Question d'origine :
Bonjour Y avait-il des vestales en Grèce ? Merci.
Réponse du Guichet

Il n’existe pas à proprement parler de vestales en Grèce, même si certains historiens pensent probable qu’à la période royale primitive, l’entretien du foyer mycénien ait pu relever d’un sacerdoce féminin. On trouve cependant plus tardivement des comparaisons entre les vestales et des prêtresses d’autres cultes grecs.
Bonjour,
Les vestales sont une institution proprement romaine et il n’en existe pas vraiment d’équivalent en Grèce. Ce sont en effet des hommes, les prytanes, qui prennent en charge le culte d’Hestia, déesse du feu sacré et du foyer, qui pourrait être l’équivalent grec de Vesta (même si plusieurs auteurs s’accordent pour voir à Vesta une origine plutôt indo-européenne).
«Les vestales, des prêtresses au service de la déesse Vesta… et du peuple romain.
Les vestales (virgines Vestales) sont les prêtresses de Vesta, la déesse du feu et du foyer à Rome. Cette divinité est représentée par le feu qui brûle de manière permanente dans son sanctuaire du Forum (Aedes Vestae). Ce feu est entretenu et surveillé par les vestales qui se relaient jour et nuit pour mener à bien cette mission.
Selon G. Dumézil (dans La Religion romaine archaïque), ce culte rendu à Vesta dans son édifice circulaire (ce qui diffère de l’habituel templum) renverrait à un rituel indo-européen rappelant ce feu-symbole allumé dans tout camp nomade et assurant la sécurité du groupe. Ainsi, ce feu sacré incarne l’âme de Rome : de sa sauvegarde dépend la survie de la cité. Il est le symbole de la pérennité de l’État, garantissant la pax deorum (la concorde entre les dieux et les hommes). Le transfert de la flamme civique aux foyers domestiques permet aussi la pratique des cultes privés. C’est pourquoi ce feu ne doit pas disparaître par négligence. Chaque 1er mars de l’an, il est éteint et rallumé selon un rite bien établi : feu primordial, il ne peut être allumé à partir d’un autre feu ; feu terrestre, ce sont les vestales qui doivent le produire en frottant deux morceaux de bois d’un arbre qui a déjà donné des fruits (arbor felix).»
Source : Les vestales, site Odysseum
«Dans la religion grecque antique, Hestia (en grec ancien Ἑστία/ Hestía) (en latin Vesta) est la déesse du feu sacré et du foyer.»
[…]Elle protège le foyer public (koinê hestia) hébergé, dans l’Athènes antique, au Prytanée[22], centre politique plutôt que religieux de la cité. L’autel d’Hestia dans ce Prytanée était l’endroit le plus sacré de la cité. Pindare nomme cette déesse la «patronne des prytanes» lesquels l'honorent, entre autres divinités, de leurs libations fréquentes et de la graisse des victimes; ils font résonner en son honneur la lyre et le chant. Quand ce ne sont pas des prytanes, ce sont les «magistrats en chef des cités», précise Denys d'Halicarnasse.»
Source : Article Hestia, Wikipédia
«Ils [les prytanes] entretiennent le feu sacré de la cité dans la Tholos, une flamme qui ne doit jamais s'éteindre. La surveillance de ce bâtiment est confiée chaque jour aux membres d'une même trittye.»
Article Prytane, Wikipédia
Jean-Pierre Vernant (1941-2007), grand spécialiste de la Grèce antique, suppose cependant, à la suite de Louis Deroy, qu’il est possible qu’à l’origine l’entretien du foyer mycénien ait pu incomber à une femme. Mais cette tradition n’aurait pas perduré en Grèce.
«Le problème de la parenté de Vesta et de Hestia a, depuis longtemps, fait couler beaucoup d'encre. Tour à tour, des historiens des religions, des spécialistes des institutions, des archéologues et des linguistes sont intervenus dans le débat. Je n'ai pas l'intention de retracer les phases de cette discussion qui n'est pas finie. Je formulerai seulement quelques critiques nouvelles et je tâcherai de réunir les arguments susceptibles d'apporter à la question posée une réponse vraisemblable.
[…]L'identité de forme des cultes grec et romain n'existe, bien entendu, qu'à la période royale primitive. Après la chute de la monarchie, en Grèce comme à Rome, les oligarques ont bien repris à leur charge le culte du foyer public, mais, désormais, les deux institutions évoluent d'une manière distincte, quoique généralement parallèle. Tandis qu'à Rome, le culte de Vesta demeura l'apanage de prêtresses, patriciennes, puis plébéiennes, et même filles d'affranchis, en Grèce, au contraire, il semble que le culte du foyer ait échu, dès la réforme oligarchique, à un prytane ou à un collège de prytanes, qui sont moins des prêtres que des magistrats.»
Dans Le culte du foyer dans la Grèce mycénienne, Louis Deroy, Revue de l'histoire des religions, Année 1950 137-1 pp. 26-43 , cf p. 32-41
«Les rapports de l' Hestia grecque et de la Vesta romaine ont prêté à bien des controverses. On sait qu'il n'y a rien, en Grèce, de comparable, comme personnage et comme fonction, aux Vestales. Il est difficile cependant de ne pas croire qu'à l'origine l'entretien du foyer mycénien, en particulier du foyer royal, relevait d'un sacerdoce féminin et que l'office en incombait plus précisément à la fille de la maison, avant son mariage. M. Louis Deroy a pu soutenir que le mot partheniè, vierge, est une dénomination fonctionnelle désignant celle qui s'occupe du feu»
Dans Mythe et pensée chez les Grecs, Jean-Pierre Vernant dans Œuvres: religions, rationalités, politique ou en ligne dans Hestia-Hermès. Sur l'expression religieuse de l'espace et du mouvement chez les Grecs, L’Homme, Année 1963 3-3 pp. 12-50 p. 16
Si l’on prend donc ses distances par rapport au seul culte d’Hestia, des parallèles peuvent être fait entre les vestales et les prêtresses de plusieurs autres cultes.
Plutarque fournit par exemple une comparaison entre les vestales et les prêtresses d’Artémis à Éphèse.
«Plutarque fournit le descriptif le plus complet du personnel féminin sacral de l’Artémision. Il conviendrait d’après son texte de distinguer prêtresse stagiaire (Μελλιέρην), prêtresse proprement dite (Ἱέρην) et prêtresse honoraire (Παριέρην) :
"De même qu’à Rome la vie des Vestales est partagée entre l’apprentissage, le service du culte et l’enseignement, et que semblablement à Éphèse chacune des servantes d’Artémis reçoit successivement les titres de prêtresse stagiaire, ensuite de prêtresse tutélaire et finalement de prêtresse honoraire…"
La comparaison avec le personnel sacerdotal des Vestales de Rome implique une vie collégiale et l’obligation de virginité. Plutarque évoque également dans son texte les vierges non mariées exerçant des responsabilités religieuses au sein de l’Artémision: il rappelle leur jeunesse, sans toutefois préciser l’âge exact du personnel sacral. La comparaison des jeunes filles œuvrant dans le sanctuaire avec les Vestales implique probablement aussi une obligation de résidence à proximité du lieu des sacrifices, au sein de l’espace délimité par l’enceinte du sanctuaire»
Dans Les prêtresses d’Artémis à Éphèse (Ier siècle av. J.-C.–IIIe siècle apr. J.-C.) ou comment faire du neuf en prétendant restaurer un état ancien ?, par François Kirbihler, Dialogues d’histoire ancienne, 2018, suppl. 18
«Plutarque, au chapitre 24 de son œuvre An seni sit gerendo respublica, compare les prêtresses d'Artémis aux Vestales de Rome. La même exigence de virginité s'appliquait en effet aux unes comme aux autres. Il semble cependant que cette règle se soit assouplie avec le temps et qu'elle n'ait plus eu cours à l'époque impériale.»
Dans Les fonctions sacerdotales, Odysseum
Voir aussi:
Prêtrise féminine dans le monde hellénistique, Wikipédia
Les filles d’Athènes à Delphes : femmes, religion et société à travers l’exemple des canéphores de la Pythaïde, Karine Karila-Cohen, dans Chemin faisant: mythes, cultes et société en Grèce ancienne
La fille d'Athènes : la religion des filles à Athènes à l'époque classique : mythes, cultes et société, Pierre Brulé (également en ligne).
Pour mieux comprendre les parallèles possibles, notamment en pensant à la notion de pureté, ou au rôle social conféré à ces femmes, vous trouverez de nombreuses pistes dans la thèse de Patricia Denis : Les services religieux féminins en Grèce de l’époque classique à l’époque impériale et dans Le statut public des prêtresses dans l’Antiquité, un premier état de la question, Anne Bielman, en collaboration avec Regula Frei-Stolba.
Très bonnes lectures !