc comme en rouge, s’imposa comme vignoble de monocépage : le pinot noir à jus blanc pour les rouges, le chardonnay pour les blancs.»
Sur le site du Musée des Boissons, à la page Vins : Mâcon, on peut voir cependant que le gamay, même «petit» est réintroduit au XVIIe :
«Au XVIIème siècle (édit des échevins de Mâcon de 1620), le « Mâconnais » cherche, pour sa production de vins rouges, à n’utiliser qu’une variété fine dite « petit gamay ».
A cette même époque, le cépage chardonnay B est implanté pour la production de vins blancs.
Les lourdes mesures fiscales prises par la ville de Lyon, dissuadent les producteurs de l’approvisionner en « vins courants ». Ces producteurs se tournent alors vers la production de « vins fins », vendus à des prix plus élevés sur le marché parisien.»
Le texte suivant, un peu long, replace l’existence de ces cépages à la fois dans le contexte géographique et le contexte historique de la proximité-rivalité avec le Beaujolais.
«De son rattachement au duché de Bourgogne, le Mâconnais a suivi, du moins pour ses vins blancs, la recherche de qualité par laquelle les grands ducs ont cherché à promouvoir les cépages nobles de pinot et au contraire à interdire les cépages de gamay. Il y a lieu de rappeler ici le célèbre édit de 1395 par lequel le duc Philippe le Hardi ordonne d’arracher de Bourgogne le «très mauvais et très déloyaux plant nommé gamay» ce plant donnant selon le même édit un vin «horrifique et puant». Dans les siècles qui suivirent, chaque fois qu’il s’agira de marquer leur différence par rapport au vignoble du Beaujolais entièrement tourné avec le gamay vers une production de quantité, les marchands mâconnais mettront en avant cette différence.
Ainsi, Roger Dion (Histoire de la vigne et du vin en France p.377) [en fait p. 577 NDLR] citant les Archives départementales de Saône-et-Loire C.534, rappelle qu’à l’occasion d’un procès intenté à partir de 1616 par les échevins de Mâcon contre ceux de Villefranche-sur-Saône, les premiers ne manquèrent pas de souligner vivement que les seconds ne produisaient qu’à partir «de gamay... qui est une espèce de raisin l’usaige duquel est interdict en tout plain d’endroictz, mais spécialement au comté de Bourgogne, pour estre de sa nature grandement corrosif».
Parce qu’ils étaient produits à partir de ce cépage de pinot blanc ou chardonnay (qui est d’ailleurs le nom d’un village du Mâconnais viticole... ), les vins blancs du Mâconnais, considérés comme «vins ordinaires de France» sans que ce mot ne revête le caractère plutôt peu qualifiant qu’il a de nos jours, étaient prisés du marché parisien où ils arrivaient après voyage terrestre par le Charolais, aux ports fluviaux de la Loire roannaise, d’où ils gagnaient Paris par le «canal de Montargis». C’est alors que pour ces transports le vignoble du Mâconnais acquit sa particularité par rapport au vignoble de la Côte bourguignonne, en utilisant la «pièce mâconnaise» d’une contenance de 215 litres, différente de la «feuillette» bourguignonne d’une contenance de 228 litres. De même la «bouteille» mâconnaise fait 0,80 litre.
Avec ces contenances bien identifiées, les vins du Mâconnais circulent par les monts du haut-Charolais granitique descendant jusqu’à Roanne ou Pouilly-sous-Charlieu et sont ainsi exempts de droits «jusqu’au bureau de Nemours», comme le rappelle un marchand mâconnais en 1729...
C’est que, vers le sud, les vins du Mâconnais se heurtaient à vive concurrence du vignoble du Beaujolais placé dans la mouvance et sous la protection de la ville de Lyon par de lourds péages dont devaient s’acquitter les marchands mâconnais dès leur arrivée au port de Villefranche-sur-Saône.
On peut dire sans erreur que c’est cette contrainte douanière qui, en fermant le vignoble mâconnais au marché lyonnais au profit du vignoble beaujolais, contraignit le premier à une recherche de qualité et l’obligea, avec celle-ci, à chercher les débouchés vers les pays du Nord et notamment Paris. Cependant qu’assuré du massif marché lyonnais, le vignoble du Beaujolais se contentait sur ses sols gréso-cristallins, avec le cépage de gamay, d’une production de quantité de vins agréables mais de faible garde...
Les archives sont remplies de ces querelles qui étaient loin d’être à sens unique... car le péage de Mâcon, dont on connaît l’existence depuis 812 jusqu’à la Révolution, était fort actif (A. Guerreau, la Saône axe de civilisation, pp.365 à 383) et additionnait, à partir du XVIe siècle, le péage du roi, celui de l’évêque et celui des familles Chevrier et La Salle.
De même, les édiles de Mâcon ne se privaient pas de taxer à leur tour «toute botte de vin de Beaujolais, même pour passer debout» (Mémoires des prévôts des marchands et échevins de Lyon et de ceux du Beaujolais, 1722, Arch. Nat. H 101).
Enfin, s’il est vrai que les vignerons du Mâconnais ont très tôt misé pour la production de leurs vins blancs sur le cépage pinot blanc chardonnay, ils ne se sont pas interdits, loin de là, malgré leurs protestations, d’utiliser, notamment pour produire des vins rouges, des cépages de gamay, mais il est vrai d’un «petit gamay» ou «gamay fin» venant bien sur le Mâconnais méridional cristallin qui fait transition avec le Beaujolais proche, de même nature géologique.
Cette dualité historique et géologique fait encore de nos jours la spécificité du Mâconnais, tirant vers le Beaujolais par ses rouges au sud, se rattachant à la Bourgogne de la Côte chalonnaise beaunoise et nuitonne par ses blancs, dès que l’on arrive sur les terroirs marno-calcaires et calcaires.»
Le vignoble du Mâconnais, entre Côte d’Or et Beaujolais, approche géographique, Gérard Mottet, Les vignobles de l’Est de la France, Revue géographique de l’Est, vol. 44/1-2/2004.
Voir aussi La fabrique urbaine du terroir et des climats de Bourgogne (XVI-XVIIIe siècle), Jean-Pierre Garcia, Thomas Labbé, Guillaume Grillon. Mais là, l’affaire se complique car les auteurs y mentionnent un cépage chanay (p.151), « aujourd’hui oublié » !
De son côté, l’ouvrage Claude Brosse et le commerce du vin mâconnais de Maurice Charnay, s’il est très disert sur la famille, les possessions de Claude Brosse et les lignes commerciales du mâconnais, ne mentionne pas du tout les cépages.
Voir aussi la réponse Claude Brosse sur le Guichet du Savoir.
Apparemment, on peut en tous cas éliminer le chasselas si l’on en croit cet article du Mondial de Chasselas :
Le village de Chasselas aimerait avoir donné son nom au cépage :
«Louis XIV sous le charme
Dans les caves, derrière un verre de Saint-Véran tiédi par la canicule, les vignerons acquiescent sans en faire un fromage. A leurs yeux, le chasselas de nos contrées, qui a disparu de leurs coteaux, est bien meilleur dans une assiette de dessert que dans un verre, et ils ne l’échangeraient pour rien au monde contre un cep de gamay ou de chardonnay. Et à cet égard, l’histoire prétend que le roi Louis XIV était du même avis. Il se raconte en effet qu’un vigneron mâconnais du nom de Claude Brosse entreprit en char à bœufs, en 1695, le voyage de Versailles afin de tenter de vendre son vin à la Cour du roi. Remarqué par le monarque en raison de sa haute taille, une curiosité à l’époque, il parvient à l’intéresser à ses produits, et ceux-ci trouvèrent à Paris un juteux débouché.
En signe de reconnaissance, Claude Brosse apporta à Louis XIV des sarments d’un raisin de table charnu que le monarque trouva exquis et qui donnèrent naissance, dit-on, à la célèbre treille royale de Fontainebleau. En l’espèce, il s’agissait de chasselas en provenance du village de Chasselas, dont la culture pour la vinification avait été interdite en France plusieurs années auparavant et dont le nom, en tant que raisin, figurait dans le dictionnaire de l’Académie depuis 1694.»
Voir aussi : Chasselas (cépage), Wikipedia
A savoir, selon le Dictionnaire des noms de cépages de France de Pierre Rézeau, le Chardonnay provient d’un croisement entre le Pinot et le Gouais B, tandis que le Gamay est issu d’un croisement entre le Pinot noir N et le Gouais B (voir Pl@netGrape).
Enfin peut-être pouvez-vous contacter la Médiathèque de Mâcon, qui possède, par exemple, dans ses collections Le commerce du vin autrefois : Cépages, vinification, clients, taxes, prix, transport : une étude solide et détaillée sur le commerce des vins aux XVIIe et XVIIIe siècles en Mâconnais, Cahier n°4-5 des Etudes mâconnaises.[Référence à la Médiathèque]. Elle pourrait être à même de trouver une réponse plus précise.
Bonnes lectures !
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