Pouvez-vous m'aider à mieux comprendre les termes employés dans ce roman de Montherlant ?
Question d'origine :
Bonjour, dans le roman de Montherlant 'La rose de sable', un personnage prononce la phrase suivante : « vivement le Maroc français ! Un pays où les hommes ne s’appellent plus Raphaël ! ». Je me demande le sens de ce nom : avant l’arrivée des colonisateurs français, était-il plus répandu ?
À un autre moment du roman, on parle d'un vieux personnage en disant qui « [il] finochait ferme ». Je ne trouve pas ce verbe dans aucun dictionnaire, pourriez-vous me donner une piste ?
À un autre endroit du roman, pour parler d’une œuvre médiocre, on dit que « ce roman n’était pas l’histoire de Rastignac ni celle de Julien ». Je me suis demandée s'il s'agissait de Julien l’empereur ou d'un autre personnage dont j'ignore l'identité.
Enfin, et j'ai vraiment conclu, dans ce roman plein de difficultés, un peintre peint quelques planches surréalistes accompagnés de cette légende : « Un homme à tête rasée, comme le sont les hommes de proie, vêtu en paon et en samouraï, fait des pas autour d’une épée enfoncée en terre, etc. » Je n'arrive pas à identifier avec précision ce qu'un « homme de proie » pourrait être dans le contexte du Maroc des années ‘30.
Merci d’avance !
Réponse du Guichet
Voici quelques éléments de réponse et d’interprétation concernant vos interrogations sur le roman "La rose de sable" d’Henry de Montherlant.
Bonjour,
Rappelons que le roman de Montherlant, écrit entre 1930 et 1932, constitue une charge féroce contre le colonialisme français. Nous suivons ainsi l’évolution morale de son personnage principal, Lucien Auligny, jeune officier français, affecté dans le Maroc des années 30, alors sous protectorat français. Ce dernier nous apparaît au début du roman, plein des certitudes et des préjugés propres à sa classe. C’est ainsi que Montherlant nous le dépeint, dans les premières pages, comme quelqu’un de particulièrement intolérant et fier de la "mission civilisatrice" de la France.
«Auligny se sentit les nerfs râpés par quiconque ne parlait pas français. Encore des maquereaux se dit-il avec dégoût. Ah! Vivement le Maroc français! Un pays où les hommes ne s’appellent plus Raphaël!»
A son arrivée au Maroc, il est dégoûté, à parts égales, par la présence des autres peuples, qui cohabitent dans ce Maroc du début du XXe siècle: les Arabes, les Espagnols mais aussi les Juifs.
D’où l’utilisation à cet endroit du prénom Raphaël, d’origine hébraïque (Wikipedia), pour renvoyer à une altérité.
Pour le terme "finocher", nous ne sommes malheureusement pas parvenus à contextualiser la phrase d’origine, dans le roman. Nous pouvons simplement dire que ce verbe apparaît dans des dictionnaires d’argot et signifierait "enjoliver", "camoufler" ou encore "fignoler".
"Ce roman n’était pas l’histoire de Rastignac ni celle de Julien". Ce prénom fait très probablement référence à Julien Sorel, figure principale du chef-d’œuvre de Stendhal, "Le rouge et le noir" et autre personnage fiévreux et ambitieux du 19e siècle littéraire.
"Un homme à tête rasée comme le sont les hommes de proie". Sur ce point, nous pouvons juste supposer qu’à une époque (au Maroc comme ailleurs), où les crânes rasés étaient beaucoup moins fréquents et tendance qu’aujourd’hui, ce geste radical vous plaçait, d’emblée, aux marges de la société.
"Le rasage, c’est une marque de l’esclavage, de suppression de l’identité, un signe de dégradation" comme nous l'explique l'anthropologue, Christian Bromberger (Les sens du poil).
Bonne journée,
Réponse du Guichet
Voici ce que nous évoque vos interrogations...
Bonjour,
Nous allons essayer de répondre à vos questions même si l’œuvre de Montherlant laisse une part d’interprétation subjective au lecteur mais aussi à une part à l’esthétique même de l’auteur.
La phrase prononcée par le lieutenant Auligny qui est le personnage principal de ce roman considéré comme anticolonialiste, n’a de sens qu’en prenant également compte des passages précédents qui révèlent la xénophobie du personnage. En effet, le début du roman prend place à Tanger dans un petit café espagnol du port. Le personnage principal et sa personnalité chauvine, nationaliste nous y est présenté. C’est dans ce contexte, que l’on peut voir le personnage s’agacer facilement des attitudes des Espagnols: langage, accents, leur manière de mettre du lait dans leur café… Un agacement que Montherlant en tant que narrateur omniscient qualifie ainsi :
« C’est sur de pareils faits que sont fondées les haines de race ».
Mais il faut comprendre que les Espagnols évoqués dans ce café sont Juifs. Effectivement, cela est mentionné lors de la première page du livre, ils sont désignés comme : « Juifs aux sourires doucereux ».
Pour comprendre cette subtilité, il faut revenir sur la situation des populations juives séfarades persécutées et expulsées d’Espagne en 1492 et dont l’émigration en Afrique du Nord fut courante notamment au Maroc, à Fès et à Meknès puis plus tard Tétouan qui se situe au sud-ouest de Tanger. On appelle également ces populations « Megorachim » (ou « Megorashim ») ce qui signifie « renvoyés » en hébreu. Tanger devient un foyer d’essor pour ces populations au XVIIIème siècle lorsque le port se développe commercialement suite à son statut de « capitale diplomate » au sein de l’Empire chérifien et notamment dans le cadre d'une course à l’impérialisme entre la France, l'Espagne, le Royaume-Uni et l'Allemagne. De fait, il existe donc une communauté juive espagnole installée au Maroc depuis le XIVème siècle et il en est question ici dans cette phrase du roman.
L’utilisation du prénom « Raphaël » dans cette phrase nous permets donc de comprendre l’antisémitisme d’Auligny. Raphaël étant un prénom de racine hébraïque, largement utilisé dans le monde hispanique et portugais, il faut donc comprendre cette phrase dans le sens où le personnage espère que la colonisation française du territoire chassera la population juive espagnole qui y est présente.
Nous n’avons pas trouvé de définition propre pour le verbe « finocher » à l’exception de dictionnaires d’argot avec la signification de « fignoler », « enjoliver » ou « finir ».
Ensuite, la mention du personnage de « Julien » ne pas référence à un personnage historique mais plutôt très probablement au personnage littéraire de Julien Sorel, héros principal de l’œuvre de Stendhal, le Rouge et le Noir et dont l’admiration pour Napoléon et le guerrier qu’il représente est sans limites.
Quant à la mention de « l’homme de proie » dont nous n’avons pas trouvé la signification mais pensons qu’elle pourrait être celle d’un hors-la-loi ou d’un prisonnier... La tête rasée faisant penser à un bagnard, on peut penser qu’il s’agit ici dans le contexte du Maroc des années 1930 d’une manière de désigner soit un déserteur soit effectivement un prisonnier.
Pour mieux appréhender le contexte des populations de Tanger dans les années 1930, nous vous conseillons quelques lectures :
- Mélanges tangérois : naissance d'une communauté juive au XIXe siècle de Joseph Bengio, 2013.
- Les Juifs d'Espagne : histoire d'une diaspora (1492-1992) dirigé par Henry Méchoulan, 1992.
- Une certaine histoire des Juifs du Maroc de Robert Assaraf, 2005.
Nous vous souhaitons de bonnes lectures ! :)