La perception que nous avons des chevaliers et samouraïs est-elle la bonne ?
Question d'origine :
N'est-ce pas un fait historique que la plupart des chevaliers en Europe et des samouraïs au Japon n'étaient pas vraiment des gens héroïques et admirables malgré l'image qu'on leur donne aujourd'hui?
Réponse du Guichet
Le chevalier et le samouraï tels que nous les concevons aujourd'hui, suivant à la lettre un code d'honneur, sont en grande partie un mythe créé au cours des siècles, et le premier à d'ailleurs grandement inspiré le second. Toutefois, cela ne signifie pas pour autant qu'ils n'étaient que des barbares illettrés...
Bonjour,
Le chevalier médiéval en armure complète, et son alter ego cuirassé japonais le samouraï, font à n’en pas douter partie de l’imaginaire collectif contemporain. Pourtant, comme souvent, l’image qui en est véhiculée est assez différente de la réalité.
Nous ne pouvons que vous inciter, dans la perspective de démêler le mythe de la réalité, à consulter le passionnant dictionnaire du moyen âge imaginaire, publié sous la direction d’Anne Besson, William Blanc et Vincent Ferré. Ce dictionnaire revisite le médiévalisme, cette recréation inlassable d’un moyen-âge fantasmé, en 120 entrées.
Concernant le chevalier tout d’abord, les auteurs nous indiquent que l’image contemporaine du chevalier reproduit et prolonge ce qui était déjà une création culturelle. Elle serait apparue progressivement à partir du XIe siècle, avec la constitution de la chevalerie en tant que corps social à part entière, marqué par des rites et une culture spécifique. Au fil des siècles, les croisades, l’invention de la littérature arthurienne et la récupération de cette idéologie par l’Eglise participeront à faire émerger le mythe de ces parangons de l’honneur, défenseurs des valeurs chrétiennes, à la recherche de l’exploit individuel.
Les auteurs insistent toutefois sur le caractère polymorphe de cette figure, dont les attributs vont varier au fil des récupérations politiques et des réinventions littéraire. La chevalerie sera tour à tour réinventée par la franc maçonnerie, qui s’approprie certains de ses rituels, les auteurs romantiques, tels Walter Scott, qui décrit la chevalerie comme «la nourricière de l’affection le plus pure, l’espoir de l’opprimé, défendant la liberté de sa lance et de son épée et donnant son sens à la noblesse» (Ivanhoé, 1819), le scoutisme, qui voit le chevalier comme modèle de comportement pour le parfait gentleman, ou même le Ku Klux Klan, qui se vit comme «une institution de Chevalerie, de Justice et de Patriotisme». On voit donc que la chevalerie se détache peu à peu totalement de son contexte historique, pour se changer en un pur idéal, convoqué pour symboliser des valeurs morales.
Concernant la vie «réelle» des chevaliers, il faut garder en tête que l’institution de la chevalerie a existé sur un temps très long. Ils seraient apparus au VIIIe ou au Xe siècle selon les auteurs, et si leur rôle est de plus en plus désuet, il reste important au XVIe siècle. Leur statut social, leur rôle et leur comportement ont donc évidemment fortement évolué au cours de ces six à huit siècles d’existence, suivant l’évolution de la société médiévale. Pour en savoir plus sur l’évolution de la chevalerie comme institution au cours du moyen-âge et la réalité de la vie quotidienne des chevaliers, vous pouvez consulter:
Chevaliers et chevalerie au moyen âge, de Jean Flori
Le chevalier dans l’histoire, de Frances Gies
Le chevalier lettré, savoir et conduite de l’aristocratie aux XIIe et XIIIe siècles, de Martin Aurell
Le dictionnaire du moyen-âge imaginaire cité plus haut consacre également une longue entrée au Japon, dans laquelle ils s’attardent sur les spécificités du médiévalisme nippon, qui fait de toute la période précédant l’entrée du Japon dans la modernité un Moyen-Âge monolithique dominé par la figure du samouraï. Il montre notamment que celle-ci a en large part été créée au début du XXe siècle, notamment grâce au succès de l’ouvrage «Le Bushido: l’âme du Japon», écrit en 1900 en anglais par Inazo Nitobe, un japonais converti à la foi quaker, et rempli de références à des auteurs occidentaux. Cette figure, et la glorification des valeurs chevaleresques, sera alors utilisée par les classes dirigeantes Meiji pour mobiliser la population masculine au service de l’empereur. Elle sera, comme celle du chevalier médiéval européen et souvent en référence à celle-ci, réappropriée tout au long du XXe siècle, comme support d’idéologies très différentes, depuis les cercles fascisants promouvant une obéissance aveugle à l’empereur, comme dans le roman-feuilleton La pierre et le sabre, d’Eiji Yoshikawa, jusqu’à l’ironie de Masaki Kobayashi, qui moque l’hypocrisie du Bushido dans Hara-Kiri.
Dans le cas japonais encore plus qu’en Europe, il convient également de garder en tête la longueur de période historique durant laquelle les Samouraï ont existé. Apparus à la fin du IXe siècle, ces guerriers ont dominé la société japonaise jusqu’à la fin de la période d’Edo, en 1867, soit près de mille ans. Au cours de ces siècles, le statut de ces guerriers, leur fonction et leurs pratiques ont bien entendu considérablement évolué. Pierre-François Souyri raconte la longue histoire des samouraïs et leur évolution dans son ouvrage Les guerriers dans la rizière, quand Olivier Ansart, dans Paraître et prétendre: L’imposture du bushido dans le japon pré-moderne, s’attarde plus spécifiquement sur la période Tokugawa et sur la déconnexion presque totale qui existait déjà entre les valeurs revendiquées par les samouraïs et leur vie quotidienne.
Nous vous souhaitons bonnes lectures,
Le département civilisation