Je recherche des extraits de roman/poèmes qui joueraient avec la mise en page
Question d'origine :
Cher Guichet,
Je suis à la recherche d'extraits de roman/poèmes qui joueraient avec la mise en page en ayant du texte barré - et plus largement, de textes qui abordent la notion d'erreur dans leur forme même.
Est-ce que cela vous fait penser à quelque chose ?
Merci !
Réponse du Guichet

La rature d’un texte littéraire est souvent réservée aux étapes préliminaires du travail d’écriture, au travail préparatoire, à ce que l’on appelle le brouillon. Mais la rature fait parfois irruption dans le texte publié et alors ce n’est jamais anodin.
La rature dans un texte fait en premier lieu penser à la technique du caviardage : cette technique consiste en la suppression d'un mot, d'un passage ou d'un dessin dans une publication ou un manuscrit par oblitération à l'encre noire. Elle s'apparente dans sa forme originelle à la censure mais peut être aussi un jeu d'écriture.
Cette expression semble faire référence aux pratiques russes sous Nicolas Ier où l'on utilisait de l’encre noire pour rendre des passages de la presse illisibles et pratiquer ainsi la censure. L’association d’idées “couleur de l’encre” et “Russie” a donné lieu au nom “caviardage”.
Le caviardage est bel bien un procédé créatif et littéraire. En effet, si au départ caviarder signifie donc supprimer en biffant à l'encre noire les passages d'un texte interdit par la censure, par extension, supprimer spontanément certains passages d'un texte permet de jouer avec la langue en en modifiant le sens par exemple. Ce qui se révèle être un excellent moyen de faire passer un message.
On trouvera facilement ce procédé dans la littérature Avant-garde. Le dadaïsme et le surréalisme dont les membres étaient férus de mise en page décalée en faisaient régulièrement usage, dans leurs revues par exemple…Vous trouverez quelques illustrations dans l'ouvrage Manifestes dada surréalistes présenté par Georges Sebbag.
L’Oulipo, (L'Ouvroir de littérature potentielle) mouvement spécialiste des littératures à contraintes a également utilisé le procédé du caviardage. Je vous renvoie sur ce point sur une réponse du Guichet du savoir dont la question initiale peut se rapprocher de la vôtre.
Raymond Roussel, écrivain excentrique du début du XXème siècle et salué par les surréalistes laisse une œuvre basée sur des jeux de procédés d'écriture. Il est intéressant de se pencher sur la publication de ses manuscrits publiés chez Pauvert, Œuvres où l’on découvre un texte repris, raturé et où l’auteur s’amuse à marquer les évolutions narratives de son texte en signalant les différentes corrections.
Cela participe à l’exploration du processus créatif de l’auteur. Et si cela vous intéresse vous pouvez aussi vous pencher sur La fabrique du pré de Francis Ponge. Cet ouvrage offre la possibilité au lecteur d’accéder à «l’atelier de l’auteur», et d’assister à la fabrication du texte. Francis Ponge restitue donc dans cet ouvrage l’histoire de son écriture à travers ses brouillons successifs en utilisant des artifices de mise en page «sans tricherie » afin de guider le lecteur dans son texte. On peut y voir se dessiner peut-être une esthétique de la rature.
Laurence Sterne dans La vie et les opinions de Tristram Shandy (18ème siècle) use d’une écriture fantaisiste et utilise des procédés de correction/dissimulation visibles dans la mise en page de son texte.
Dans la littérature plus contemporaine je ne saurais que vous conseiller d’aller voir du côté de Hans Limon et de son Poéticide publié chez Quidam éditeur en 2018. Formidable texte irrévérencieux dont les poèmes sont rayés d’un trait noir.
Les poèmes de Ménétrol par Armand le Poète sont aussi truffés de ces ratures qui éclairent le lecteur sur le message réel du poète.
Les minute poems de Jean-François Bory en sont une belle illustration également.
Nous vous conseillons aussi le formidable petit ouvrage collectif Dictionnaire de la rature qui propose sous une forme originale de désigner des «erreurs» si l’on peut les qualifier ainsi de la langue française, des mots qui selon les auteurs «ne méritent pas d’exister».
Des ratures sont aussi présentes dans La maison des feuilles de Mark Z. Danielewski, étrange roman calligramme à la mise en page étonnante.
Enfin pour terminer voici un exemple de couverture avec une rature pour souligner l’importance du terme choisi. Ouvrage dans lequel 1500 dessins viennent illustrer autant de mots de français. C'est en composant ce petit cahier que Slawomir Mrozek avait appris le français dans sa jeunesse.
Mon cahier de dessin de Slawomir Mrozek publié aux Editions noir du blanc.